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Une nouvelle technologie pour détecter l’eau enfouie sous les montagnes
Depuis quelques semaines, un hélicoptère au déplacement lent et régulier, portant sous lui une grande antenne circulaire, survole les reliefs pyrénéens (sud-ouest de la France). L’opération, qui interpelle les habitants, n’est pas un exercice militaire, mais une mission scientifique au long cours. En effet, le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) cartographie en 3D les couches profondes du sous-sol pour repérer d’éventuelles réserves d’eau douce. Une première en montagne, appelée à se déployer partout en France et, demain peut-être, autour du bassin méditerranéen.

« C’est un peu comme si les vallées passaient une IRM (imagerie par résonance magnétique -NDLR) », sourit Frédéric Tronel, directeur régional du BRGM Occitanie, qui pilote cette opération. À bord de l’hélicoptère, une équipe de géophysiciens mesure les signaux électromagnétiques émis et renvoyés par le sous-sol, dans le but d’en dresser une image tridimensionnelle jusqu’à plusieurs centaines de mètres de profondeur. L’objectif est de mieux comprendre la manière dont l’eau circule sous les massifs. Une nécessité vitale pour ces territoires de montagne où la ressource se raréfie.
« Les Pyrénées ne sont plus le château d’eau d’autrefois. Le changement climatique modifie profondément le cycle de l’eau, explique le géologue. La neige, qui jouait un rôle de réserve naturelle et alimentait les cours d’eau en juin ou juillet, sera de moins en moins présente. Nous allons donc connaître des débits très faibles sur une période plus longue, entre juin et octobre. » Dans ce contexte, le BRGM a lancé un programme d’exploration inédit afin d’identifier les aquifères enfouis sous les sédiments anciens. Des poches d’eau susceptibles de devenir des réserves stratégiques dans les décennies à venir.
Sous la surface, des aquifères enfouis depuis des millénaires
Les formations géologiques visées par le projet se sont déposées il y a plusieurs milliers d’années, lors du retrait des grands glaciers pyrénéens. « Nous savons que des sédiments glaciaires et morainiques peuvent abriter d’importants volumes d’eau, parfois à 300 ou 400 mètres de profondeur, détaille Frédéric Tronel. Ces ressources potentielles se sont formées lors d’un autre climat, dans un autre temps. Notre mission est d’évaluer si elles sont aujourd’hui accessibles et renouvelables. »
La cartographie obtenue par les mesures aériennes sera complétée par des forages ciblés. Cette combinaison permet de croiser les données physiques, géologiques et hydrogéologiques, et d’en déduire la structure exacte des aquifères. « Nous travaillons comme un médecin qui alterne radiographie, IRM et palpation pour poser un diagnostic complet », résume le chercheur. Pour les vallées pyrénéennes, cette connaissance fine du sous-sol pourrait orienter des choix décisifs : implantation de nouveaux captages, adaptation des usages agricoles, ou encore protection de nappes sensibles.
Une nouvelle technologie

Le dispositif mis en œuvre par le BRGM repose sur la géophysique électromagnétique héliportée. Suspendue sous un hélicoptère, une antenne émet un champ électromagnétique qui pénètre dans le sous-sol. Selon la nature des roches — leur conductivité, leur teneur en eau ou en argile —, le signal est renvoyé différemment. Ces variations sont enregistrées puis modélisées par ordinateur, restituant une image 3D continue jusqu’à 300 m de profondeur. Cette méthode, déjà utilisée en plaine, est ici déployée pour la première fois à grande échelle dans un massif montagneux. Elle permet de couvrir des zones entières, souvent inaccessibles à pied. « En quelques jours de vol, nous obtenons des informations qu’il faudrait des mois à acquérir depuis le sol, souligne Frédéric Tronel. C’est une technologie de pointe, mais aussi un formidable outil de connaissance publique : les données sont reversées dans le Référentiel Géologique de la France. »
Le BRGM développe cette expertise depuis plus de dix ans, combinant électromagnétisme, magnétisme et radiométrie gamma. Ces données s’ajoutent à celles issues des forages et des relevés de terrain pour constituer une véritable carte tridimensionnelle du sous-sol français. Au-delà de la recherche, l’enjeu est politique et environnemental : « Améliorer la connaissance du sous-sol, c’est aussi aider les territoires à mieux gérer leur ressource en eau, à planifier les usages et à anticiper les tensions à venir. »
Des Pyrénées à la Méditerranée : une méthode duplicable

L’expérimentation pyrénéenne, financée par l’État et les collectivités, durera quatre ans. Mais, déjà, le BRGM imagine son extension à d’autres régions. « Ce que nous faisons ici pourrait être reproduit dans les Alpes, le Massif central, la Corse », avance Frédéric Tronel. Les applications sont multiples. Dans les zones côtières, la technique pourrait servir à suivre la salinisation des aquifères ou à repérer les nappes d’eau douce vulnérables. Dans les bassins intérieurs, elle aiderait à prévoir les effets du changement
climatique sur la recharge des nappes. « Chaque territoire a sa signature géologique, mais la méthode reste la même : observer, comprendre, anticiper », insiste le directeur régional. Le BRGM inscrit ainsi son action dans une vision de long terme : une transition hydrique qui combine innovation scientifique et gouvernance territoriale. « On parle souvent d’adaptation climatique comme d’un concept abstrait. Ici, elle se joue dans la roche, dans la connaissance du sous-sol. »
À terme, la cartographie 3D issue des campagnes aériennes sera mise à disposition des collectivités et des gestionnaires de l’eau. Elle servira aussi à enrichir le Référentiel Géologique de la France, la grande base de données nationale sur la structure du sous-sol. Le BRGM pourrait ainsi constituer, région par région, une vision complète des réserves d’eau souterraines du pays. Une approche qui pourrait inspirer d’autres territoires méditerranéens confrontés aux mêmes défis. « Nous devons raisonner en profondeur, conclut Frédéric Tronel. L’eau ne se gère plus seulement en surface, avec les rivières et les barrages. Elle se gère dans le sous-sol, là où elle circule, s’accumule ou disparaît. Comprendre cela, c’est apprendre à gérer une ressource vivante. »

Frédéric Tronel est géologue de formation, engagé dans l’ingénierie et l’expertise environnementale.Il occupe actuellement la fonction de Directeur régional délégué BRGM Occitanie – Délégation de Toulouse – où il coordonne les activités scientifiques et techniques de l’agence Occitanie à Toulouse. Avant de rejoindre le BRGM, il a exercé près de 30 ans en bureau d’études (notamment au sein de Burgeap Sud-Ouest) où il a dirigé des équipes pluridisciplinaires sur des sujets tels que les sites et sols pollués, les ressources en eau et l’énergie.