ÉconomieEnvironnement

Par Philippe Lesaffre, le 14 janvier 2025

Journaliste

“On peut facilement prendre l’habitude antigaspi”

L’entreprise à l’origine de l’application mobile Geev a ouvert en septembre dernier un magasin à Toulouse. But du jeu : inciter toujours plus de citoyens à donner objets et équipements dont ils n’ont plus besoin et qui peuvent resservir.

Certains disent qu’ils ont trouvé des « pépites » au sein de la galerie marchande. Dans un centre commercial au nord de Toulouse, une boutique pas comme les autres a ouvert ses portes en septembre dernier : Geev. Celle-ci propose des objets très variés. On y trouve autant des vêtements et des chaussures, de la vaisselle et des objets de décoration que des produits high-tech, des jouets ou encore des livres. En revanche, pas la peine de chercher le tarif, car il n’y en a pas. Ici, les articles (pas trop volumineux) ont été déposés par des citoyens qui ont souhaité leur offrir une seconde vie.

En échange d’une adhésion de 40 euros à l’année, des femmes et des hommes peuvent venir récupérer dans ce local de 200 m² jusqu’à cinq biens par semaine. « Avant Noël, affirme Hakim Baka, cofondateur de Geev, à l’origine du concept, des familles peuvent trouver des cadeaux pour des enfants de tous les âges sans rien payer, en plus de l’adhésion. » Afin de promouvoir une consommation plus responsable et plus durable, l’entrepreneur, avec Florian Blanc, a lancé en 2017 l’application mobile de dons d’objets entre particuliers du même nom.

<!–more–>

Tout le monde peut récupérer 5 objets ou biens par semaine @ Geev

Chez Geev, « ni transaction, ni négociation »

Plus de sept ans plus tard, il comptabilise environ 500 000 annonces par mois, y compris pour des produits alimentaires. Preuve, pour le CEO, que « les choses avancent dans la bonne direction ». Beaucoup, dit-il, ont pris conscience qu’il était nécessaire de ne « pas jeter tout et n’importe quoi » et que les biens non défectueux pouvaient largement « resservir » à d’autres.

Hakim Baka : « Changer de comportements prend du temps » @ Geev

Si au début les personnes qui s’inscrivaient sur Geev étaient plutôt des citoyens engagés pour une économie plus circulaire, refusant de mettre à la benne des biens fonctionnels (ou en tout cas réparables), la start-up a petit à petit attiré un autre public de « donneurs ». Aujourd’hui, des personnes ne sautent pas toujours le pas pour des motivations purement écologiques, mais avant tout afin de se débarrasser de choses encombrantes, typiquement de meubles qu’elles viennent de remplacer à leur domicile. « Quand vous avez commandé votre nouveau canapé, que faire de l’ancien ? Aucune association ne va venir le chercher dans les 48 heures », glisse Hakim Baka.

Le plus simple, poursuit le même, c’est de le donner. Les citoyens peuvent publier une annonce sur l’application mobile puis attendre que des intéressés, aux alentours, se manifestent. Cela va assez vite, « il n’y a pas de transaction, donc pas de négociation », explique le CEO. « On peut facilement prendre l’habitude anti-gaspi. En quelques clics, l’affaire est réglée. Et on a fait un peu de tri chez soi, en vidant des armoires ou des tiroirs bien remplis. » Certaines personnes commencent à donner, puis recommencent… presque à l’infini : « Il y en a qui ont donné des centaines et des centaines d’objets, sourit-il, c’est étonnant de tomber sur autant d’ambassadeurs ». Qui réalisent par là un geste… très solidaire.

♦ Lire aussi : La recyclerie qui donne une seconde vie au matériel médical

« Des évolutions positives »…

Car, en ces temps troublés, beaucoup passent par cette solution en vue de réaliser une économie et parce qu’ils sont dans le rouge. Cela peut être, à l’approche de la rentrée scolaire, des familles en quête d’affaires pour l’école, ou encore de vêtements (puisque des parents « remettent sur le marché » des hauts et des bas trop serrés pour leurs enfants). Ou encore des étudiants sans le sou à la recherche d’équipements utiles, mais peu onéreux ou à donner. Des particuliers, donc, mais également des collectifs. « Des bénévoles d’associations de quartiers, note Hakim, utilisent aussi beaucoup l’application pour aider des personnes en situation de (grande) précarité… »

De plus en plus de citoyens donnent une seconde vie aux objets ou aux meubles, ayant bien saisi que cela permettait de contribuer à préserver les ressources naturelles de la planète (1). Pour autant, en dépit des « évolutions positives », selon le terme de l’entrepreneur, lutter contre les pratiques de surconsommation reste un travail de longue haleine. La grande bifurcation ne s’effectuera pas en deux trois mouvements au sein de la société.

Geev espère ouvrir de nouvelles boutiques en France dans les prochains mois @ Geev

 « Les nouvelles habitudes mettent du temps à se mettre en place. Même si on a conscience de certains enjeux, même si on sait que nous avons à nous adapter au changement climatique, on ne modifie pas nos comportements du jour au lendemain. Il y a en réalité peu de catalyseur. Je n’en ai pas vu ces dernières années, excepté la pandémie de Covid-19. La crise sanitaire a remué beaucoup de citoyens. Beaucoup ont pensé au ”monde d’après” et ont changé au quotidien. » Or, ça n’a pas suffi, Hakim le sait bien.

…mais « une marge de progression »

Il suffit de se promener dans les grandes villes pour s’en apercevoir. Sur le trottoir, beaucoup abandonnent et déposent encore leurs vieux appareils ou objets. « Cela n’a pas de sens, lâche-t-il, c’est fou, tout ce gâchis. » Parfois, on tombe sur du mobilier encore très correct, qui terminera pourtant sa course en déchetterie, si personne ne le récupère à temps.

Hakim Baka : « Des bénévoles d’associations de quartiers utilisent beaucoup l’application » @ Geev

Pour l’éviter, Hakim encourage la pratique du don, vaille que vaille. « On a une sacrée marge de progression », glisse-t-il. Afin de faire bouger les lignes, il convient d’imaginer toujours plus de solutions concrètes sur le territoire. L’entreprise compte par exemple ouvrir de nouvelles boutiques, après celle de Toulouse, qui a attiré depuis l’ouverture fin septembre 25 000 personnes, selon elle.

Responsabiliser les acteurs économiques, en particulier les fabricants et les distributeurs, fait également partie des pistes… que Geev n’a pas négligées. La société a signé des partenariats avec une dizaine d’enseignes – comme But, Conforama, Cultura ou Ixina –  afin de les aider à prendre toujours plus le chemin du réemploi.

Dans le détail, la plupart des marques offrent des bons d’achat à leurs clients si ces derniers décident de donner sur l’application mobile leurs équipements inutilisés. Par exemple, des meubles de cuisine. De son côté, l’enseigne Cultura poste sur l’application mobile ses invendus autour de Bordeaux, là où s’est implantée l’entreprise Geev.

Rien de plus logique, pour Hakim Baka. « Les modes de consommation se transforment, les organisations ont intérêt à suivre le mouvement et à se montrer exemplaires en la matière. » ♦

1) En passant par différents sites (Geev mais aussi : donnons.org, tout donner.com, je donne.fr…), via des groupes de mise en relation entre voisins sur Facebook, des associations d’entraide ou par son propre réseau…

<!–more–>