Environnement

Par Patricia Guipponi, le 12 février 2025

Journaliste

Sentinelles de Rivières : non aux déchets, oui à l’insertion !

Lors d’une mission sur le Lez, fleuve d’une trentaine de kilomètres qui se jette dans la mer. © Sentinelles de Rivières

Sentinelles de Rivières a été lancé par des passionnés de kayak, confrontés à la surabondance de déchets dans et aux abords du Lez, fleuve héraultais où ils pagayaient. L’idée a alors germé de s’investir dans le nettoyage des berges souillées, tout en permettant à des personnes loin de l’emploi de retrouver la confiance et la voie de l’insertion.

Tout est parti de sorties en canoë-kayak sur le Lez, fleuve de l’Hérault qui traverse l’agglomération de Montpellier. Marie-Hélène Cocq s’adonnait à son plaisir de pagayer avec d’autres kayakistes. « Nos rames touchaient systématiquement des déchets ». Pas facile de naviguer ainsi, mais surtout pas terrible de constater l’ampleur de la pollution des eaux. « Pour profiter pleinement de cette activité nautique, il faut que les plans d’eau soient entretenus et l’environnement préservé. Ça questionne sur le civisme des gens. Pourquoi jeter ses rebuts dans la nature alors qu’il y a des poubelles ? ».

Le groupe de kayakiste a alors organisé des événements pour sensibiliser le grand public à cette réalité. Surtout, sous la houlette du Comité régional de canoë-kayak d’Occitanie, Marie-Hélène et ses amis ont encadré des opérations de nettoyage du Lez et de ses berges avec le concours de personnes condamnées à des travaux d’intérêt général. « Nous avons pu monter une équipe que l’on a accompagnée durant plusieurs jours d’affilé. Cela s’est avéré plus efficace que les ramassages ponctuels ».

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Marie-Hélène Cocq est l’une des personnes à l’origine de la création de Sentinelles de rivières. © DR

Par ailleurs, ceux qui s’étaient retroussé les manches pour traquer les déchets ont été félicités par les promeneurs, témoins de leur investissement. « Ce travail que l’on considère à tort comme dégradant, puisqu’il traite de déchets, s’est révélé valorisant pour ceux qui l’ont accompli. Certains étaient désociabilisés, loin de l’emploi. Pour eux, cette expérience a été plus que gratifiante ».

Porter un projet pérenne au service des eaux et des plus défavorisés

Non contents de rendre les eaux propres à force d’opérations répétées dans le temps, nombreux sont ceux qui ont pu reprendre confiance et se sentir utiles. « Partant de là, on s’est dit qu’il fallait plus que de simples opérations pour faire avancer les choses et que nous pourrions proposer des prestations de nettoyage plus régulières, combinées avec l’insertion et la rémunération de personnes éloignées de l’emploi », poursuit Marie-Hélène Cocq.

Le travail accompli s’est révélé gratifiant pour les personnes loin de l’emploi. ©DR

Toutefois, pour rendre ce projet pérenne, le temps, les financements et les soutiens manquaient. Mais le hasard a bien fait les choses. « Fin 2019, quand le Département de l’Hérault et la Région Occitanie ont lancé leurs Budgets participatifs (*) respectifs, je me suis retrouvée à la retraite. J’avais tout le loisir de monter des dossiers pour présenter notre candidature ».

L’association Sentinelles de Rivières voit le jour en mars 2020 pour pouvoir concourir aux financements citoyens. Avec l’objectif clairement affiché de participer à l’insertion de personnes éloignées de l’emploi, ou en travail d’intérêt général, tout en proposant des formations et des expériences dans l’entretien des rivières, la renaturation des berges, la valorisation des déchets récoltés, la sensibilisation du grand public.

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Les dividendes sont réinvestis et servent à embaucher

Le projet a été plébiscité à la fois par les votes citoyens des Budgets participatifs de l’Hérault et de l’Occitanie. Cela a permis à Sentinelles de Rivières d’investir dans du matériel et de mieux s’organiser. « Nous nous sommes rapprochés de l’Union régionale des Scop d’Occitanie avec la volonté d’évoluer vers une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) », précise Marie-Hélène Cocq.

La structure s’est constituée en 2024. « Elle permet d’avoir les mêmes types de valeurs qu’une association à but non lucratif. On ne se partage pas les dividendes mais on les réinvestit et on embauche ». La SCIC comprend les membres cofondateurs de la structure d’origine, ainsi que des associations comme les Ecologistes de l’Euzière ou encore des experts comme le paysagiste en renaturation des berges Geco Ingénierie. Chacun apporte ses connaissances et ses compétences pour faire avancer les desseins du collectif.

Sentinelles de Rivières n’a toutefois pas attendu de changer de statut pour débuter ses actions. « En 2021, on a pu candidater à un appel d’offres de marché public de la Métropole de Montpellier qui demandait un entretien méticuleux d’une partie du Lez et de ses berges ». En 2023, l’association a remporté un second appel d’offres relatif au nettoyage des parcs traversés par des ruisseaux, affluents du Lez. « Ce sont de petits cours d’eau avec peu de débit, mais beaucoup de déchets », indique la kayakiste.

La SCIC a remporté en 2021 un premier appel d’offres de la Métropole de Montpellier. © SDR

Travail sur les berges et soutien personnalisé pour les personnes en insertion

Actuellement, Sentinelles de Rivières prend sous son aile et rémunère quatre personnes en insertion : deux éloignées de l’emploi et deux réfugiés. « On peut les former aux espaces verts étant donné que notre encadrant technique en est un expert. Elles apprennent aussi les spécificités du nettoyage des rivières grâce à Geco Ingénierie ». Et quelques rudiments de canoë même si la pirogue est pilotée à deux, dont un kayakiste plus confirmé.

Les travaux de débroussaillage font partie des prestations assurées. © SDR

Les journées sont bien rodées. Le matin, l’équipe se rend sur certaines parties du Lez, en kayak ou à pied selon la nécessité. Elle effectue le nettoyage des lieux et le ramassage des déchets, le débroussaillage, le petit élagage, ainsi que l’arrachage des espèces invasives. L’après-midi est consacré au petit bricolage et au soutien individuel. Cela va des cours de français à l’appropriation des outils numériques, en passant par la préparation du code pour le permis de conduire.

« C’est selon les besoins de chacun. On essaie d’aider les personnes que nous encadrons à trouver un emploi pérenne, car nos contrats ne sont pas à durée indéterminée », explique Marie-Hélène Cocq. Chaque personne gagne en confiance et en autonomie. « On les voit progressivement se resocialiser, apprendre à respecter les consignes dont celle d’arriver à l’heure, de mettre des gants pour se protéger… Les plus anciens encadrent même les nouveaux. Ça leur donne de la responsabilité, de la légitimité ».

Trois remorques de 10m3 de déchets ramassés dans le Lez et ses affluents

Les équipes constituées ramassent les déchets jetés par terre, stockés dans l’eau, dans les fossés… Ainsi que ce qui a été balancé dans les cuvettes des toilettes : lingettes, cotons-tiges, protège-slips, tampons, préservatifs, blocs désodorisants… Une grande majorité de ces rebuts ne sont pas biodégradables. Mais surtout, n’ont pas à se retrouver dans la nature.

« Quand il pleut beaucoup, ça finit par déborder en amont du traitement des stations d’épuration et ça stagne dans les fossés », remarque Marie-Hélène qui déplore que les bouches d’égout et les WC servent de poubelles. « Ça finit toujours par revenir à la surface. Ça ne peut pas disparaître par magie, même quand on tire la chasse ». Toutes les semaines, trois remorques embarquent ainsi 10m3 de déchets récoltés dans et aux abords du Lez et de ses affluents. On peut y trouver des carcasses de trottinettes, de vélos, des chariots de supermarché, des pneus… « Quand on jette dans une rivière, on pense que ça descendra plus bas pour disparaître. Or, ce n’est pas le cas ».

Les berges du Lez sont de moins en moins souillées car Sentinelles de Rivières a réussi à les débarrasser des déchets les plus anciens. « On voit la différence. Mais malheureusement, bien que les plus jeunes soient très sensibilisés dans les écoles et comprennent les enjeux, d’autres vont continuer à jeter par terre. Même quand il y a une poubelle à proximité. Cela perdurera tant qu’ils ne seront pas pleinement conscients de ce que cela entraîne de négatif pour la planète et leur santé ».

On trouve de tout au fond de l’eau, réceptacle des déchets que l’on veut cacher. © SDR

Bonus

# C’est quoi un budget participatif ? Il s’agit dun dispositif grâce auquel des citoyens peuvent décider de l’affectation d’une partie du budget de leur collectivité territoriale. Cette dernière alloue alors une enveloppe budgétaire à des projets citoyens en lien avec l’économie solidaire et sociale, l’environnement, l’éducation, l’inclusion, la paix… Les lauréats sont sélectionnés via les votes des habitants du territoire concerné.

Cette initiative a vu le jour en 1988 à Porto Alegre au Brésil puis s’est diffusée un peu partout dans le monde. En France, la formule a pris dans les années 2000, en grande partie dans les villes où siégeait le Parti communiste. En 2024, les Budgets participatifs représentent un montant total de 184 millions d’euros d’investissement décidés par les citoyens.

Selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès, la Région Île-de-France représente près de la moitié du montant débloqué à l’échelle nationale (90,44 millions d’euros). Puis suivent les Régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie (19,13 et 14,95 M€). L’Occitanie a lancé le processus des Budgets participatifs en 2019. Il a permis d’accompagner 300 projets dont celui de Sentinelles de Rivières. Tous les habitants, âgés de 15 ans et plus, peuvent voter pour sélectionner les projets qu’ils préfèrent.