Éducation
Un collège inspirant contre l’échec scolaire
Les établissements relevant de l’éducation prioritaire sont plus fortement touchés par l’échec scolaire. Pas à Jacques Prévert. Ce collège des quartiers nord de Marseille parvient à maintenir ses 650 élèves dans une dynamique de réussite. L’équipe pédagogique et éducative s’adapte à leurs problématiques avec des dispositifs sur mesure. Et utilise une posture équilibrée entre bienveillance et fermeté.
Le collège Jacques Prévert se dresse, moderne, dans le prolongement d’une barre d’immeubles de la cité Frais Vallon. Une nuée d’adolescents de 3e piaille devant le portail. Aujourd’hui leur est communiquée leur affectation au lycée. Un grand moment. Après avoir passé calmement l’entrée, où le proviseur les accueille d’un sourire placide, ils se précipitent par grappes pour récupérer leur dossier. Najib, 15 ans, chemise verte et moustache, est gonflé de fierté. Il est accepté en seconde professionnelle mécanique, son premier choix. Ce n’était pas gagné pour celui qu’on rangeait dans la catégorie ‘’élève décrocheur’’. Il cumulait les retards en cours, quand il ne les séchait pas. « Même en classe, je dormais. Je ne voulais pas aller à l’école », confie ce grand gaillard au regard doux.
Une 3e ‘’prépa-métiers’’

Tout a changé en 3e, lorsqu’il a intégré la classe ‘’prépa-métiers’’. Cette formation de l’Éducation nationale permet aux collégiens, en plus des enseignements classiques, de s’exercer à différents métiers. Ils sont proposés en conditions réelles au sein de l’école, dans trois ateliers : carrosserie/mécanique, services à la personne et habitat.
Najib évoque également les sorties avec sa classe, plus particulièrement au Musée d’histoire naturelle et le ramassage des déchets dans les Calanques. S’il a oublié laquelle, il se souvient néanmoins de la beauté des lieux. Il s’y rendait pour la première fois. « C’est tout ça qui m’a fait revenir à l’école ». Lui qui avait honte de venir au tableau et cumulait les couleurs rouges et jaunes (il n’y a pas de notes à Jacques Prévert) a pris peu à peu confiance en lui. Cette année, sur les trois trimestres, il a obtenu les félicitations et deux fois le tableau d’honneur.
Un indice de position sociale faible

Le principal adjoint, posté dans la cour, observe magnanime les collégiens. « Il n’y a pas d’élèves lambda ici, la plupart ont un parcours de vie complexe. Dans nos quartiers, la problématique est surtout sociale ». En 2022, le ministère de l’Éducation nationale a mesuré la situation des élèves face aux apprentissages par rapport au milieu dans lequel ils évoluaient. Et établi des indices de position sociale (IPS) pour chaque école et collège, compris entre 38 et 179. Plus l’indice est élevé, plus l’enfant évolue dans un contexte familial propice à son succès scolaire. À l’inverse, plus il est faible, plus il a un impact négatif sur son parcours.
Pour corriger cette inégalité, les établissements aux IPS les plus faibles bénéficient de moyens pédagogiques et éducatifs supplémentaires. Ils font partie du réseau d’éducation prioritaire (REP). Sur le territoire, 362 collèges relèvent du REP+ (renforcé), dont 23 à Marseille.
« J’aime Jacques Prévert pour sa volonté permanente d’aider les élèves dans leurs apprentissages et surtout de pallier leurs difficultés. Enfin, la liberté qui leur est donnée de s’approprier le collège par des projets : jardin pédagogique, fresques, etc. », Capucine, surveillante
Cinq classes différentes

Grâce à son IPS de 70, le collège Jacques Prévert a la capacité de s’adapter aux difficultés des élèves. En 3e, par exemple, en plus de la classe ordinaire, quatre voies s’offrent à eux : ”Prépa-métiers” pour ceux qui se destinent à un parcours professionnel. Classe ‘’Passerelle’’ pour ceux qui ont été exclus de plusieurs écoles et/ou ont eu affaire avec la justice. ”Segpa” pour ceux qui présentent des difficultés scolaires graves. Enfin, ’’micro-collège’’ pour les décrocheurs ou en voie de l’être. Comme Ryan. « J’avais des problèmes de comportement, je me suis fait deux fois exclure de deux collèges. Je suis arrivé à Jacques Prévert en 4e ».
Micro-collège

En 3e, il a intégré le micro-collège, dont l’effectif ne dépasse pas dix élèves. Dans cette classe, les élèves étudient les enseignements classiques avec un projet supplémentaire commun autour du développement durable. Ils s’occupent des ruches, du poulailler et du potager disséminés dans l’enceinte du collège. Soigner les abeilles ou la terre est un bon moyen « pour les remobiliser », explique Rodrigue Coutouly, le principal, dans son bureau jonché de cadeaux dont de délicieux makrouts cuisinés par une maman. La veille s’est déroulé son pot de départ à la retraite.
Aider l’élève à se remobiliser

En plus de ces classes particulières, Jacques Prévert possède un panel de dispositifs pour les élèves démotivés, menacés par l’échec scolaire. Le principal a observé que « le mal être se cache bien souvent derrière le décrochage ». Par conséquent, son objectif est de restaurer avant tout la confiance en soi. Certains adolescents profitent du dispositif Prométhée, une innovation de Jacques Prévert. Les élèves en souffrance peuvent sortir de classe une demi-journée par semaine et « faire autre chose avec une assistante pédagogique : yoga, poterie, jardinage, médiation… », détaille ce sexagénaire, en chemise, jean et baskets. Ces activités permettent aux jeunes de souffler et, à l’école, de les raccrocher aux savoirs. « Les élèves ne sont jamais les mêmes, ça tourne ». S’ils vont vraiment mal, ils peuvent intégrer l’Atelier-relais. Cette classe temporaire dure sept semaines, le temps d’être « cocooné » par un enseignant unique.
Une boîte à outils

Enfin, les élèves peuvent intégrer un chantier éducatif avec un éducateur de rue pendant une semaine sur le temps scolaire ou des vacances. « Ces chantiers font un effet boosteur pour certains gamins, ça les aide à se projeter », remarque le principal. Ryan en a fait plusieurs. Il montre la cabane à outils fabriquée avec du bois et les fresques qui colorent les murs. Il a aussi aidé à repeindre la permanence pendant les dernières vacances. Travailler plutôt que se reposer ne lui a posé aucun problème. Au contraire : « Je n’avais rien à faire chez moi », explique le passionné de foot.
♦ Le collège Jacques Prévert accueille également dans ses classes ordinaires, à temps partiel, des élèves en situation de handicap (ULIS) et des primo-arrivants (UPE2A), favorisant le vivre ensemble.
Coopération avec la famille

Pour décider quel dispositif est le plus adapté, l’équipe se réunit chaque lundi : CPE, assistante sociale, infirmière. « Comme une boîte à outils, on a de multiples solutions à disposition. On balaye les difficultés de chaque élève et on cherche la plus adaptée ». Pour qu’elle soit vraiment efficace et bien vécue, elle n’est jamais imposée à la famille ni à l’enfant, mais proposée. Dans les faits, elle est acceptée dans 95% des cas. Ryan a bénéficié d’à peu près tous les dispositifs : Prométhée, Atelier-relais, chantier éducatif, micro-classe. Il a repris goût aux apprentissages grâce cette palette. Mais pas seulement : « ici, ils sont plus compréhensifs », souligne Ryan. Pour appuyer ses propos, il prend l’exemple de la dernière fois où il a mal parlé à un professeur. « Au lieu de m’exclure, on en a parlé ensemble. Je n’ai plus recommencé ».
Peu d’exclusions

À Jacques Prévert, l’exclusion n’existe pas, ou très peu. Car « c’est un échec pour l’élève, la famille, mais aussi pour l’équipe », décrypte le principal. L’élève exclu est certes accepté dans un autre collège, « mais il est marqué et devient parfois plus violent ». Cette conviction n’empêche pas le chef d’établissement de conduire de nombreux conseils de discipline lorsqu’ils sont nécessaires. « Ils positionnent le problème, obligent l’élève à s’exprimer devant des adultes et à demander pardon », précise ce convaincu de l’autorité juste. Celle qui repose sur la compréhension et le cadre, la bienveillance et la fermeté.
Rendre l’élève responsable de ses actes

Lui-même convoque les perturbateurs régulièrement, comme il l’a fait à plusieurs reprises avec Ryan. « Il a fait de graves bêtises, à chaque fois, on l’a recadré ». Jamais il n’a amorcé l’entretien par ‘’c’est mal ce que tu fais’’, « car l’efficacité est nulle. Si par contre, je lui demande pourquoi il est dans mon bureau, pourquoi il a fait ça, comment il compte réparer, il sera amené à assumer ses actes, comprendre leur gravité et changer son comportement ». Cette approche active ne veut pas dire que les perturbateurs ne recommenceront pas, « mais elle est structurante et les fait avancer ». Et s’ils ne reconnaissent pas leur responsabilité ? « Je leur demande de sortir de mon bureau et de revenir quand ils auront compris ».
« L’autorité, contrairement aux idées reçues, n’est pas de taper du poing sur la table. Mais de respecter l’élève tout en posant un cadre, ce qui fait qu’il respectera l’adulte. La sanction est le signe d’une autorité fragile », Rodrigue Coutouly
Pas un miracle

Ces dispositifs ne sont pas miraculeux. « Quand ils retournent en classe, c’est à nouveau compliqué, mais au moins ils ont repris confiance en eux, explique ce partisan du dialogue inter- religieux (bonus). Quatre ans c’est long pour un élève en échec, le sortir ponctuellement lui permet de tenir tout ce temps ». Ce bientôt retraité peut attester de l’impact de ces mesures. « Avant on ‘’perdait’’ dix à quinze gamins au collège : absentéisme, déscolarisation, etc. Avec ce que cela engendrait : la rue, le trafic, la délinquance. Aujourd’hui, on n’en ‘’perd’’ quasiment plus ». Selon lui, Ryan fait partie de ceux qui auraient pu totalement décrocher. L’intéressé confirme : « sans Jacques Prévert, j’aurais continué à me faire exclure. Ce collège m’a apaisé », confie-t-il, avant de rejoindre ses amis dans la cour, son dossier d’affectation dans la main. En septembre, il intégrera une seconde professionnelle option commerce. Son premier vœu. ♦
Bonus
- Calcule de l’Indice de Position Sociale (IPS) ? L’IPS donne une idée de la qualité de l’environnement familial d’un enfant pour ses études. Ainsi, c’est une estimation du degré de privilèges dont jouissent les élèves, et non une note donnée à l’établissement scolaire.
L’IPS prend en compte :
– Le travail des parents
– La capacité des parents à aider leur enfant dans leurs études
– Le diplôme des parents
– Les conditions matérielles (essentiellement le revenu des parents)
– Les pratiques culturelles de la famille -
(Re)lire Bricabracs, une école qui sort de l’ordinaire
- Classe Passerelle pour les polyexclus. La classe Passerelle s’inscrit dans un partenariat Éducation nationale et PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse). Elle est destinée aux élèves exclus de plusieurs collèges et/ou ayant eu affaire avec la justice. « Ils ont de gros soucis avec les compétences psychosociales. Par exemple, dire bonjour, vouvoyer les adultes, c’est compliqué pour certains », résume Rodrigue Coutouly. Il s’agit alors de « les ramener sur les fondamentaux du métier d’élève : venir en classe, respecter les profs, faire son travail ». Cette classe de douze élèves bénéficie d’une équipe dédiée – un professeur, une psychologue et un éducateur. Le proviseur convient que ce dispositif « n’est pas miraculeux », mais que « déjà, s’ils parviennent à venir en cours et monter leur projet d’orientation, c’est gagné car l’idée aussi est de les sortir de la délinquance où ils y vont tout droit, quand ils n’y sont pas déjà . Cette année, sur les douze élèves, dix ont reçu une affectation au lycée.
- Réseau hospitalité. Retraite ne signifie pas inactivité pour Rodrigue Coutouly. Il projette de rester dans l’organisation de l’Institut Louis Germain, tutorat d’excellence implanté en Île-de-France et à Marseille. Jacques Prévert, partenaire, accueille 400 jeunes pendant les vacances scolaires. Celui qui fut référent laïcité auprès du rectorat entend également poursuivre le Réseau Hospitalité qu’il a créé suite au meurtre de Samuel Paty. Il s’agit de se faire rencontrer élèves, familles et équipes de collèges juif (Gan ami), catholique (Chevreuil) et musulman (Ibn Khaltoum) à Marseille.