Santé
« Natural Killers » : et si nos systèmes immunitaires pouvaient vaincre le cancer ?
[tribune] Depuis trente ans, je consacre mes recherches aux cellules Natural Killers, ces globules blancs capables de reconnaître et de détruire les cellules cancéreuses. Aujourd’hui, grâce aux progrès de l’immunothérapie, nous ouvrons une nouvelle voie pour traiter le cancer en stimulant notre propre système immunitaire. Ce combat collectif, récompensé récemment par le prix Griffuel, commence à porter ses fruits.
Depuis trois décennies, je travaille avec mes équipes à Marseille sur un type particulier de globules blancs que tout le monde possède : les cellules Natural Killers. Leur propriété, fascinante, est de savoir reconnaître les cellules normales — qu’elles épargnent — des cellules tumorales — qu’elles attaquent et détruisent.
Stimuler nos défenses naturelles : une nouvelle approche pour lutter contre le cancer
Notre objectif est de comprendre les mécanismes qui régissent cette reconnaissance pour mieux la stimuler. C’est tout l’enjeu de l’immunothérapie, une révolution qui a changé l’approche du traitement contre le cancer depuis une quinzaine d’années. Contrairement aux traitements traditionnels — chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie —, l’immunothérapie ne cible pas la tumeur, mais le système immunitaire lui-même, pour le libérer de ses freins ou amplifier son action.
Aujourd’hui, plusieurs médicaments issus de nos recherches sont en essais cliniques avancés contre des cancers du poumon et certaines leucémies. Ce progrès a été récemment reconnu par l’attribution du Prix Fondation ARC Léopold Griffuel de la recherche translationnelle en cancérologie. Une récompense dotée de 150 000 euros et une immense fierté. Non seulement pour notre laboratoire, mais aussi pour toute la communauté scientifique qui croit dans la puissance de l’immunothérapie.
Construire des ponts : entre la recherche, l’industrie et les patients
Notre laboratoire est implanté au Centre d’Immunologie de Marseille-Luminy, au cœur du parc national des Calanques, en partenariat avec Aix-Marseille Université, l’Inserm et le CNRS. De plus, nous avons une antenne à l’Hôpital de la Timone, pour passer directement de la recherche fondamentale aux applications cliniques sur échantillons de patients.

Depuis le début, j’ai en effet souhaité construire des passerelles à tous les niveaux. Entre les sciences fondamentales et la médecine. Également entre le monde académique et les entreprises, grâce à notre partenariat avec Innate Pharma, une biotech marseillaise aujourd’hui cotée à Euronext et au Nasdaq.
Ces ponts existent aussi au niveau international : nous collaborons ainsi depuis longtemps avec l’Italie, la Tunisie, le Maroc ou encore le Burkina Faso. Je suis convaincu que la recherche n’a pas de frontières. Car chaque échange scientifique enrichit notre combat collectif contre la maladie.
Par ailleurs, les financements européens, à hauteur de 2,5 millions d’euros pour cinq ans, nous permettent d’explorer des pistes encore inexplorées. De même que le soutien, essentiel, de la philanthropie
Paris-Saclay Cancer Cluster : unir nos forces pour aller plus loin
Je préside aujourd’hui le Paris-Saclay Cancer Cluster, un programme qui vise à transformer en profondeur la recherche contre le cancer. Autour de l’hôpital Gustave Roussy, premier centre européen de lutte contre la maladie, nous construisons une véritable ville de 40 hectares. Elle sera dédiée à la transformation des découvertes scientifiques en applications concrètes : médicaments, diagnostics, dispositifs médicaux.
Nous y réunissons dans un même écosystème, chercheurs, médecins, ingénieurs, entrepreneurs… Tous animés par la même ambition : accélérer l’innovation au service des patients, pour tous les types de cancers — adultes, enfants, cancers rares ou fréquents.
Ce travail d’équipe est fondamental. Car le cancer est un défi collectif. Il impose de fédérer nos forces, de décloisonner les disciplines, de mutualiser les talents. À Marseille, à Paris-Saclay, en France et au-delà, nous portons tous la même espérance : permettre au système immunitaire de reprendre l’avantage. Et offrir de nouvelles armes contre le cancer. ♦

*Éric Vivier est professeur d’immunologie à Aix-Marseille Université, à l’APHM, à l’Ecole polytechnique et directeur de laboratoire au CIML de Luminy. Il est aussi président du Paris-Saclay Cancer Cluster.
Bonus
# L’immunothérapie : une révolution dans la lutte contre le cancer. Depuis les années 2010, l’immunothérapie a profondément changé l’approche du traitement du cancer. En effet, plutôt que d’attaquer directement les cellules tumorales, elle agit sur le système immunitaire pour le renforcer ou le libérer de ses freins naturels. D’ailleurs, certaines immunothérapies, comme les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (anti-PD-1, anti-CTLA-4), ont déjà permis des rémissions spectaculaires chez des patients atteints de cancers avancés.
Aujourd’hui, de nouvelles stratégies ciblant les cellules Natural Killers promettent d’élargir encore l’arsenal thérapeutique. Notamment pour des cancers résistants aux traitements traditionnels.