Aménagement
Paille, terre et chanvre pour rénover l’habitat
Pour atteindre l’objectif fixé par l’Union Européenne de neutralité carbone d’ici 2050, plus de 20 millions de logements doivent être rénovés. Spécialisée dans l’habitat écologique, la coopérative Anatomies d’Architecture démontre qu’il est possible et même souhaitable de rénover l’ancien avec des matériaux naturels et locaux.
Difficile d’imaginer que cette immense pièce, chaleureuse et tempérée, fut l’antre d’une grange froide et humide. Lorsque Anatomies d’Architecture (Ad’A) a découvert les lieux, en 2023, dans le 4e arrondissement de Marseille, « les pierres étaient recouvertes de ciment, ce qui causait de gros problèmes d’humidité », se souvient Emmanuel Stern, anthropologue, constructeur terre et cofondateur d’Ad’A. Avec son acolyte architecte, Alice Mortamet, il a alors enlevé le ciment, laissé les pierres sécher, les a recouvertes de terre-paille puis enduites de terre. Une terre qui offre un ton ocre aux murs intérieurs de ce bâtiment devenu le Fablab du LICA – le Laboratoire d’Intelligence Collective et Artificielle.
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Des correcteurs thermiques

De par leurs propriétés physiques, l’argile et la paille sont d’excellents correcteurs thermiques. « Plus que leur fonction d’isolant, ils apportent du confort : l’humidité est bien régulée. On n’est pas obligé de chauffer l’hiver, ni de mettre la clim’ l’été », poursuit le trentenaire qui montre la paille à l’intérieur des murs, sur une surface témoin. En effet, le mur enduit de cette façon absorbe l’excès d’humidité de l’air ambiant et le libère lorsque l’air devient plus sec. Il respire, en somme.
« Le parc immobilier français (37 millions de logements et un milliard de m2 de tertiaire chauffé) consomme 47% de l’énergie. Il est aussi responsable de 23% des émissions de gaz à effet de serre », Ademe.
Matériaux durables…

À contrario, la laine de verre comme isolant, « ça ne marche pas, poursuit-il. Elle ne laisse pas passer la vapeur d’eau ». Ce matériau industriel est donc à proscrire triplement : il est néfaste pour les murs, la santé (à cause de l’humidité) et la planète « car on va perdre l’inertie du bâtiment (sa capacité à stocker puis à restituer la chaleur de manière diffuse, mais surtout à garder la fraîcheur -NDLR). On est donc obligé d’avoir une clim l’été ». Enfin, « il n’a pas de durée de vie ».
Dernier argument de poids : les matériaux naturels employés par Ad’A sont écolos en termes d’impact carbone. Leur production ne génère en effet aucune cuisson, ni transformation. Ils sont également « low tech » – pas ou peu d’acheminement, car ils sont locaux. La région PACA, par exemple, en est « ultra foisonnante avec beaucoup de liège, de terre, de chanvre, de bois, de paille de lavande ».
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…et réversibles

Enfin, les matériaux naturels sont réversibles. Si un jour, ces bâtiments doivent être détruits, il n’y aura pas de déchets de chantier. « La terre crue peut être réemployée à l’infini comme matériau de construction ou redevenir terre », illustre Emmanuel Stern, avant de montrer un peu plus loin la rénovation de la bastide du LICA. Dans ce bâtiment du XVIIe siècle devenu espace de coworking, le ciment a été enlevé sur les murs et remplacé par un mélange de chaux-chanvre. Pas besoin de rajouter une couche de peinture, l’enduit terre fait office de finition.
Une méthode encore peu connue

Les fondateurs d’Ad’A mettent leur savoir au service de projets divers, comme la rénovation de la Maison des Salins à Fos-sur-Mer ou la construction d’une maison particulière dans le centre de Marseille. L’équipe est également intervenue dans la construction des maisons de l’Eco-hameau de Bois de Brindille dans le Var. Si les matériaux naturels ont des émissions de CO2 très faibles et sont d’excellents choix pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, pourquoi ne sont-ils pas généralisés ? « Tout le monde ne fait pas, car rien n’est fait pour », résume l’artisan diplômé du laboratoire CRAterre (Centre international de la construction en terre). « Les futurs artisans sont formés au béton, les magasins de bricolage vendent de la laine de verre et peu d’aides financières existent pour ces matériaux », déplore le trentenaire.
Former au maximum

Faire connaître le plus possible les techniques naturelles, leurs richesses et bienfaits est le deuxième pilier de l’agence. Outre deux ouvrages retentissants (bonus), Ad’A forme particuliers et professionnels à l’écoconstruction. Viennent de toute la France et de l’étranger des architectes ; la plupart veulent comprendre mieux les matériaux, certains devenir architecte-artisan. Mais aussi « des autoconstructeurs » et des ingénieurs BTP. Thomas Fillault fait partie de ces derniers. Ce maître d’œuvre d’exécution est un repenti du béton. Pendant des années, il a piloté des chantiers avec ce matériau. Puis il s’est rendu compte qu‘utilisé à tout va depuis la Seconde Guerre mondiale, il avait montré ses limites : il produit du CO2, épuise les ressources de sable. Sans oublier son obsolescence programmée. « On l’a surtout isolé, surisolé, et du coup, surventilé ».
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Plus économique à long terme

Depuis cinq ans, le fondateur d’Aïki – « union des énergies » – s’est spécialisé dans la construction bas carbone, avec des matériaux bruts, non industriels, comme le bois et la pierre. À lui maintenant de convaincre ses clients. Notamment d’expliquer que c’est viable et, certes un peu plus cher. Mais il faut raisonner à long terme : la durabilité des matériaux dans le temps, le confort thermique, l’économie de chauffage ou de climatisation, etc. « C’est mieux pour tout le monde, les habitants, la planète. Et puis c’est beau ! », appuie l’entrepreneur, tout en montrant la cloison dans son bureau, dans le 5e à Marseille. Celle-ci a été fabriquée par Emmanuel Stern à partir de bambous du jardin et sert de témoin pour ses clients.
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Des techniques du monde entier

Si ce néo-Marseillais s’appuie toujours sur les ressources locales, il s’inspire aussi des techniques ancestrales du monde entier (bonus). Ici japonaise : Arakabe. Les tiges ont été coupées, fendues et nouées avec de la ficelle de chanvre. Puis enduites d’un mélange terre/paille préalablement fermenté. La fermentation permet d’obtenir du biopolymère – « une sorte de colle naturelle » qui lie plus intensément la terre. La dernière couche est de la terre de Salernes, récupérée des déchets d’une fabrique de tomettes éponymes, mélangée avec de l’eau. À Marseille, avec Thomas Fillault, Emmanuel Stern a effectué les enduits du restaurant solaire Le Présage. Et participera sans doute avec lui à la reconstruction de l’immeuble du 17 rue de Tivoli, effondré après une explosion au gaz. Le bâtiment, emblématique, renaîtra de la pierre, du bois. Et, bien sûr, de la terre crue. ♦
Bonus
Des techniques ancestrales. Les techniques utilisées par Anatomies d’Architecture ne relèvent d’aucune innovation : elles sont ancestrales. Le changement en revanche, c’est leur utilisation, « où mettre quoi », synthétise Emmanuel Stern. Car l’exigence du confort thermique a évolué, « on a envie de travailler en tee-shirt alors qu’il ne fait pas forcément chaud dehors ». Ainsi, dans la partie neuve du Lica, où Ad’A a installé ses bureaux, « la paille a été utilisée au nord, la terre crue au sud et la terre-paille à l’ouest ».
Deux livres. Durant six mois, Emmanuel Stern a repris sa casquette d’anthropologue et, avec ses deux acolytes architectes, il est parti à la rencontre de ceux qui réinventent l’architecture écologique. Un voyage au terme duquel est sorti ‘’Le tour de France des maisons écologiques’’ (Éditions Alternatives, 2020) : 30 réalisations alternatives, construites en matériaux biosourcés, géosourcés ou réemployés. Toujours dans l’optique de « matérialiser les enjeux et les méthodes constructives », ils ont également publié ‘’Le tour des matériaux d’une maison écologique’’ (Éditions Alternatives, 2023). Cet ouvrage est le fruit de leur premier chantier en Normandie : la rénovation d’une longère en briques de 83m². Avec des ambitions inédites : zéro béton, zéro plastique et 100% de matériaux naturels dans un rayon de moins de 100 km.
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Un marché qui ne décolle pas. Alors que le secteur du bâtiment est un des plus consommateurs de ressources, il est nécessaire de rénover massivement et efficacement tout le parc de bâtiment français en vue d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Or, selon un spécialiste du sujet, qui souhaite rester anonyme, le marché ne décolle pas, malgré les engagements de la France et les moyens mis en œuvre. « Or, on sait rénover des logements et des locaux tertiaires pour qu’ils deviennent performants. Les obstacles au développement ? La plupart des propriétaires se sentent incompétents sur ce sujet. Ils sont perdus devant la complexité des tâches à remplir pour une rénovation performante et par les difficultés à réunir les financements. En outre, le secteur peine à recruter et il existe un manque de ressources humaines ayant les compétences requises pour des travaux de rénovation performante ».