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Par Patricia Guipponi, le 6 août 2025

Journaliste

Reconversion agricole : du berceau au bercail

Béatrice de Kerimel et ses vaches de race Aubrac et Mirandaise © Patricia Guipponi

[bestiaire] Après des années à exercer le métier de sage-femme, Béatrice de Kerimel se questionne – charge de travail, le malmenage du service public de la santé, manque de reconnaissance des soignants… Et décide de devenir exploitante agricole dans le Volvestre, en Haute-Garonne. Un retour aux sources et à l’essentiel pour la mère de quatre enfants, fille d’agriculteurs.

« Alors les vaches, c’est toi qui les accouches ? » Cette question revient souvent lorsque Béatrice de Kerimel raconte son parcours. Logique. Cette Audoise de naissance a choisi de troquer sa blouse de sage-femme pour les bottes d’éleveuse de bovins allaitants. Alors forcément, elle s’y connaît en nouveau-nés. Dans sa ferme de Plaisance de cent hectares, sur les coteaux de Montesquieu-Volvestre, en Haute-Garonne, pâturent vingt vaches (de races Aubrac et Mirandaise), un taureau, six génisses, trois bœufs et une dizaine de veaux. Un cheval et deux chats complètent la tribu bovine.

Pourtant, il y a cinq ans à peine, rien ne prédestinait Béatrice à s’associer en tant qu’exploitante agricole à son mari Paul, ancien militaire devenu agriculteur. Elle exerçait alors le métier de sage-femme qu’elle avait choisi d’embrasser au lycée. « Je voulais travailler dans le médical et en feuilletant de la documentation, j’avais trouvé que cette profession me correspondait ».

Être au cœur de la santé des femmes

Ses parents, agriculteurs, ne la poussent pas dans cette voie. « Je n’y pensais même pas », raconte Béatrice de Kerimel. Jean, son grand-père paternel, l’envisage encore moins. « Il souhaitait que nous fassions des études poussées, des métiers intellectuels, comme philosophe. Il avait déjà eu du mal à voir mon père, ingénieur agronome, choisir la terre ». Et quand elle lui annonce que ce sera sage-femme, il lance : « Accoucher les femmes, c’est bien. Accoucher les âmes, c’est mieux ».

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Les vaches de race Aubrac ont une place de choix dans l’élevage de la ferme de Plaisance © DR

Béatrice passe le bac puis rejoint un lycée pour préparer l’école de sages-femmes. « À l’époque, il ne fallait pas entrer en médecine. Les études duraient quatre ans ». La jeune Chaurienne suit son cursus à Toulouse, où elle est reçue. Les années sont très chargées et riches, alternant cours et stages. « Elles ont confirmé que ça me plaisait. J’étais dans mon élément ». Béatrice vit comme un sacerdoce la voie qu’elle a choisie et les responsabilités que cela implique dans le suivi des mamans et des bébés.

« La sage-femme est une personne diplômée sur le plan médical, au même titre qu’un médecin ou un dentiste. Elle peut prescrire. Elle suit la grossesse d’une femme, l’accompagne durant le travail d’accouchement et dans le post-partum », explique Béatrice. De plus, elle peut assurer le suivi gynécologique de l’adolescente à la femme ménopausée. « Son champ d’action sur tout ce qui touche à la féminité est très vaste. Elle est au cœur de la santé des femmes ».

Surcharge de travail, délitement du service public, manque de reconnaissance des soignants

Béatrice de Kerimel a déjà un emploi à sa sortie de l’école en 2005. Elle commence à travailler en hôpital à Chambéry, où son mari est chasseur alpin. « Je me suis sentie très libre de pouvoir enfin exercer. Je n’ai fait que de l’accouchement. C’est la période où j’ai reçu le plus de cadeaux de patientes ! ». Ensuite, elle rejoint Albertville avant d’atterrir en Bretagne où son époux fréquente l’École militaire, pour devenir officier. Elle est alors enceinte du premier de ses quatre enfants. « Lors de mon accouchement à la maternité de Ploërmel, j’ai trouvé du travail. Quand j’ai dit que j’étais sage-femme, on a voulu me garder ».

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Les vaches Mirandaises ont rejoint l’élevage quand Béatrice est devenue agricultrice ©DR

Le temps qu’elle y passe est très formateur. « J’avais la chance d’être entourée d’une cadre et une équipe exceptionnelles et solidaires. À cette époque, j’ai eu beaucoup d’émotions et de bouleversement à gérer en raison de l’arrivée de mon bébé et du décès prématuré de ma mère ». Elle connaît aussi un grand choc du fait d’un accouchement qui tourne mal. « La maman a convulsé et on a failli la perdre ainsi que son nouveau-né ».

C’est un tournant décisif pour Béatrice qui prend conscience des situations périlleuses pouvant se présenter. « J’ai compris que tout pouvait basculer très vite. Mais aussi que je ne pourrais pas vivre dans ce stress de nombreuses années ». La surcharge de travail, le malmenage du service public et de la santé en général, le manque de reconnaissance des soignants l’amènent à se questionner. « Quand on est jeune sage-femme on fonce, quand on prend de l’expérience, on réfléchit ».

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Merveilleux et sacré retrouvés dans le métier d’agricultrice

L’armée terminée, Paul choisit de devenir exploitant agricole. Il a trouvé une ferme bio à Montesquieu-Volvestre et tient également une boucherie à Toulouse. Béatrice travaille à Foix, puis à l’hôpital de Saint-Girons. Elle exerce également un temps en libéral et fait les vacations en clinique. La route est usante pour l’un comme pour l’autre. De surcroît, il faut s’occuper des enfants, s’organiser en fonction des horaires de l’école. « C’est là, après toutes ces accumulations, que l’idée de revenir à la terre a fait son chemin. Du jour au lendemain, j’ai dit : ‘’Il faut que j’arrête’’».

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La ferme de Plaisance se situe sur les coteaux de Montesquieu-Volvestre, commune rurale de la Haute-Garonne © DR

En 2019, Béatrice prend un an de congé parental. Elle reste sur l’exploitation. « C’est vrai que c’était plus pratique, plus logique. Quand mon mari n’était pas là, c’est moi qui courais après les vaches, qui œuvrais à la ferme ». Elle passe par correspondance un brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole. L’obtient. C’est à ce moment-là qu’on l’appelle pour prendre un poste à plein temps à la Protection maternelle et infantile. « Un vrai choix à faire. J’ai trouvé intéressant d’avoir à me poser cette question. La ferme s’est imposée comme une évidence ».

Béatrice n’a jamais rien regretté. Malgré les complications administratives au début et même si le métier d’agriculteur n’est pas facile et que ses revenus sont moins importants et sécurisants que ceux qu’elle touchait comme sage-femme. « Je fais mon métier avec autant de passion que le premier. Le merveilleux et sacré que je trouvais dans l’accompagnement à la naissance des bébés, je le retrouve dans la nature et dans la vie de la ferme ». 

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Pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement  

L’agricultrice de 42 ans est sûre de son choix. « Je suis à ma place. Cette vie avec les animaux en pleine nature est un besoin physique et vital. C’est sain et essentiel ». Elle milite pour une agriculture respectueuse de l’environnement et pour une reconnaissance des métiers paysans. Va sous peu rejoindre un groupe de travail qui planche sur l’utilisation des plantes médicinales pour les élevages. « J’ai pu tester l’homéopathie sur les bovins pour des soucis ponctuels et je pense que cela rentre dans la logique d’une agriculture plus raisonnée ».

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Béatrice de Kerimel organise des randonnées dégustation pour faire découvrir la diversité de son territoire © DR

Cette dynamique quadra a projeté un temps d’ouvrir des chambres d’hôtes et de cocooning post-natal afin d’allier toutes ses compétences. Le projet, qui n’a pu aboutir pour des questions de refus d’extension du bâti, est donc mis entre parenthèses. « En attendant, je veux faire profiter du ce cadre exceptionnel de nos prairies très diversifiées, entretenues par nos vaches. Comme j’aime cuisiner, je me suis lancée dans des randonnées-dégustation ».

Il n’y a pas si longtemps, Béatrice répondait, lorsqu’on l’interrogeait sur ses activités, qu’elle était une agricultrice reconvertie. « Cela sous-entendait le premier métier de sage-femme, que je garderai bien sûr toujours en moi. Aujourd’hui, je réponds spontanément « agricultrice » sans rien ajouter ». Ses vaches se débrouillent toutes seules quand leurs petits se présentent. « Ce sont des races rustiques et on sélectionne les taureaux pour que ça ne fasse pas de trop gros veaux. Donc, je ne les accouche pas ! ». ♦

*Cet article a été initialement publié le 4 décembre 2024