AgricultureSolidarité
Quelques gouttes de solidarité dans un océan de vins
Par ces temps difficiles, les vignerons se montrent généreux et pas seulement envers leurs congénères. Les cuvées solidaires se multiplient comme des petits pains pour participer à la sauvegarde du patrimoine, de l’environnement, aider des organismes de santé ou de société.
Les actions de solidarité se sont multipliées pendant le covid, notamment au bénéfice des hôpitaux, des organismes de recherche, du personnel soignant et même des restaurateurs. En général, elles passaient par l’organisation de ventes aux enchères de bouteilles, dont les fonds étaient redistribués aux bénéficiaires dans le besoin. Au-delà de ces actions ponctuelles et conjoncturelles, elles se révèlent parfois dans l’ADN des domaines. Ou plutôt de leurs propriétaires, particulièrement engagés ou sensibilisés à une cause. Outre les mécénats, parfois certains lui dédient même une cuvée, reversant tout ou partie des bénéfices à une association ou à une fondation.
Le vin étant composé d’eau à plus de 87%, il apparaît une évidence pour un vigneron de soigner celle de son environnement ou de la planète.
La protection des coraux
Ainsi, quand Valérie Rousselle au château Roubine à Lorgues (83) se demande comment utiliser le sauvignon rose qu’elle a planté, finalement peu approprié pour faire du vin rosé, elle décide d’en faire un vin orange. À l’occasion d’un voyage à Tahiti, elle a une révélation. « En plongeant dans les eaux transparentes, j’ai été touchée par ces coraux magnifiques en train de mourir. Lorsque j’ai fait la connaissance de l’association Coral Gardeners qui s’attache à les faire repousser, j’ai eu envie de les aider à mon petit niveau ».
Le fondateur, Titouan Bernicot, est l’un des lauréats du Sommet des Jeunes Activistes récompensés par l’ONU fin 2021 pour apporter des solutions concrètes aux défis environnementaux actuels. L’organisation basée à Moorea se consacre depuis sept ans à l’ensemencement des coraux. Élevés sur des cordages immergés dans des pépinières, ils sont ensuite transplantés en mer pour régénérer des sites dégradés. Pour la vigneronne, le nom Corail de la cuvée (20 euros) était une évidence, pour la couleur et pour le lien avec les fameux polypes. Elle reverse un euro par bouteille vendue à l’association polynésienne.
Des bouteilles à la mer

Xavier Vignon, célèbre œnologue-conseil de la vallée du Rhône, s’est engagé en 2020 aux côtés de la Fondation de la mer visant à protéger les écosystèmes marins. Ainsi est née la première Bouteille à la mer, un Côtes du Rhône village 2016, dont l’étiquette a été dessinée par le peintre-illustrateur Nicolas Vial, très engagé sur le thème des changements climatiques.
Puis, en 2022, il élabore un Côtes du Rhône villages rouge 2019 et un rosé 2021, avec la créatrice de mode Inès de la Fressange. « Avec ces cuvées, forcément en bio, je voulais sensibiliser le grand public sur les enjeux de la biodiversité et de la préservation des espaces marins », souligne le vigneron. Un euro est reversé par bouteille (à 13,90 euros) à la Fondation.
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Surfer sur les tanins

Depuis 2021, le Château Fleur Cardinale, grand cru classé de Saint-Emilion a créé une cuvée collector Surf Session. Elle est proposée uniquement en magnums mis aux enchères au profit de Surfrider Foundation. « Car la viticulture et le surf sont porteurs de valeurs communes : l’humilité face à la Nature, la capacité d’adaptation, la patience, estime la famille Decoster. Elle collabore ainsi avec le surfeur professionnel Vincent Duvignac. « Vignerons et surfeurs savent en effet profiter de l’instant présent. Ils partagent la même sensibilité quant au respect et à la préservation des écosystèmes ».
Une planche spécialement shapée aux couleurs de la cuvée par le surfeur-créateur Damien Marly a par ailleurs été vendue aux enchères au profit de la Fondation.
Un hommage aux vigneronnes

Le Domaine de Blacailloux à Tourves (83), aujourd’hui dirigé par Valentine de Lasteyrie, vient de lancer la cuvée Sœurs en IGP Var rosé (9,90 euros). Sœurs, (Li Sore en provençal) pour évoquer l’aventure familiale de Valentine et de ses deux sœurs. Mais aussi pour célébrer l’implication des femmes dans le monde viticole, et promouvoir un monde plus équitable.
« Cette cuvée qui se veut accessible est un témoignage de l’empreinte des femmes dans le monde du vin, pour les rendre visibles. D’ailleurs, l’équipe du domaine est composée de 45% de femmes », insiste Valentine. Elle reversera les bénéfices de ce vin à la Fondation des Femmes dont Blacailloux est également grand mécène. Créée en 2016, la principale organisation en France dédiée à la défense de la liberté et des droits des femmes soutient financièrement, juridiquement et matériellement près de 500 projets associatifs en France. La jeune femme est par ailleurs co-fondatrice du collectif Sista. Il est reconnu pour ses actions en faveur de la diversité dans l’économie numérique en fléchant davantage d’investissements vers les entreprises dirigées par les femmes.
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Les Combattants de la liberté, l’oncopole de Toulouse…

À l’autre bout de la France, la coopérative Univitis a célébré les 80 ans du Débarquement en Normandie avec la Cuvée 1944. Ces deux crus estampillés Vin de France à 100% malbec pour le rouge, en merlot-cabernet franc pour le rosé (5,90 euros) se veulent un hommage à ceux qui se sont battus pour la liberté. Romain Villard, directeur de la cave girondine, ancien membre des Forces Spéciales dans la Marine, en fait la promotion en grande distribution à grand renfort de têtes de gondoles. Il reverse 50 centimes par bouteille à l’association Le Bleuet de France qui apporte son aide aux victimes de guerre, d’attentats et aux pupilles de la Nation.
Le Clos Triguedina à Cahors (46) a élevé un malbec un an sous terre dans le cadre du 130ème anniversaire de la découverte du Gouffre de Padirac. 5 € sur les 69€ du prix de vente de ce magnifique Probus 2018 en édition limitée sont reversés par la famille Baldès à la Toulouse Cancer Santé. Cette fondation finance des projets de recherche conduits à l’Oncopole.
Patrimoine en danger

Les cuvées solidaires concernent aussi les vieilles pierres. En 2019, un collectif de 14 vignerons du village de Gueberschwihr, près de Colmar en Alsace, a vendu une cuvée Saint-Pantaléon pour sauver le clocher de leur église, reversant un euro par bouteille à la Fondation du Patrimoine. La production d’une cuvée unique s’avérant trop compliquée, chaque cave a produit le vin de son choix : muscat, gewurztraminer, vendanges tardives ou crémant d’Alsace. Mais tous portaient une étiquette unique avec la photo du clocher. L’opération avait permis de récolter 6400 euros qui ont participé à redonner fière allure à ce clocher carré du XIIe siècle.
Les coopératives alsaciennes du Roi Dagobert et Wolfberger avaient initié la même démarche avec une Cuvée du Millénaire. En Alsace pinot gris pour l’une, en Crémant d’Alsace rosé pour l’autre. Elles ont reversé 1€ par bouteille pour la restauration de la cathédrale de Strasbourg.
À Trémentines près de Cholet (49), une association locale, Histoire & Patrimoine, a lancé une cuvée spéciale d’Anjou rouge 2022 avec un viticulteur du cru (40€ le carton de 6) pour participer au financement de la rénovation du clocher de l’église et de ses quatre clochetons. Le butin de la cuvée éponyme, photo à l’appui sur l’étiquette, a complété la souscription de la Fondation du Patrimoine qui a débuté le chantier en juin dernier. Et même si la plupart du temps, les fonds récoltés ne représentent qu’une goutte d’eau dans des budgets vertigineux, on peut rappeler, par ces temps d’Olympiades, que l’important est de participer. ♦