Économie
Les Trois Tricoteurs : du tricot au bar, un fil tissé contre la fast fashion
À Roubaix, Les Trois Tricoteurs réinventent la production textile en mode local et responsable. Entre un atelier-bar chaleureux et une usine innovante, l’entreprise tisse une alternative concrète à l’ultra fast fashion. Leur recette ? Transparence, lien social et production sans surstock. Un modèle vertueux qui montre qu’une autre manière de faire du vêtement est possible, dès aujourd’hui.
Une terrasse aux couleurs vives donne envie de s’installer. Elle ouvre sur un bar chaleureux et… intrigant. À l’intérieur, des chaussettes pailletées ou à message et des pulls colorés s’exposent au côté de canapés moelleux et de tables en bois chinées. Derrière une large baie vitrée, les stars du lieu s’activent : des machines à tricoter qui fabriquent en direct chaussettes, bonnets ou pulls, à base de laine mérinos et coton bio.
« Ici, on peut se faire tricoter un pull à 21h30 en buvant un verre avec des amis », sourit Charlotte, la responsable du bar des Trois Tricoteurs. Ce concept 100% roubaisien, imaginé en 2021 par Sacha Motta, Alexandre Bianchi et Victor Legrain, séduit locaux comme touristes. « Les gens sont souvent surpris quand ils entrent pour la première fois. Je leur explique ce qu’ils peuvent faire, comment ça marche », raconte Charlotte. Grâce aux “corners” répartis dans le bar, les clients visualisent les pièces qu’ils peuvent commander. Depuis la création de l’entreprise, plus de 100 000 pièces ont été tricotées chez les Trois Tricoteurs.
Fabriquer autrement
Taille, couleur, forme, personnalisation : tout ou presque est possible. Une fois le choix fait, la commande est transmise à Rémi ou à l’un de ses collègues. « Il faut huit minutes pour une paire de chaussettes, un peu plus d’une heure pour un pull », explique Rémi, responsable de l’atelier. Son rôle : veiller à la qualité des pièces. « Je vérifie le maillage de la pointe, du talon… Et, je repasse les chaussettes. Je ne savais même pas qu’on pouvait repasser des chaussettes avant de bosser ici ! », s’amuse-t-il.

Les clients, eux aussi, sont souvent étonnés – et ravis – de voir les machines s’actionner sous leurs yeux. On est loin des secrets de fabrication jalousement gardés dans l’industrie textile. « Nous avons des mamies qui ont bossé chez Tissel ou dans d’autres usines de la région. Elles viennent au bar juste pour voir les machines tourner », sourit Julie.
« Elles sont super fières de voir une boîte textile renaître à Roubaix, après toutes les fermetures des années 70. » À contre-courant de l’ultra fast fashion, le concept des « 3T » – comme on les appelle ici – relocalise donc une partie de la production en France. Vêtements personnalisés, fabrication à la demande : le modèle séduit, et l’entreprise est en pleine croissance. Et pour cause : depuis sa création, la société double son chiffre d’affaires chaque année. En 2023, il atteignait 570 000 euros.
« Très vite, on s’est retrouvés à avoir trop de commandes et à ne pas pouvoir suivre. Surtout que de plus en plus d’entreprises voulaient travailler avec nous », explique Julie Guillerm, la nouvelle responsable com’ et marketing.
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Une usine, mais à taille humaine
Sacha, Alexandre et Victor ont donc décidé de voir un peu plus grand en investissant dans l’ouverture d’une usine de 800 mètres carrés, dans les anciennes Manufactures Tissel, à deux pas de leur bar-atelier. De quoi accroître la production pour des marques locales telles que Cyrillus, Lemahieu, mais aussi Les Bonnes Sœurs. Ils ont levé deux millions d’euros en 2024 pour acheter de nouvelles machines et embaucher. 50% de leur chiffre d’affaires vient maintenant du B to B.

« Ils ont débuté à trois, s’étaient donné quatre ans pour embaucher leur premier employé, ce qu’ils ont fait au bout d’un an seulement. On est désormais 23 dans l’entreprise », s’enthousiasme Julie.
Parmi leurs salariés, beaucoup d’étudiants en ingénierie textile ou design qui ont fait leurs premiers stages chez les 3T, puis ont choisi de rester. Comme Anna, 22 ans, embauchée depuis un an, qui s’épanouit dans l’apprentissage des machines et des fils.
« Ce que j’aime ici, c’est comprendre la maille dans sa globalité, de la programmation à la finition », explique-t-elle. Elle travaille notamment aux côtés de Maya et Shaïza, deux Roubaisiennes embauchées pour renforcer l’équipe finition pendant six mois.
Un modèle résolument vertueux

Les 3T défendent un business « frugal ». Ce modèle qui ne cherche pas à se développer à outrance, serait d’ailleurs la clé de leur réussite selon Maud Herbert, chercheuse et cofondatrice de la chaire Text&Care – un laboratoire de recherche lillois spécialisé dans les liens entre textile, insertion et responsabilité sociale.
« Ils sont ce que j’appelle un business model sobre ou frugal. Ils ont commencé petit, sans se payer beaucoup et ne cherchent pas à faire des millions. Leur modèle intègre totalement l’économie de la ressource grâce à la production à la demande. Il est maîtrisé et vertueux. Ils ont réfléchi à travailler avec des entreprises de l’habillement parce qu’elles sont venues les chercher », commente la chercheuse.
Alors que les machines continuent de tourner dans l’atelier, à quelques mètres du bar, une chose est sûre : Les Trois Tricoteurs n’ont pas fini de faire bouger les fils de la mode. À Roubaix, on tricote l’avenir, un point à la fois. ♦
Bonus
# Le bonnet fin de bobine. En laine mérinos et chiné, ce produit s’inscrit dans une démarche zéro déchet. Il est tricoté avec les fins de bobines qui pourraient être jetées. En effet, il arrive parfois que la quantité de fil restant soit insuffisante pour tricoter un plus gros produit. Or, en mettant toutes ces petites bobines ensemble, on obtient un bonnet chiné, qui sera toujours unique, en plus d’être écologique.
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