Environnement
Des pigeonniers… contraceptifs !
[bestiaire] Afin de maîtriser la population de pigeons en ville, et réduire les nuisances qu’elle occasionne, la mairie de Marseille a installé des pigeonniers « contraceptifs ». L’idée est que les oiseaux y nichent et y pondent des œufs qui pourront être stérilisés par la main de l’homme. Mais la méthode n’est efficace qu’en l’absence de source de nourriture extérieure.
Ils se multiplient ces derniers mois aux quatre coins de la France : les pigeonniers dits « contraceptifs » ou « de régulation ». On peut apercevoir ces cabanes en bois, perchées à plus de deux mètres de haut, notamment à Marseille (lire bonus). Les premières sont apparues à partir de 2013, sous la mandature de feu Jean-Claude Gaudin (maire Les Républicains de 1995 à 2020). Douze sont actuellement en place, dans presque autant de parcs et jardins municipaux. Et de nouvelles sont encore en passe d’être installées par l’actuelle municipalité Printemps marseillais.
Objectif : remédier à la « surpopulation » de ces oiseaux, estimés à 80 000 dans les rues de la deuxième ville du pays. « Les fientes de pigeon dégradent les bâtiments historiques et les places », expose Christine Juste, adjointe au maire déléguée à un vaste portefeuille comprenant celui de « l’animal dans la ville ». S’y ajoutent des « nuisances sonores », en raison des « roucoulements incessants », et des « risques sanitaires », notamment de prolifération de maladies.
Donner envie aux pigeons de s’installer
Concrètement, le rôle du pigeonnier est d’abord de fidéliser les pigeons sur un site choisi. Pour cela, il leur offre un espace où faire leur nid et trouver de la nourriture. Jusqu’à 100 couples peuvent y nicher. L’intérieur est doté de surfaces planes et sans recoins, de cases spacieuses et d’un dévidoir à graines. Bref, de conditions idéales pour que les femelles y pondent leurs œufs.
C’est là que ces infrastructures présentent un autre intérêt. Les œufs étant accessibles, ils peuvent être stérilisés par la main de l’homme. Qui peut les secouer, les remplacer par des œufs factices ou en fêler légèrement la coquille. L’important est de les laisser sur place, d’en laisser un certain nombre intact et à même de voir éclore un pigeonneau. « Il faut montrer aux adultes que c’est un lieu propice à leur reproduction, sinon ils vont le fuir », glisse Christine Juste.
Ces opérations de stérilisation sont réalisées au minimum toutes les deux semaines par un prestataire missionné par la mairie. Des visites qui sont aussi l’occasion de s’assurer de la bonne santé des oiseaux. Et le cas échéant, de les soigner.
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Pas de miracle

Les pigeonniers font partie des mesures préconisées par la Ligue de protection des oiseaux (LPO) pour réguler le développement des colonies de pigeons en ville (bonus). « Pas pour réduire la population », nuance Benoît Viseux, responsable de projet Médiation Faune Sauvage au sein de l’association. « Les pigeons peuvent être gênants dans certains endroits, mais ils ne sont pas nuisibles. Surtout, leur prolifération est la résultante de nos pratiques. L’architecture des villes leur permet de se poser et nicher un peu partout. Et on a tendance à laisser pas mal de nourriture disponible dans les espaces publics, sans compter que des personnes en distribuent », résume-t-il.
Un contexte qui dessert l’efficacité des pigeonniers. « Si les pigeons arrivent à trouver à manger ailleurs, ils ne s’y installent pas forcément. Ce n’est pas une solution miracle. Elle doit être accompagnée d’autres actions », appuie l’expert. Et particulièrement d’une campagne de sensibilisation auprès de la population sur l’importance de ne pas laisser d’accès à de la nourriture. Qu’il s’agisse des déchets des poubelles ou du nourrissage volontaire des oiseaux.
Le problème du nourrissage

La Ville de Marseille a pris le problème à bras le corps. « On a repromulgué un arrêté municipal pour rappeler que le nourrissage des animaux sur la voie publique est interdit. Il y a une amende à la clé », prévient Christine Juste. Et son montant peut atteindre jusqu’à 450 euros en vertu de l’article 120 du règlement sanitaire départemental. L’adjointe préfère néanmoins la voie de la sensibilisation à celle de la punition. « On ne peut pas résoudre cette situation du jour au lendemain. Le chemin est compliqué et ne peut se faire qu’avec les habitants », considère-t-elle. La précédente mandature n’aurait pas été suffisamment proactive sur ce sujet de la sensibilisation, d’après elle. Si bien qu’elle se dit dans l’impossibilité de tirer un bilan des dix premières années des pigeonniers.
Benoit Viseux insiste de son côté sur le fait que le pain, principal aliment lancé aux pigeons, est néfaste pour eux. Il s’avère trop salé, difficile à digérer et responsable de problèmes osseux. Plus globalement, la LPO recommande de ne pas nourrir les oiseaux car ils perdent alors l’habitude de le faire seuls dans la nature, comme l’explique l’association sur son site internet.
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Déploiement à l’horizon

La municipalité marseillaise a en outre conscience qu’il faudra plus de pigeonniers pour arriver à réguler le nombre de ces oiseaux. Une seule de ces cabanes coûte quand même 20 000 euros à l’installation. Sachant qu’il faut ensuite prévoir une enveloppe pour l’entretien et la maintenance – ce qui s’élève à 72 000 euros annuels pour les douze existants.
Elle a néanmoins décidé de débloquer un budget supplémentaire afin d’assurer leur déploiement. Et en parallèle stoppé la pratique d’une autre méthode de stérilisation, qui consistait à intervenir directement sur les pigeons. « L’association Paz (ndlr : qui défend les intérêts des animaux) nous a interpellés il y a deux ans sur cette méthode incluse dans le marché passé avec notre prestataire sous l’ancienne mandature. Car elle s’avère douloureuse pour les oiseaux et entraîne souvent leur mort. Après concertation, notamment d’autres associations de protection animale, on a décidé d’y mettre fin et de basculer les sommes allouées au profit des pigeonniers », indique Christine Juste.
Deux nouvelles cabanes doivent être érigées en 2025, au nord et au sud de la ville. Et d’autres suivront ces prochaines années. ♦
*Cet article a été initialement publié le 25 novembre 2024
Bonus
# Les pigeonniers « contraceptifs » ont la cote – Plusieurs villes les expérimentent depuis quelques mois. C’est le cas notamment de Strasbourg, Roubaix, Montpellier ou encore Avignon. D’autres depuis plus longtemps, à l’image de Marseille donc mais aussi de Tourcoing. La première installation de ce type d’infrastructure remonte à 1995 à Châtillon dans les Hauts-de-Seine, à l’initiative de la Société protectrice des oiseaux des villes (SPOV).
# Les autres mesures pour réguler le développement des colonies de pigeons en ville – La LPO en liste plusieurs. Comme tendre des fils en inox. « Des câbles tendus entre des tiges empêchent les pigeons de se poser. Cette méthode inoffensive et peu onéreuse s’avère discrète et idéale pour les monuments », souligne-t-elle. Il est en outre possible de recourir au faucon pèlerin, prédateur naturel du pigeon. Revégétaliser les espaces urbains favorise par ailleurs l’installation de nouveaux écosystèmes et de potentiels concurrents du pigeon. L’association s’oppose en revanche à l’installation de filets « car de nombreux oiseaux se retrouvent piégés et meurent d’épuisement ». Elle s’affiche aussi contre le gazage, l’euthanasie et tout matériel pouvant tuer ou faire souffrir l’animal.