Environnement

Par Agathe Perrier, le 15 octobre 2024

Journaliste

Les chercheurs marseillais à la pointe sur l’étude des vagues

La soufflerie de Luminy sert à étudier les interactions entre les océans et l’atmosphère © Pixabay

Comment étudier le changement climatique en milieu contrôlé ? À Marseille par exemple, des chercheurs étudient depuis plus de cinquante ans la formation et le déferlement des vagues grâce à un instrument de recherche exceptionnel et rare dans le monde : une soufflerie qui permet de créer à la fois du vent et de la houle. L’équipe de scientifiques l’a présentée à une poignée de curieux à l’occasion d’une « visite insolite » organisée par le CNRS.

C’est un outil de recherche unique en Europe et presque dans le monde entier. Et c’est à Marseille qu’il se trouve. La deuxième ville de France est en effet dotée d’une soufflerie vent-vagues format XXL. À savoir un bassin de 40 mètres de long sur 2,60 de large pour près de 90 cm de profondeur. Coiffé d’un ventilateur lui aussi aux dimensions conséquentes – 2 mètres de diamètre – et doté d’un générateur de houle, cet ensemble sert à étudier les interactions entre les océans et l’atmosphère. « Cela nous aide à mieux comprendre les phénomènes physiques qui sont en jeu en mer », indique Christopher Luneau, assistant ingénieur instruments scientifiques, grand spécialiste de cette installation.

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Hébergée au campus de Luminy (9ème arrondissement), au sein d’un local appartenant à l’Observatoire des sciences de l’univers (OSU) Pythéas (lire bonus), la soufflerie n’est d’ordinaire pas accessible au grand public. Mais son équipe a exceptionnellement ouvert ses portes à une dizaine de profanes en ce début octobre. Une chance qui s’inscrivait dans le cadre des « visites insolites » organisées chaque année par le CNRS, dont le but est de sortir le travail des chercheurs de l’ombre de leurs labos (bonus).

♦ Lire aussi l’article « Quand les chercheurs se mettent à la portée des profanes »

Expérimentation en version réduite…

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Christopher Luneau, assistant ingénieur à la soufflerie de Luminy, est capable de créer les conditions nécessaires à la formation des vagues scélérates © Agathe Perrier

Parmi les phénomènes physiques que la soufflerie aide à comprendre figure celui des vagues dites scélérates. Ces murs d’eau soudains et imprévisibles, craints comme leur ombre par les marins. « C’est mystique mais c’est physique, ça peut s’expliquer », sourit Christopher Luneau. Elles sont le fruit d’une focalisation de vagues d’amplitude et de fréquence différentes, au même endroit et au même moment. Cela donne subitement naissance à un pic d’eau 2,5 fois plus élevé que la houle, capable de briser n’importe quelle embarcation. Avant que le calme plat ne revienne immédiatement, comme si rien ne s’était passé.

« Ces vagues sont imprévisibles en mer mais, grâce à la soufflerie, on peut les créer dans le bassin », assure l’ingénieur. Après quelques réglages, il promet à l’assistance une vague scélérate dans les cinq minutes suivantes. Pour en apprécier l’ampleur, un bateau – de la taille d’un jouet pour enfant – a été posé sur l’eau. Lorsqu’elle se produit, le petit engin de plastique est bien chahuté et manque de peu d’être englouti. Un « spectacle » dont les visiteurs ont été témoins derrière la vitre les séparant du bassin. Et s’il n’a pas été impressionnant à échelle humaine, il laisse néanmoins bien supposer l’envergure du phénomène quand on le vit sur l’eau.

…pour comprendre la « vraie vie »

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La soufflerie de Luminy a été exceptionnellement ouverte au grand public lors d’une « visite insolite » organisée par le CNRS © AP

Cette expérience miniature permet d’étudier l’impact de ce type de vague sur différentes structures, telles des piles de pont. Plus globalement, c’est pour connaître l’incidence des vagues dans diverses situations que les chercheurs de la soufflerie sont sollicités. Aussi bien par d’autres laboratoires de recherche que des industriels, qui ont besoin de mesures pour leurs projets. « Certaines sont impossibles à faire en mer, car on ne peut rien contrôler. Contrairement à notre labo, où l’on peut ajuster les vagues, le vent et tout un tas de paramètres », précise l’ingénieur.

Ainsi, EDF a fait appel à l’équipe pour mesurer l’impact des vagues sur les digues de protection du littoral qui entourent ses centrales nucléaires. La soufflerie a également été utilisée dans le cadre d’un projet de recherche international s’intéressant à la dynamique de transport et d’échouage de certaines méduses – les Physalia physalis, appelées « Bluebottles » en Australie. Une liste loin d’être exhaustive.

♦ Lire aussi l’article « La grande araignée de Méditerranée sauvée par la recherche ? »

Des chercheurs pionniers

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Il existe dans le monde seulement deux autres souffleries dans le genre de celle de Luminy © AP

La soufflerie de Luminy est une vieille dame de 65 printemps. Elle a été créée en 1969, décennie d’ailleurs marquée par l’édification du campus universitaire du même nom (bonus). « L’objectif des chercheurs était d’étudier le changement climatique en milieu contrôlé. Ils étaient précurseurs », souligne Christopher Luneau. À l’époque, la soufflerie était dotée d’un système de chaufferie pour varier la température de l’eau et de l’air. Un équipement qui ne fonctionne plus aujourd’hui, mais que les chercheurs souhaitent relancer. « On aimerait aussi pouvoir travailler en eau salée car le bassin contient actuellement de l’eau douce », ajoute l’ingénieur. Ce qui nécessiterait de lourds travaux, notamment pour protéger les installations de la rouille qu’occasionnera le sel.

S’il existe des dizaines de souffleries en France et au-delà des frontières du pays, seulement deux autres associent, comme ici, vent et houle. Elles sont situées aux États-Unis, à Miami, sur la côte est, et San Diego, à l’ouest. Cette dernière, récemment inaugurée, dispose justement du fameux système de chaufferie dont rêvent les scientifiques marseillais pour étudier les phénomènes physiques en zones froides ou chaudes et l’impact du réchauffement climatique. Pour autant, celle de Marseille n’est ni vieillotte, ni obsolète, affirme Christopher Luneau. Elle tirerait même son épingle du jeu grâce à son architecture qui permet une « génération de vent parfaite ». Une démonstration qu’en tout cas les quelques privilégiés de la visite insolite ne risquent pas d’oublier. ♦

♦ Bonus

  • Des « visites insolites » pour découvrir le travail des chercheurs – Le CNRS organise cet événement depuis cinq ans en France et depuis quatre ans en Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’objectif est, d’une part, de permettre au grand public de comprendre ce que font les scientifiques dans leur labo. Et, d’autre part, de découvrir les applications concrètes de leur travail dans la vie. Dans la région, 140 personnes auront le privilège de participer à 16 visites cette année. Rendez-vous en octobre 2025 pour de nouvelles dates.
  • Les sciences de l’univers, vaste domaine de recherche à Marseille – L’OSU Pythéas, auquel appartient la soufflerie de Luminy, est une école interne d’Aix-Marseille Université (AMU) couvrant les grandes thématiques scientifiques des sciences de la terre, de l’environnement et de l’univers. Placé sous la tutelle du CNRS, de l’IRD et de l’INRAe, il a une quadruple mission d’animation de la recherche scientifique, de partage des connaissances, de formation et d’observation sur le long terme des systèmes et des milieux naturels. Il regroupe différents laboratoires de recherche : le Cerege (dédié aux géosciences de l’environnement), l’IMBE (écologie et biodiversité), le LAM (astronomie), le LPED (interactions entre la société et l’environnement), le MIO (océanologie) et Recover (fonctionnement des écosystèmes et les risques naturels).
  • Luminy, un campus d’étudiants et de chercheurs – Il a vu le jour dans les années 1960 sur un ancien domaine rural. Un passé dont l’histoire est à retrouver sur le site du Parc national des Calanques, en cliquant ici. Le campus compte aujourd’hui deux facultés, six grandes écoles et instituts, 32 laboratoires de recherche, une pépinière et des entreprises, d’après la faculté des sciences d’Aix-Marseille Université.