CultureSolidarité

Par Agathe Perrier, le 21 janvier 2025

Journaliste

L’Orchestre des Colibris ouvre la musique aux enfants sourds

Chaque samedi, les membres de l'Orchestre des Colibris se réunissent pour répéter en groupe © Agathe Perrier

Oui, les sourds peuvent jouer d’un instrument de musique. Tel est le message que l’Orchestre des Colibris veut passer. Il s’appuie pour le prouver sur le modèle d’un ensemble musical où se côtoient des enfants sourds et entendants. Chacun apprend à son rythme et profite ainsi des vertus de la musique et de la pratique en groupe.

C’est un projet qui casse les idées reçues sur le handicap. À Marseille, depuis plus d’un an, cinq enfants sourds ou malentendants suivent des cours de musique au Conservatoire Pierre Barbizet. Ils y apprennent le solfège et la pratique d’un instrument (violon, alto, violoncelle ou flûte). Comme tous les autres, et avec les autres. « Chacun est associé à un « jumeau » ou une « jumelle », à savoir un enfant d’à peu près le même âge et jouant le même instrument. Une sorte de tuteur qui l’aide sur l’apprentissage. C’est important aussi bien musicalement qu’humainement », souligne Frédéric Isoletta, chef d’orchestre à l’initiative de ce projet porté par le Collectif des Artistes Lyriques et Musiciens pour la Solidarité (alias le CALMS – lire bonus). Chaque binôme est en plus chapeauté par un musicien ou une musicienne professionnel(le) qui fait office de parrain/marraine. Tous forment un véritable orchestre : l’Orchestre des Colibris. <!–more–>

Chansons adaptées

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Dans le groupe des flûtes, Alpha joue le rôle de tuteur auprès d’Evan © Agathe Perrier

Concrètement, les enfants du petit groupe des sourds ou malentendants a trois rendez-vous hebdomadaires avec la musique. Un cours particulier d’instrument, assuré par un professeur du conservatoire. Un autre de solfège. Et une répétition de groupe chaque samedi. Se joignent à eux toutes les deux semaines les jumeaux/jumelles, et toutes les trois semaines les parrains/marraines. Un rythme plutôt intensif qui leur permet de progresser et surtout de gagner en aisance.

Ce samedi de janvier, le premier après les vacances de Noël, tous les membres de l’Orchestre des Colibris sont justement réunis. Et répètent un morceau écrit spécialement pour eux par Frédéric Isoletta. « Je me suis rapproché de chercheurs pour le composer. Il est adapté à leur handicap et ils peuvent le jouer », explique-t-il. Chaque groupe dispose de sa propre partition. Du côté des flûtes, Alpha et Evan s’appliquent. Le premier aide le second à suivre le rythme, vérifie qu’il a compris les consignes. Juliette Jolain, flûtiste à l’Opéra de Marseille, supervise. « Je m’assure qu’ils ont une vraie relation de collègues, ce qui est d’ailleurs le cas. Ils aiment ce côté orchestre, c’est une “safe place” ici », apprécie-t-elle.

Lire aussi l’article « Comment la musique transforme et soigne le cerveau »

Collègues et surtout amis

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Quand ils jouent, rien ne distingue les enfants sourds ou malentendants des autres © AP

Lorsque l’ensemble joue de concert, la magie opère. Rien ne distingue les enfants sourds ou malentendants des autres, si ce n’est les appareils auditifs visibles chez certains. « Chacun a sa place et apporte ce qu’il a à apporter », résume Mikhael Piccone, fondateur du CALMS. Et Frédéric Isoletta d’abonder : « Ça leur fait du bien en termes de psychomotricité, de langage, de sociabilité. Et ça les rend fiers ».

Ce que confirment les principaux intéressés, qui ont été suivis pendant un an par la réalisatrice Daniela Lanzuisi (bonus). « D’être avec d’autres enfants sourds, ça me rassure un peu car je suis pas le seul », confie Alexandre, le violoncelliste de la troupe. Léandre, qui a opté pour le violon, complète : « Si j’avais pas l’orchestre, j’aurais moins d’amis je pense. C’est des vrais copains ». Une cohésion de groupe qui se révèle bénéfique à la pratique. « Ils avaient peur au début de jouer devant les autres, de faire des fausses notes. Ils sont bien plus à l’aise aujourd’hui », note Juliette Jolain. Un sentiment corroboré par le jeune violoniste. « Je me sens libre de faire ce que je veux. Même si je rate, je me sens libre », glisse-t-il.

Rendre la musique universelle

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Les musiques répétées ont été spécialement composées par Frédéric Isoletta afin de pouvoir être jouées par les enfants sourds ou malentendants © AP

Le but du projet n’est pas de former les enfants pour qu’ils fassent carrière. « C’est de montrer que tout le monde peut faire de la musique, car on en est convaincus », expose Malvina Pastor, la référente pédagogique du projet. Cette musicienne de métier est née demi-sourde et a commencé le piano avant même d’être appareillée. « La musique est une expérience multisensorielle. On peut entendre aussi par la peau, via les vibrations. Mon expérience me permet d’aider les sourds à jouer de la musique et d’expliquer aux entendants comment ils y parviennent », sourit-elle.

En plus de l’accompagnement de Malvina Pastor, les parrains, marraines et professeurs du conservatoire ont été sensibilisés au handicap par l’Urapeda Sud. Cette association, qui œuvre pour l’autonomie et la citoyenneté des personnes sourdes ou malentendantes, les a notamment formés aux « bonnes pratiques ». « Comme, par exemple, la façon de bien s’adresser aux enfants. C’est-à-dire en se positionnant face à eux pour qu’ils puissent lire sur nos lèvres », illustre Juliette Jolain. Des gestes simples mais essentiels pour qu’ils se sentent à l’aise et en confiance.

Lire aussi l’article « La musique classique à la portée des enfants des quartiers défavorisés »

Dupliquer l’orchestre

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En plus du marseillais, un Orchestre des Colibris a démarré sur le bassin est de l’Étang de Berre © AP

Fort du succès de l’expérience marseillaise, le CALMS souhaite désormais dupliquer l’Orchestre des Colibris. Un deuxième a déjà démarré en septembre 2024 sur le bassin est de l’Étang de Berre (qui réunit les communes de Vitrolles, Marignane et Berre l’Étang). Il ne compte pour le moment que deux binômes, donc il reste des places. « Les enfants sourds sont acceptés quel que soit leur niveau. Il faut seulement qu’ils aient l’envie d’apprendre la musique », indique Mikhael Piccone. Pour les jumeaux/jumelles, ils doivent disposer de deux à trois ans d’orchestre afin de pouvoir pleinement jouer leur rôle de tuteur.

D’ici septembre prochain, le Conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence et le Conservatoire Départemental de Musique des Alpes-Maritimes (touchant Nice et ses alentours) devraient aussi lancer leur propre orchestre inclusif. Ailleurs, des pourparlers sont en cours à Paris, Lyon, Toulouse et Montpellier. Pour les enfants sourds ou malentendants, un plafond de verre est en train de se briser. ♦

Bonus

# Un projet né d’une expérience personnelle – Celle de Frédéric Isoletta, papa d’un enfant né sourd. En tant que chef d’orchestre, il a dès le départ mis Alexandre en contact avec la musique, grâce aux vibrations du piano. « Lorsque mon fils a appris le français signé, j’ai imaginé et conçu des gestes de direction d’orchestre directement inspirés de cette langue des signes. Petit à petit, en voyant ses réactions face à la musique, et même en lui faisant pratiquer, je me suis mis à imaginer ce concept inédit : apprendre la musique à ces enfants et les intégrer dans un orchestre », rembobine-t-il. Ayant joué au sein du CALMS, il s’est rapproché de cette structure avec laquelle a été élaboré le projet tel qu’il se présente aujourd’hui.

# Un documentaire à ne pas rater – « La musique sourde » de Daniela Lanzuisi. Cette réalisatrice installée à Marseille a suivi et filmé toute la première année d’existence de l’Orchestre des Colibris. À retrouver en cliquant ici.

# Le CALMS toujours plus solidaire – L’Orchestre des Colibris est l’un des projets portés par ce Collectif des Artistes Lyriques et Musiciens pour la Solidarité. Cette association créée en 2019 (notre reportage à retrouver ici) poursuit ses autres activités en parallèle. À savoir « Opéras déconfinés », des concerts d’art lyrique dans les quartiers prioritaires et le milieu rural. Ou encore « Quartiers enchantés », des chorales créées pour fédérer les habitants des quartiers populaires. Quant aux concerts « Les voix solidaires », l’événement marque une pause cette année pour revenir dans un format national dès la saison prochaine.