Solidarité

Par Philippe Lesaffre, le 26 avril 2024

Journaliste

Un bus d’avocats solidaires dans les rues de Paris

Le bus ouvre ses portes chaque jour (sauf le dimanche et les jours fériés) et se gare à différentes adresses au sein de quartiers périphériques, du côté est et sud de Paris. ©DR
En matière juridique, beaucoup de personnes connaissent une situation d’isolement ou d’exclusion en raison de la barrière de la langue, d’un handicap, d’un manque de moyens ou encore d’un sentiment d’illégitimité ressenti. Mais depuis plusieurs années, le Barreau de Paris met à leur disposition les conseils d’avocats bénévoles. Les professionnels du droit les reçoivent gratuitement et sans rendez-vous, à l’intérieur d’un bus atypique.

Il est près de 17h en ce lundi, et quelques personnes attendent à l’angle du boulevard Masséna et de la rue Lachelier, dans le sud de Paris. Dans un instant, une juriste de l’association Droits d’urgence s’apprête à les accueillir et à les enregistrer au sein d’un bus totalement atypique. Elle ne compte pas les conduire d’un point A à un point B, mais vise à proposer à ces femmes et ces hommes confrontés à une problématique juridique, aussi variée soit-elle, une entrevue gratuite et sans rendez-vous avec des professionnels du droit, des avocats inscrits au Barreau de Paris.

Aller à leur rencontre

Selon Théodore Malgrain, coordinateur du dispositif, les personnes qui attendent devant le bus se trouvent, la plupart du temps, dans « une situation d’isolement ou d’exclusion en raison de la barrière de la langue, d’un obstacle lié à un handicap, d’un manque de moyens ou encore d’un sentiment d’illégitimité ressenti ».

Il arrive, poursuit-il, que ces citoyens rencontrent un souci juridique – dans le domaine du droit au logement, de la famille ou des étrangers, souvent – et qu’ils ne prennent pas toujours le temps de le régler ou de régulariser leur situation. C’est que certains ont tendance à jouer la montre, aussi par manque de connaissances. « Le droit peut faire peur, angoisser de nombreuses familles, qui ne savent pas vers qui se tourner ou à quel endroit se rendre pour trouver une information, que ce soit une maison de justice et du droit, une mairie, voire le tribunal judiciaire… »

Déjà 7000 consultations

D’où l’idée, précise Théodore Malgrain, d’aller « à leur rencontre », en somme de favoriser un échange pour aider ces justiciables à « trouver une solution » au problème rencontré, dans la plus grande confidentialité. « En tombant sur le bus garé sur la voie publique, assez visible, des personnes qui ont par exemple reçu une injonction de payer de la part de leur propriétaire peuvent se dire que c’est le bon moment de s’en occuper. »

Concrètement, lors d’une permanence d’une durée de trois heures, trois avocats inscrits au barreau de Paris se mettent chaque jour à leur disposition pendant une vingtaine de minutes pour les orienter, les guider, les conseiller. Les accompagner dans leur démarche à effectuer, que ce soit en vue de lancer un recours ou de répondre à tel ou tel courrier reçu. Le bus ouvre ses portes chaque jour (sauf le dimanche et les jours fériés) et se gare à différentes adresses au sein de quartiers périphériques, du côté est et sud de Paris. Jusqu’à présent, 7000 consultations ont été effectuées, en tout.

Un bus d'avocats solidaires dans les rues de Paris 1
Des conseils bénévoles sont mis à disposition de nombreuses associations épaulant des publics en précarité ou victimes de violences ou de discriminations ©DR

Rassurer les justiciables

Le dispositif a été imaginé en 2003 par le bâtonnier de l’époque, Paul-Albert Iweins. Et le barreau a lancé en 2011 le fonds de dotation Barreau de Paris Solidarité, notamment pour coordonner l’initiative, à laquelle l’ensemble des 34 000 avocats en exercice peuvent participer. Pour le moment, l’équipe compte sur 300 avocats, qui sautent le pas au moins une fois par an, en fonction du temps dont ils disposent. « Il n’y a pas de règle, glisse Théodore Malgrain. Certains se rendent disponibles une fois par mois, parfois même plus, d’autres une fois par trimestre ou une fois chaque annéepeu importe. Beaucoup, dit-il, travaillent sur les questions de droit de la famille, du logement et des étrangers, les thèmes qui reviennent le plus, mais nous avons également des collaborateurs ou des associés de grands cabinets… experts en fusion-acquisition. »

Barreau de Paris Solidarité recherche toujours des volontaires, quel que soit leur profil, leur(s) spécialité(s). « Nous faisons appel au bon sens juridique des avocats et à leur capacité de compréhension des enjeux. Les citoyens ont besoin d’une information, d’une orientation, non d’un conseil venant d’un avocat spécialiste », explique-t-il. Les participants ont à les « rassurer », et finalement ils sont censés rappeler aux justiciables les droits dont ils disposent.

Aux côtés des associations

« Beaucoup ignorent qu’ils peuvent demander en particulier l’aide juridictionnelle, elle est peu connue du grand public, observe le juriste, à une époque bénévole au sein de la Cimade. Nous pouvons les aidons à préparer un dossier afin qu’ils obtiennent une prise en charge de frais de justice et donc qu’ils puissent plus facilement accéder à un avocat, par exemple. Cela fonctionne, y compris pour une affaire de divorce… »

Dans le bus, il y a les permanences généralistes, et puis d’autres plus spécialisées. Typiquement, un mercredi sur deux, le fonds de dotation du Barreau de Paris, partenaire de la Fondation des femmes, propose des permanences à destination de femmes victimes de violences dans le 20ème arrondissement de la capitale, mais aussi pour les personnes en quête d’une information autour du droit d’asile et des étrangers deux fois par semaine. Le fonds de dotation du Barreau de Paris se mobilise en outre aux côtés de l’association Droits d’urgence pour conseiller des personnes démunies, souffrant de troubles psychiques ou psychiatriques.

De façon générale, des conseils bénévoles sont mis à disposition de nombreuses associations épaulant des publics en précarité ou victimes de violences ou de discriminations (en particulier LGBTQIphobes). Ils et elles vont alors dialoguer avec des citoyens dans les locaux des structures, telles que Aurore, l’Armée du Salut ou le Secours Populaire.

Le bus fait des émules

Ce n’est pas tout : le chauffeur du bus, que Barreau de Paris Solidarité loue auprès du groupe de la RATP, parcourt régulièrement, en fin de journée, les allées du bois de Vincennes et du bois de Boulogne, des deux côtés de la ville. L’intention : rencontrer des personnes en situation de prostitution et leur proposer de « consulter un ou une avocat.e »

Des bus plus ou moins similaires circulent dans d’autres localités, comme à Bruxelles ou à Lille afin de faciliter l’accès au droit et de toucher un public plutôt exclu. « C’est une mesure très utile, alors nous encourageons la mise en place de ce type de dispositif un peu partout en France, voire ailleurs », indique Théodore Malgrain, ravi de pouvoir aider le maximum de personnes… dans la rue. ♦