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Solidaires, les résidences agricoles et culturelles de Marestaing
Corine et Joël Lebret ouvrent leur domaine situé au sud de Toulouse, sur les hauteurs de Montesquieu-Volvestre, aux artistes africains. Ils ont aussi fait de Marestaing, leur havre de paix, une terre d’installation pour les migrants porteurs d’un projet agricole en milieu rural.
Octobre est arrivé et avec lui les couleurs de l’automne. Bientôt, les Pyrénées seront couvertes de neige. De la maison de Corine et Joël Lebret, on les voit très bien. Un sublime spectacle de dame nature qui fait du lieu-dit de Marestaing, sur les hauteurs de Montesquieu-Volvestre, un havre de paix. C’est là que le couple a posé ses valises. Le calme règne, surtout depuis que la pleine saison culturelle s’est achevée. Oumar Ball, l’artiste mauritanien qui séjournait en résidence chez les Lebret, a empaqueté ses affaires pour retourner au pays. Mais avant son départ, il n’a pas manqué de confier une œuvre à ses hôtes. Elle rejoindra celles laissées par ses prédécesseurs sur le chemin qui leur est dédié.
Des chambres et un atelier réservés aux résidents
Tout amoureux des grands espaces ferait bien volontiers son logis de la coquette demeure de Corine et Joël. Le couple a élu domicile à l’étage et réserve son rez-de-chaussée aux artistes africains en résidence de juin à octobre. Trois chambres, deux salons, une cuisine équipée, un atelier sont à la disposition de celles et ceux qui ont fait de l’art leur savoir-être.
Corine et Joël, Toulousains d’origine, ont choisi leur verdoyant paradis à quarante minutes de route de la ville rose pour se rapprocher de leur famille après une vie bien remplie passée en Afrique francophone. Algérie, Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée-Conakry, Cameroun. Joël est alors diplomate, conseiller ou attaché culturel, selon les postes, aux ambassades de France. Corine officie comme ingénieure des travaux publics. C’est elle qui suit son mari en fonction des mutations. « On revenait toujours en France entre deux postes pour ne pas être trop déconnectés », précise l’ancienne fonctionnaire.

Permettre à des sculpteurs africains de s’exprimer
En 2016, Joël prend sa retraite mais ne compte pas poser ses pieds en éventail pour autant. Il a en tête un projet culturel né de ses observations. « Il s’est rendu compte que lorsque les artistes africains atteignaient un certain niveau, ils ne faisaient que ce qui marchait pour pouvoir vivre. Ils avaient ainsi du mal à se remettre en question et à progresser dans leur créativité », raconte Corine. Et qu’ils produisaient, au risque d’être frustrés, de petites sculptures pour des facilités de transport et de vente.
Qu’à cela ne tienne. De son domicile pourvu de onze hectares de terres, le couple fera le siège de sa société coopérative d’art contemporain (SCAC), Marestaing. Sa vocation est d’accueillir en résidence des artistes africains. Dans ce vaste domaine, ces derniers peuvent aisément exécuter des œuvres de toutes tailles dont celles d’envergure. La salle d’exposition, ancien hangar bien aménagé, y est conséquente. L’atelier, lui, est pourvu d’un large outillage pour travailler la pierre, le fer, le cuir… Toutes les conditions sont réunies pour la bonne expression des artistes.

« Nous recevons deux sculpteurs par saison de résidence. Chacun reste six semaines et s’immerge dans la vie locale », indique Corinne. Viennent aussi d’autres artistes pour exposer leurs photos, leurs peintures… Ou pour assurer les animations musicales et théâtrales qui complètent le volet sculpture. Les artistes en résidence sont recommandés par des galeristes ou des ambassades de France. Ils sont également repérés par le jury international qui décerne le prix annuel de la sculpture à la biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’art), récompense initiée par Joël et Corine.
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Des réfugiés venus avec un projet agricole
La Scac Marestaing prend tout à sa charge. Les frais et l’indemnité de résidence, la nourriture… Parfois les billets d’avion. « Nous ne fonctionnons pas par subventions mais par partenariats », explique Corine. Les ressources de la société proviennent aussi des loyers modérés d’une autre maison située sur le site. Elle comprend deux studios en location classique ainsi qu’un logement T4 réservé à l’autre partie du projet qui a poussé Joël et Corine à créer la coopérative.
« Notre volonté était de permettre à des migrants de s’installer dans l’agriculture en milieu rural », confie Corine. Rien d’expérimental toutefois puisque l’aventure se veut pérenne. « Pour cela, ils disposent du logement mais aussi de terres sous forme de commodat, c’est-à-dire d’un bail gratuit le temps que le projet s’ancre ». L’objectif est que les migrants restent sur place et tirent leur revenu de leur activité. « C’est un vrai projet d’intégration économique. On nous a dit qu’il était unique en son genre ».

En juillet 2017, les Lebret ont accueilli une famille syrienne, un couple et ses deux enfants qui avaient transité par le Liban dans un camp de l’ONU. « Ils étaient paysans en Syrie mais ont dû quitter le pays. Leur propre armée avait bombardé leur village. Ils n’étaient plus en sécurité ». Autour d’eux, la solidarité s’est organisée. La Confédération Paysanne y a pris une grande part. Brebis, chèvres, poules ont été offertes par une quinzaine d’agriculteurs aux nouveaux venus. « C’était magnifique mais au bout de six mois, ils ont dû renoncer à continuer face à la lourdeur des règles imposées qui les dépassaient ».
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Fonds de dotation pour soutenir les investissements
Puis, le logement a servi d’hébergement à une maman et ses trois enfants qui avaient fui l’Algérie et un mari et père violent. La petite famille a été accompagnée, a pu se reconstruire et s’insérer. « Cette expérience nous a beaucoup enrichi sur le plan humain », reconnaît Corine, qui garde de très bons contacts avec les familles accueillies. Depuis janvier 2022, Issa, ingénieur agronome, réfugié politique du Niger, valorise les prairies et bois mis à sa disposition grâce à ses activités maraichères bio et l’élevage de moutons. Ce dernier a repris des études d’agronomie à Montpellier avec le projet de lancer une exploitation arboricole fruitière.

« Nous avons ouvert un fonds de dotation pour l’aider et pour financer nos actions culturelles. Il permet aux personnes de défiscaliser leurs dons à hauteur de 66% et les entreprises à hauteur de 60% », précise Corine. Pour elle, les deux volets culturels et solidaires de la Scac Marestaing ne font qu’un. Ils permettent de rapprocher les vivants, de casser les préjugés, de montrer le positif de chacun. Les cultures sont différentes, certes, mais les émotions, les mains tendues, les rires et les sourires sont les mêmes quel que soit le coin d’où l’on vient.
Au fil des saisons
La pluie est tombée ce matin, remplacée par un soleil d’automne qui caresse la plaine environnante, l’herbe encore mouillée. Corine travaille sur les évènements culturels à venir et sur la prochaine saison de résidences. Elle débutera mi-juin. Les noms des sculpteurs ne sont pas encore tout à fait arrêtés. Celui de la lauréate ou du lauréat du prix de la sculpture de la biennale de l’art contemporain Dak’art 2024, qui sera de l’aventure, sera connu le 7 novembre. Joël fera le voyage pour être sur place lors de la remise du prix. ♦