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Précarités alimentaires : un marché bio et local au pied d’une cité
37% des Français se déclarent en insécurité alimentaire en 2023. C’est trois fois plus qu’il y a huit ans, dans un contexte d’inflation et de crise du pouvoir d’achat. Manger des produits bio et locaux peut paraître utopique. Pas pour Action contre la Faim qui a cofondé en mai 2024 un dispositif innovant au cœur de la cité de la Viste, dans les quartiers nord de Marseille. C’est un marché avec des producteurs engagés et trois prix différents. Un espace chaleureux où les habitants du quartier se retrouvent.
Le mistral souffle ce mardi de novembre au marché de la Viste, installé sur la placette devant le Centre social Del Rio. Pas de quoi décourager les habitants, venus en nombre se ravitailler. Kaira, flanquée de son bébé en poussette, patiente devant Graines de Soleil, maraîcher bio de Châteauneuf-les-Martigues en train d’aménager son étal. Elle sait déjà ce qu’elle va acheter : poires, pommes, épinards, brocolis, tomates « les dernières ! », se réjouit cette mère au foyer. Elle tient à donner du bio, local et de saison à ses enfants, « car c’est meilleur pour la santé », poursuit celle qui vient d’arriver dans un quartier où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.
♦ Le festival AlimenTERRE revient pour sa deuxième édition, du 16 octobre au 16 novembre 2025. Sa sélection de films documentaires amène les citoyens à s’informer et comprendre les enjeux agricoles et alimentaires en France et dans le monde.
Un quartier en situation de pauvreté

Action contre la Faim (ACF), qui lutte pour le droit à l’alimentation, a créé ce marché avec des acteurs locaux, le Centre social del Rio et Graines de Soleil (bonus), suite à des diagnostics sur la situation du quartier de la Viste. « Il existe un fort taux de concentration de détresse et d’inégalités, y compris alimentaires. Et un public invisibilisé qui a potentiellement droit aux aides sociales, mais n’en bénéficie pas », détaille Aloys Vimard, chargé de projet. Raison pour laquelle ACF a enrichi le marché avec des permanences de Santé et Environnement Pour Tous (SEPT) et du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) (bonus).
Un accès à des produits bios et locaux

Geneviève s’approvisionne parfois chez Carrefour et au marché aux puces « parce que c’est moins cher. Mais ici, c’est quand même de meilleurs produits. Je ne peux pas m’en payer tous les jours, mais de temps en temps, ça fait plaisir », confie-t-elle emmitouflée dans sa doudoune devant le stand pains, tenu par la boulangerie marseillaise Criscito. Elle achètera un ‘’pavé bio’’ et une part de brioche au chocolat. Cette habitante de la tour 1, qui vit seule, bénéfice du tarif ‘’coup de pouce’’ moins 25%, proposé par Action contre la Faim, à tous les habitants. Nadia n’habite pas la Viste. Elle n’hésite pas à prendre sa voiture, ne trouvant pas du « bio et du sain » dans son quartier. Elle jouit pourtant du coup de pouce.
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Trois prix affichés

Véronique, graphiste en free-lance, qui vit dans une maison derrière la cité, profite, elle aussi, d’une réduction de 25%. « En ce moment, vu l’état des commandes, j’en ai vraiment besoin ! », déplore cette quadra pimpante, tout en achetant un pain de campagne bio entier qu’elle tranche et congèle, « ça me fait quinze jours ».
À l’inverse, Adriane et Tosia décident de payer le plein tarif. « Ça fait plaisir de goûter de bons produits et en même temps de soutenir ce genre d’action. Et puis, on n’est que deux, on peut supporter le prix », explique la jeune femme, tout en regardant son compagnon remplir le cabas.
En faveur d’une alimentation pour tous

Le tarif coup de pouce est pour toute personne qui le sollicite, quel que soit son lieu d’habitation et ses revenus. « Il incarne notre volonté de nous adresser à tout le monde, sans condition », étaye Aloys Vimard. Il invoque l’autopositionnement : « Chaque personne se situe de façon déclarative en fonction de sa situation individuelle sans qu’elle soit étudiée par un tiers et sans présentation de justificatif ».
Les bénéficiaires des chèques d’accompagnement personnalisé (CAP) (bonus) disposent eux de 50% de réduction sur les produits. Idem pour les personnes possédant des bons d’achat distribués par le Centre social Del Rio. Grâce à ces coupons, Ada, cinq enfants et bientôt grand-mère, habituellement cliente d’Aldi, peut, pour une fois, acheter du poisson. Elle observe avec gourmandise l’étal La perle de Thau , qui vient de Sète. Sardines, maquereaux, dorades, rougets…
♦ La triple tarification existe ailleurs, comme sur les marchés de Saint-Marcellin et Dieulefit
Des précarités alimentaires

Ces différents profils correspondent à diverses précarités alimentaires. Un pluriel important pour Manon, bénévole ACF et doctorante sur la thématique d’un accès équitable à une alimentation de qualité (bonus). Elle distingue deux précarités principales. Les personnes qui, comme Nadia, n’ont pas accès à une alimentation de proximité correspondant à leurs critères et à leur choix. Et celles qui n’y ont pas accès pour des raisons économiques. « Notamment celles qui n’ont pas assez d’argent pour se nourrir et celles qui n’en ont pas assez pour choisir », détaille la doctorante.
Elle trouve ce marché d’autant plus intéressant qu’il se situe hors centre-ville et investit l’espace abandonné par les commerces.
Des producteurs engagés

Pour garantir des petits prix pour les consommateurs et la pleine rémunération pour les producteurs, Action contre la Faim prend en charge le reste à payer grâce à ses partenaires financiers et ses fonds propres. Elle choisit les producteurs pour leur diversité. Mais aussi leurs valeurs, telles que la lutte contre la précarité, le droit alimentaire pour tous et la production de l’agriculture biologique
« C’est bien de donner l’opportunité à des gens du quartier de manger frais », appuie Christophe Cambon, de La perle de Thau. À côté de lui, comme sur chaque stand, un bénévole d’Action contre la Faim (ACF) trace les achats sur une interface développée par l’association.
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Un espace convivial pour se rencontrer

Micheline a du mal à boucler les fins de mois. Une fois son loyer payé – 900 euros, il ne lui reste pas grand-chose « pour manger ». Le marché est une bouffée d’air au sens propre comme au figuré pour cette dame âgée sous oxygène. « Heureusement qu’il y a le marché, sinon je ne sors pas. Je vois les gens, ils sont tous là, et en même temps, j’achète. En plus, les personnes du marché montent mes courses », raconte celle qui vit au quatrième étage sans ascenseur. Véronique, la graphiste, aime retrouver les anciens parents d’élèves de l’école de son fils. « À part les bars à chicha, il n’existe pas de lieu pour se retrouver ».

d’Alim’mater. Avec Clelia Blanchi (à droite) et la psychologue de la PMI (au milieu) @Marcelle
En quelques mois, le marché est devenu le point de rendez-vous du quartier, familial et intergénérationnel. D’ailleurs, il arrive que des habitants s’arrêtent, sans acheter. Juste pour le plaisir de goûter à cette convivialité renforcée par le Centre social Del Rio qui offre le café et diffuse des musiques du monde. Il faut voir les enfants de la crèche, venus en visiteurs, se dandiner sous le regard attendri des clients. Un peu plus loin, devant le poissonnier, deux mamans discutent. Elles reviennent d’un atelier sur une alimentation saine et équilibrée, dispensé par Alim’mater à la PMI (Protection maternelle et infantile) les jours de marché. « Un mardi pour les femmes enceintes et l’autre, pour les jeunes mamans, explique Clelia Bianchi, fondatrice de l’association. On emmène ensuite le groupe à la découverte des produits. Avec des chèques découvertes d’ACF, qui leur donnent moins 50% pour huit mois ».
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Un écosystème fragile
Le marché ne désemplit pas depuis sa création. « Sauf l’été où il y a moins de monde et si le mardi tombe avant le 5 du mois, date à partir duquel les prestations sociales et parfois les salaires sont virés », observe Blandine Samson, encadrante technique pour l’association Graines de Soleil. Action contre la Faim se heurte, de son côté, à plusieurs freins. Dont « la fragilité de l’écosystème dans un contexte de coupes budgétaires et de moyens humains », pointe le Fanchon Oudjani, co-chargée de projet. Le marché sera néanmoins maintenu en 2026, avec un projet de diversifier l’offre et de l’étendre à tous les mardis.
Ail, persil et sauce aux câpres

Le marché touche à sa fin, Kaira repart avec un cabas bien rempli de fruits et légumes. « Il m’a seulement coûté une vingtaine d’euros », se félicite la jeune maman, tout en regrettant l’absence « des œufs de la ferme bio ». Ada, la bientôt grand-mère, s’est autorisée des crevettes, « 19 euros le kilo, au lieu de 39 ! ». Elle les cuisinera ce soir avec ail, persil et sauce aux câpres. Micheline est encore là, assise sur un banc en pierre, son oxygène à ses côtés. Elle papote gaiement avec les passants et profite encore du soleil, avant de remonter dans sa tour. ♦
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Bonus
[pour les abonnés] – À propos d’ACF – Les permanences Santé et environnement pour tous – Avec le CCAS concerné – <!–more–>