EnvironnementSociété

Par Jeanne Mercier, le 27 mai 2025

Journaliste

Paris – Istanbul en train ou le temps du voyage plus responsable

"Durant ces temps longs sur les rails, on contemple les paysages à hauteur d’humain" © Jeanne Mercier

Celles et ceux qui prennent l’avion pour partir en vacances ne peuvent aujourd’hui ignorer le coût que cela représente pour l’environnement. Si le trajet le moins polluant reste celui qu’on ne fait pas, ouvrir ses horizons en limitant l’empreinte carbone de son voyage reste possible. J’ai traversé l’Europe en train jusqu’à Istanbul, en prenant le temps, sans me ruiner pour autant. Et ça en valait la peine.

423 kg. C’est le poids en CO₂ d’un billet pour un aller simple Paris – Istanbul en avion, selon le calculateur d’impact carbone des transports de l’Agence de la transition écologique (Ademe). Un chiffre qui peut gonfler selon les données prises en compte. Le média sur l’environnement Bon pote évalue les émissions du même vol à 550 kg. Et pour le spécialiste du voyage bas carbone Hourrail, c’est 605 kg. Sachant qu’il ne faudrait pas émettre plus de 2 tonnes de CO₂ par personne par an pour limiter le réchauffement climatique, selon les objectifs définis par l’Accord de Paris. Le calcul est donc vite fait : un tel voyage n’est pas soutenable sachant qu’il faut encore se nourrir, s’habiller, se loger, se chauffer… pour le reste de l’année.

La bonne nouvelle, c’est que l’on peut faire autrement. <!–more–>

Marche et vélo à part, le train représente aujourd’hui la meilleure option pour se déplacer de manière plus responsable. Selon le trajet et le type de train, il peut émettre jusqu’à 80 fois moins de CO₂ que l’avion. Un vol Paris – Barcelone serait par exemple 67 fois plus émetteur que le même trajet en TGV, selon les chiffres de l’Ademe.

Un voyage au moins 4 à 6 fois moins polluant

Cela dit, tous les trains ne sont pas aussi “propres” que les TGV français, qui font partie des plus décarbonés d’Europe. Et plus la distance est grande, moins l’économie sur l’impact carbone est importante. Autrement dit : préférer l’avion pour des courtes distances a un impact environnemental proportionnellement plus néfaste. Mais qu’importe le type de train ou la distance parcourue, sur le ring de l’écoresponsabilité, celui-ci reste toujours gagnant face à l’avion. Et de loin.

Revenons à notre Paris – Istanbul. Trois trains relient les deux villes, avec une escale à Vienne et une autre à Bucarest, pour l’itinéraire le plus direct. Une quarantaine d’heures de trajet au total. Si l’on en croit la méthode de calcul élaborée par le spécialiste du voyage en train Hourrail (lire bonus) basée sur ses données mais plus complète que celle de l’Ademe, le coût en CO₂ du trajet s’élèverait à 150 kg. Son fondateur, Benjamin Martinie, alias “Tolt”, précise que “certaines données sont un peu anciennes concernant les pays étrangers. Entre temps, beaucoup ont décarboné en partie la production de leur électricité. Donc il est fort à parier que le chiffre serait aujourd’hui encore plus bas.”

Chez Mollow, où l’on prend en compte le taux de remplissage des trains selon les pays ainsi que leur taux d’électrification, le bilan du voyage s’élèverait à 108 kg de CO₂. Pour l’un comme pour l’autre, le bilan carbone du trajet serait entre 4 et 6 fois moins polluant qu’en prenant l’avion. Une économie non négligeable quand le budget carbone annuel est compté.

Prendre le train sans forcément se ruiner

Malgré le coût environnemental, de nombreux voyageurs et voyageuses préfèrent encore l’avion pour des destinations accessibles en train. Un gain de temps, mais aussi d’argent. Selon un rapport de Greenpeace analysant les prix des billets en Europe en 2023, voyager en train serait en moyenne deux fois plus cher qu’en avion. Si les trains sont particulièrement chers en France – notamment à cause de péages ferroviaires responsables de 40% du prix du billet de TGV – et si la fiscalité reste largement avantageuse pour l’avion, le kérosène n’étant pas taxé, certains trajets en train restent cependant accessibles.

Pour notre périple jusqu’à Istanbul, la différence de prix n’est pas loin du simple au double. Pourtant, si l’on regarde de plus près, les comptes tendent à s’équilibrer.

♦ Relire l’article : Les croisés du train de nuit

Le train, pas loin d’être deux fois plus cher

Je suis partie au début du printemps. Le prix moyen du billet d’avion (aller-retour) pour la période avoisinait les 200 euros selon le comparateur de vols Algofly. En ajoutant le prix des navettes ou parkings des aéroports et un bagage en soute (non inclus dans le billet standard), le prix du voyage augmente rapidement de plusieurs dizaines d’euros. Le seul billet de RER Paris-Aéroports coûte 13 euros (donc 26 euros l’aller-retour). Et il faut compter au minimum 40 euros pour un bagage en soute.

Côté train, le trajet aller m’a coûté 180 euros. Pour deux trains-couchette et un bus de nuit – le Bosphor Express assurant la liaison ferroviaire directe entre Bucarest et Istanbul n’étant pas actif avant le mois de juin. 42 heures de trajet au total. Cela aurait pu me coûter moins cher sachant que j’ai choisi quelques options confort, comme la couchette plutôt que la place assise.

Si le prix semble double de prime abord, l’écart se réduit en ajoutant les dépenses supplémentaires qu’impose l’avion. Un voyage en train qui s’étend sur deux ou trois jours implique également des dépenses, me direz-vous. C’est vrai. Sauf si l’on considère ces journées comme partie intégrante du voyage, ou si l’on y voit un moyen de vadrouiller en économisant des nuits d’hôtel grâce aux trajets nocturnes.

L’expérience du train de nuit, un voyage en lui-même

Monter à bord d’un train de nuit constitue une aventure à part entière. Il y a quelque chose de magique dans le fait de s’endormir dans un pays et se réveiller dans un autre. Ces trains à la cadence ralentie transportent avec eux une ambiance singulière, sont le théâtre de moments insolites partagés avec des inconnu·es : un brossage de dents devant une forêt défilant sur fond de soleil couchant ou un petit-déjeuner où l’on s’échange confitures et conseils sur le meilleur café viennois de la capitale autrichienne.

Il y a l’excitation d’ouvrir le rideau en se réveillant et de découvrir quel paysage nous attend”, relate Gwénaëlle Michels, co-fondatrice du site voyagerentrain.fr et co-autrice avec Victor Gérard du guide Voyager en train en France et sa déclinaison pour l’Europe. Elle se souvient de réveils “magiques” en Suède, sous la neige, avec vue sur des lacs entourés de maisons rouges. Ou encore du train nocturne au départ de Milan qui parcourt l’Italie et embarque dans un ferry pour la Sicile, le dernier traversier-rail d’Europe, “unique”.

“Une extension de notre maison”

Durant ces temps longs sur les rails, on contemple les paysages à hauteur d’humain. On devient témoins de scènes que l’on n’aurait jamais observées depuis le ciel. Comme ces jeunes couples roumains jouant au tennis en habits du dimanche. Ces habitants d’un village chargeant une carriole tirée par un âne. Ou ce cheminot en uniforme saluant notre passage sur le quai d’une gare au milieu de nulle part.

Dans le train de nuit, on prend le temps de vivre, on pique-nique, on dort, ça devient un peu comme une extension de notre maison”. Pour Gwénaëlle Michels, qui voit ses filles construire des cabanes dans les couchettes, le train a aussi cet avantage considérable d’être le seul moyen de transport où les enfants peuvent profiter pleinement du voyage sans être attachés.

Si l’année 2025 s’annonce record pour le transport aérien, le voyage décarboné et la mouvance du slow travel (voyage lent) séduisent de plus en plus, notamment chez les jeunes générations – pour celles et ceux qui peuvent se le permettre. Hourrail, Mollow, Lonely Planet, Les Others… les médias et comptes d’influence sur le sujet se multiplient sur les réseaux sociaux. “Voyager et être heureux sans flinguer le vivant”, c’est l’ambition qu’affiche “Tolt” (@globetolter) sur son compte Instagram suivi par 170 000 personnes. “Il faut faire bouger les imaginaires, montrer qu’un trajet de 10-15 heures en train, c’est souvent des souvenirs bien plus mémorables que si l’on prenait l’avion.” ♦

Bonus

# Méthode de calcul Hourrail. Elle prend en compte les trajets exacts, le poids des infrastructures et l’origine de l’électricité selon le pays (nucléaire, énergies renouvelables ou fossiles).