AgricultureSolidarité

Par Zoé Charef, le 10 juillet 2024

Journaliste

Tero Loko redonne vie à un territoire rural grâce aux réfugiés

Tero Loko, la solidarité et l'agriculture pour cultiver l'avenir. ©Tero Loko
Animée du double objectif d’aider les primo-arrivants à s’intégrer en France et de redonner vie à un territoire rural « laissé à l’abandon », l’association Tero Loko a vu le jour en Isère il y a un peu plus de cinq ans. Reportage à Notre-Dame-de-l’Osier, entre les cours de français, la fabrication du pain et une réunion politique de dernière minute.

Une fois passée la place principale du village de 500 habitants de Notre-Dame-de-l’Osier (à 40km de Grenoble), il faut suivre les panneaux en bois avec Tero Loko tracé à la peinture. On atteint alors une bâtisse en pierre municipale multifonctions qui grouille de monde. Une majorité de femmes s’affaire à répondre aux questions des bénévoles, organiser la journée, préparer les plannings des salariés et solutionner les problèmes de dernière minute (« il n’y a plus d’œufs ! »).

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Aujourd’hui, le cours de français se déroule dehors, dans le pré ! ©Zoé Charef

Plus loin, sous les arbres, à l’arrière du bâtiment, six personnes sont assises à côté d’un tableau à craie mobile. Elles sont en plein cours de français, comme tous les lundis, mercredis et jeudis. Et profitent aussi du beau temps. Bernadette est l’une des trois bénévoles retraitées de l’Éducation nationale. Elle corrige les fautes de français de Farhan en train d’expliquer qu’il ne connaît pas beaucoup de personnes en Isère. Patiente, souriante, Bernadette est active chez Tero Loko depuis la naissance de l’association, il y a un peu plus de cinq ans. L’ancienne professeur de français prend à cœur d’aider les demandeurs d’asile à « cultiver leur avenir. » C’est même elle qui a proposé d’animer des cours de couture « pour être créatifs, apprendre, se découvrir. On crée du lien. »

Un lieu d’accueil pour primo-arrivants en manque de nature

Car à l’origine de cette association, il y a un double constat : « Les demandeurs d’asile en France habitent souvent en ville parce que c’est là qu’ils peuvent faire toutes leurs démarches administratives, explique Lucie Brunet, travailleuse sociale et cofondatrice de Tero Loko. Mais ils peuvent venir de milieux campagnards, vouloir continuer d’y vivre et avoir des compétences agricoles. La nature est ressourçante et correspond sûrement aux besoins de certains d’entre eux. Aujourd’hui, dans les faits, c’est très peu accessible, donc nous nous efforçons d’accompagner ceux qui le souhaitent. » 

Les cinq cofondatrices de Tero Loko mettent alors en place un lieu où apprendre à « se sentir bien en France, de façon digne et durable, au sein d’une structure formatrice à la campagne. » Par la même occasion, l’idée est d’accompagner ces primo-arrivants dans les démarches administratives – qu’il s’agisse de droits, de recherche d’emploi, de logement et de lien social.

L’accueil comme ressource économique, sociale et culturelle

L’autre constat tient plutôt de la redynamisation d’un bassin de vie : « Beaucoup de territoires ruraux ne comptent que très peu de services et sont laissés à l’abandon, témoigne la travailleuse sociale. Il y a très peu de lieux de rencontre et de lien. Avec ce projet, on voulait redonner une vie économique, sociale et culturelle à un territoire par l’accueil. » Lier ces deux problématiques permettrait d’apporter une réponse globale aux habitants, demandeurs d’asile et à ce territoire. 

Dès lors, l’accueil de l’autre n’est plus vu comme un poids, mais comme une véritable source de richesse économique, sociale et culturelle. « Sans oublier que cela permettra de remettre un peu de mixité dans les territoires ruraux. Et ce, grâce aux espaces de rencontre que Tero Loko installe. »

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« La concrétisation de plus de cinq ans de travail » 

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Préparation du déjeuner ! ©Zoé Charef

Avec leurs titres de séjour et des contrats de travail chez Tero Loko allant de 7 à 24 mois, les 14 salariés évoluent dans les secteurs de la boulangerie, du maraîchage et de la commercialisation. « On les forme à ces activités à travers la production, en plus de tout l’accompagnement socio-professionnel et de la préparation de leur avenir », explique Marilyn, ancienne bénévole devenue assistante administrative. 

S’ils travaillaient auparavant dans le fournil qu’un paysan leur mettait à disposition et sur un terrain agricole réduit, ce ne sera bientôt plus le cas. Car Tero Loko construit actuellement sa propre serre et son propre fournil, qui seront opérationnels d’ici la fin de l’année 2024, au fond du pré. La production sera de ce fait plus importante et Lucie Brunet y voit « la concrétisation de plus de cinq ans de travail. » 

Tous les mardis soirs, un marché associatif se tient dans le grand pré de Notre-Dame-de-l’Osier. Y sont vendus les fruits, les légumes et le pain cultivés et fabriqués par les salariés-réfugiés du chantier d’insertion. D’autres producteurs isérois prennent part à ce marché et cela donne aux habitants l’accès à des produits locaux dont ils ne disposaient plus. À ces rendez-vous hebdomadaires s’ajoute la vente du maraîchage et du pain dans des magasins bio et par l’intermédiaire de paniers pour environ 120 adhérents.

Contre la stigmatisation des personnes en difficulté 

Mais pour l’instant, en ce vendredi matin de fin juin, le pré devient la salle de réunion des salariés-réfugiés et d’une partie des 50 bénévoles de l’association. « Vu de ce qu’il se passe dans la politique française en ce moment, nous avons souhaité vous expliquer comment on vote en France », présente Fanny, travailleuse sociale. C’est la bénévole et étudiante à Sciences Po, Léa, qui se lance et explique les rôles de l’Assemblée nationale, du Sénat, des ministres… « Tero Loko est apartisane, mais nous nous battons contre la pauvreté, l’exclusion, et toute forme de stigmatisation des personnes en difficulté, continue Fanny. Si l’extrême droite est majoritaire, c’est une menace pour nos valeurs et nos combats. »

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Bénévoles et salariés-réfugiés discutent ensemble de la politique française. ©Zoé Charef

Et Farhan de prendre la parole : « Mais si Marine Le Pen passe au pouvoir, elle va changer toutes les lois ? Nous n’aurons plus aucun droit ? » Assis dans l’herbe en cercle, les bénévoles prennent le temps d’éclairer les salariés-réfugiés.

Car au-delà de ce travail agricole, Tero Loko entend d’abord être un lieu d’accueil, de lien et de rencontre pour toutes et tous. Malgré quelques habitants opposés à ce projet, d’autres se sont investis dès le départ et imaginent même des évènements ensemble. « Car cela répond au besoin de réhabiter ce territoire, précise Lucie Brunet. Il y a donc les marchés, qui rassemblent 600 personnes. Mais aussi des ciné-débats, une buvette bénévole, des ateliers de bricolage… et le comité des fêtes du village, qui n’existait plus depuis un moment, a repris de plus belle ! » 

Bonus
  • Le soutien du réseau Cocagne. Il a permis aux fondatrices de financer une partie du salariat pour faire naître le projet. Le réseau Cocagne est un regroupement d’associations françaises qui respectent une charte commune de production maraîchère dans des chantiers d’insertion par l’activité économique.