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Comment remettre de la chlorophylle dans les zones urbaines
Sols artificialisés, habitat densifié, manque d’espaces verts, canicule, pollution… Pour contrebalancer un cadre de vie urbain toujours plus étouffant, l’entreprise salonaise OliviAnne conçoit et plante des haies fruitières, des toitures végétalisées, des îlots de fraîcheur et de biodiversité, des micro-forêts. Sur de petits espaces. En ville. En s’inspirant de la méthode japonaise Miyawaki, d’abord mise en œuvre en zone tropicale et expérimentée en France depuis 2016. Anne Desmaison en est convaincue : chaque arbre ou arbuste compte.
Anne Desmaison avait l’habitude de présenter OliviAnne, son entreprise, en disant qu’elle avait vocation à « sauver la Provence ». Jusqu’à ce qu’un interlocuteur la provoque en demandant : « En plantant moins d’une dizaine de micro-forêts par an ? » « Je me suis dit qu’il allait peut-être falloir que je reformule » sourit-elle humblement. Déterminée à planter bien plus de dix micro-forêts par an, et à être le colibri qui éteint l’incendie. Car c’est bien cette volonté qui a poussé cette ingénieure en infrastructures informatiques à changer radicalement d’aiguillage. Pour emprunter une voie verte.

Du reboisement à la « re-naturation »
Elle avait commencé à s’y engager en prenant soin de ses 60 oliviers acquis entre Eyguières et Lamanon, dans les Bouches-du-Rhône. Ravie de découvrir, « à [s]es heures perdues », « le plaisir de travailler dehors et d’obtenir un produit fini », né de ses mains. Puis elle a avancé plus loin sur ce chemin. « La multiplication des grands feux, les canicules à répétition… explique-t-elle. Mes oliviers avaient chaud, soif. Le réchauffement climatique, ce n’est pas que dans les livres. »
Alors elle a voulu reboiser les massifs. Parce que comme elle le dit elle-même, elle ne fait jamais rien à moitié. Mais la mission était trop complexe. C’est en revanche en faisant des recherches sur la reforestation qu’elle a découvert la méthode Miyawaki (voir bonus). Une méthode japonaise qui repose sur la plantation aléatoire et dense de végétaux régionaux (3 par m²), adaptés au sol et au climat, sur de petites surfaces urbaines.
Une révélation pour Anne Desmaison : « C’est dans les villes qu’il fait le plus chaud, qu’il y a le plus d’inondations, que les sols sont tassés, pauvres, morts… C’est là que l’on a le plus besoin de nature et qu’il faut sensibiliser. » Elle s’est donc formée à la méthode avec le leader belge Urban forests et a commencé, début 2022 avec OliviAnne, à proposer des micro-forêts urbaines, des haies fruitières, des îlots de fraîcheur et de biodiversité, des toitures végétalisées. À « renaturer, avec les gens ». Lors de chaque plantation, habitants du quartier, élèves des écoles voisines ou simples passants sont invités à creuser et glisser leurs godets. Après avoir remué le sol à la pelle mécanique pour l’aérer, puis ajouté du compost et des fertilisants naturels.

La méthode Miyawaki appliquée dans le sud-Est
Si Toulouse, pionnière en France, a créé une dizaine de micro-forêts depuis 2016 – suivie rapidement par d’autres villes comme Lyon, Nantes ou Paris – le Sud-Est de la France est à la traîne. OliviAnne est la seule entreprise implantée dans la région à proposer ces réalisations. La faute à la chaleur et la sécheresse, qui compliquent la donne ? Pas forcément, estime Anne Desmaison : « C’est plus compliqué ici, mais ça marche. On a des végétaux qui grandissent et qui fleurissent, avec très peu d’entretien. » Cela se résume à un peu d’arrosage l’été, environ toutes les trois semaines, ainsi qu’à deux désherbages par an, les trois premières années.
Ensuite, la micro-forêt est autonome. « Des espaces verts classiques vont consommer 550 m3 d’eau par an, à vie, et disparaîtront en cas d’arrêté sécheresse, tandis que les micro-forêts vont demander 30 m3 par an, sur seulement trois ans, et se contenter des pluies par la suite », insiste Anne Desmaison.
À chaque site sa « palette végétale »
Les végétaux sont scrupuleusement choisis, pour chaque parcelle, pour qu’ils puissent s’y adapter et y être autonomes.
Car les végétaux retenus sont « ceux que l’on retrouve dans les collines alentours ». Que cette adepte de randonnée connaît très bien. La « palette » n’est donc pas la même à Pont-Saint-Esprit dans le Gard, à Montpellier dans l’Hérault, à Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence ou à Fréjus dans le Var. Les financements non plus, puisqu’elle a pu s’appuyer, selon les projets, sur du mécénat privé, une fondation, un fonds vert ou encore sur Sugi, qui finance des « forêts de poche » partout dans le monde.
À Salon-de-Provence, où nous l’avons retrouvée en plein désherbage, 26 variétés indigènes produites non loin de là cohabitent sur un terrain de 205m² appartenant à la Ville, grâce au financement de Biotech Dental. Des cistes, des genêts, du chèvrefeuille, des lavandes, des chênes… C’est la première micro-forêt créée par OliviAnne, en novembre 2022. Près de jardins familiaux, de l’autoroute, de logements sociaux et de maisons individuelles. Et les 615 végétaux ont bien poussé, en un an et demi. Certains nous arrivent déjà à hauteur d’épaule. D’autres sont en fleurs en ce printemps capricieux et attirent les insectes qui viennent butiner. « La semaine dernière, il y avait plein de papillons », note l’«écoconceptrice».

Anne Desmaison, colibri déterminé
Certes, 205 m², ce n’est même pas la taille d’un square. Et la haie fruitière manosquine ne s’étend que sur 54 mètres. Mais 1800 m² ont été traités à l’initiative de gîtes périurbains spiripontins. Et 1000 m² à Fréjus. « Si on attend sans rien faire, il ne va rien se passer », rappelle le colibri, qui espère pouvoir déposer de plus en plus de gouttes d’eau sur cet océan de béton. « Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a 20 ans, le deuxième c’est maintenant. »

Il est difficile, pour l’heure, d’estimer l’impact d’une micro-forêt sur la qualité de l’air et les températures aux alentours. Mais des études ont été lancées (voir bonus). « Ce qui est certain, c’est qu’elle séquestre les particules fines. Même un seul arbre le fait. C’est toujours ça qui n’est pas dans nos poumons. En plus, les végétaux produisent de l’oxygène qui améliore forcément la qualité de l’air, martèle Anne Desmaison, qui a reçu le label « entreprise engagée pour la nature » remis par l’Office français de la biodiversité (voir bonus). On va la sauver la Provence ! » ♦
Bonus
- Akira Miyawaki. Le docteur Akira Miyawaki, décédé en 2021, était un botaniste japonais expert en écologie végétale et en naturalité (caractère sauvage des milieux) des forêts. Il considérait que les forêts sont essentielles à la survie de l’humanité et plaidait, depuis les années 1970, pour leur restauration. Il en a ainsi rétabli rapidement sur plus de 1300 sites au Japon et dans divers pays tropicaux, de la zone Pacifique notamment. Des forêts, mais aussi des boisements et de bandes boisées, en ville notamment.
- Des études sur l’impact environnemental des micro-forêts. Anne Desmaison aimerait pouvoir placer des capteurs sur une micro-forêt et sur une parcelle témoin. Pour mesurer la température, l’humidité, la qualité de l’air sur chacune et comparer. Des analyses ont d’ores et déjà été lancées par l’université Paul-Sabatier de Toulouse ainsi que par l’entreprise Reforest’action. Elles devraient apporter des éléments précis sur l’impact des micro-forêts en France. Et compléter le rapport-plaidoyer réalisé par Urban forests, leader dans l’implantation de micro-forêts en Europe. Il y est annoncé, en moyenne, un rafraîchissement de 2°C minimum localement, une absorption de 15% des particules fines, une réduction du bruit de 10 dB pour une micro-forêt mature et 18 fois plus de biodiversité. Enfin, Urban forests assure que « 100 m² de forêt Miyawaki compense au long terme un an d’émissions carbone d’un Européen ».
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- L’Office français de la biodiversité (OFB). L’Office français de la biodiversité (OFB) est un établissement public dédié à la protection et la restauration de la biodiversité. Créé au 1er janvier 2020 , il est sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Il œuvre « pour la préservation du vivant dans les milieux aquatiques, terrestres et marins ». Et il « joue un rôle essentiel pour lutter contre l’érosion de la biodiversité face aux pressions comme la destruction et la fragmentation des milieux naturels, les diverses pollutions, la surexploitation des ressources naturelles, l’introduction d’espèces exotiques envahissantes ou encore les conséquences des dérèglements climatiques ».