Environnement

Par Agathe Perrier, le 17 avril 2025

Journaliste

Des maisons pour poissons avec les résidus de la sidérurgie

Des suivis physico-chimiques et biologiques ont permis d'analyser l'impact des laitiers sur le milieu marin © Remy Dubas

Des millions de tonnes de cailloux – ou laitiers dans le jargon – sont entreposés dans les usines françaises d’ArcelorMittal. Des résidus de la production d’acier que le sidérurgiste espère bientôt pouvoir valoriser en mer. Menée avec l’entreprise Ecocean et différents partenaires, une étude a montré que ce matériau n’a pas d’impact négatif sur le milieu marin et, au contraire, présente un vrai intérêt pour la faune.

La fabrication d’acier, comme toute activité industrielle, génère des résidus de production. À l’image des laitiers d’aciérie de conversion. « Ce sont de lourds cailloux qui ne se décomposent pas en poudre. Et leur densité est plus importante qu’une pierre naturelle », explique Marc Fixaris, responsable en Europe de la vente de coproduits en granulat et sable d’ArcelorMittal. Le numéro deux mondial de la sidérurgie en a des millions de tonnes en stock chaque année – entre 300 000 et 700 000 sur le seul site de Fos-sur-Mer, près de Marseille (Bouches-du-Rhône).

Après avoir éprouvé des solutions de valorisation sur terre (lire bonus), c’est vers la mer que son regard se tourne désormais. La multinationale en est convaincue : la robustesse des laitiers en ferait de bons matériaux de lestage. Encore fallait-il le prouver, aucune étude n’existant en la matière. « On a donc eu l’idée de lancer un projet de recherche pour mesurer leur impact environnemental au niveau maritime. C’est indispensable pour convaincre et développer de nouveaux usages », souligne l’expert. Nom de code : « Deltamar », pour « Développement écologique des laitiers d’aciérie pour le milieu marin ». <!–more–>

Plus de deux ans d’immersion

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Chacun des 18 casiers de laitiers pesait deux tonnes © Ecocean

C’est ainsi que l’industriel s’est rapproché du bureau d’études en environnement Ecocean. « Quand on a été contactés, on s’est bien renseignés sur la nature des laitiers. Il était hors de question pour nous d’utiliser en mer un matériau chargé en métaux lourds », souligne Gilles Lecaillon, président de cette société qu’il a fondée au début des années 2000. Ses doutes sont rapidement balayés. Les laitiers d’aciérie de conversion sont en effet principalement composés de chaux (environ 50%), puis de fer, silice et magnésie dans de moindres proportions. Restait néanmoins à savoir si les immerger représentait des risques pour le milieu marin.

Pour en avoir le cœur net, 18 casiers en acier remplis de laitiers, fournis par le site d’ArcelorMittal de Fos-sur-Mer, ont été plongés sur la zone des récifs artificiels de Leucate, au large de la côte ouest de la Méditerranée française. Chacun pesant deux tonnes, ce sont au total 36 tonnes de cailloux qui se sont retrouvés sous l’eau. Ils y sont restés pendant plus de deux ans, entre le printemps 2021 et l’été 2023. Une période durant laquelle ils ont fait l’objet de huit suivis différents, menés par Ecocean et sept partenaires, dont le CNRS et des laboratoires spécialisés (bonus). « On s’est entourés de structures indépendantes pour avoir l’étude la plus poussée et crédible possible », précise Marc Fixaris.

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Zéro risque pour le milieu marin

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Les suivis biologiques sur la faune ont montré que les laitiers présentent un intérêt pour elle © Remy Dubas

Une analyse physico-chimique a permis d’évaluer la qualité de l’eau, du sédiment et la composition chimique des laitiers. Les comparaisons ont été réalisées, selon les cas, avant et après l’installation des casiers ou avec des zones témoins. « On est allés assez loin dans le détail », indique Joyce Lambert, en charge du projet Deltamar chez Ecocean. « Il en est ressorti zéro impact et une innocuité des laitiers sur le milieu marin », révèle-t-elle.

Une première bonne nouvelle accompagnée d’une seconde. Les suivis biologiques sur la faune fréquentant les casiers ont montré que les laitiers présentent un intérêt pour elle. « Les poissons ont rapidement colonisé les modules. Tout comme la faune vagile, des invertébrés tels que les poulpes, les oursins ou les crevettes », résume la biologiste. Des résultats corroborés par l’analyse acoustique des lieux. Au terme de l’immersion des casiers, la biophonie (l’ensemble des sons produits par les organismes vivants) enregistrée autour s’est avérée aussi élevée que sur les récifs artificiels installés depuis quinze ans dans ces eaux. « C’est ce qui est presque le plus surprenant dans l’étude », confie l’experte. « Notre objectif est maintenant d’aller encore plus loin sur le suivi biologique, afin d’avoir une publication à part entière là-dessus ».

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Des débouchés à créer

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Les laitiers pourraient servir comme récifs artificiels ou matériaux de lestage © Remy Dubas

La non-dangerosité et l’utilité des laitiers d’aciérie de conversion étant désormais prouvées – corroborées d’ailleurs par l’étude d’un laboratoire néerlandais (bonus) – des opportunités s’ouvrent quant à leur valorisation en mer. Comme récifs artificiels, mais pas seulement. « Il y a de gros besoins de lestage, voués à augmenter. Que ce soit pour des câbles offshore, des mouillages écologiques ou pour se protéger de l’augmentation du niveau de la mer », expose Gilles Lecaillon.

Reste encore des obstacles à lever. Notamment trouver le bon contenant – vraisemblablement des sacs –, étape sur laquelle travaille justement Ecocean. En parallèle, il faudra convaincre les différentes entreprises du secteur d’abandonner les matériaux de lestage actuels – « généralement du béton ou des cailloux pétés sur les montagnes », dixit Gilles Lecaillon – au profit des laitiers. Le principal argument en leur faveur est évidemment écologique. À leur désavantage : leur coût plus élevé et le poids des habitudes, surtout dans les process industriels. Pas de quoi effrayer l’équipe de Deltamar. « On a listé toute une série d’usages possibles et on va faire des chantiers de démonstration au cas par cas », indique Marc Fixaris, son bâton de pèlerin en main. ♦

Bonus

# Derrière Deltamar – Ecocean, ArcelorMittal, des partenaires de recherche, techniques et institutionnels. Côté recherche : le laboratoire CEFREM, UMR 5110 CNRS/UPVD – Université de Perpignan, les laboratoires spécialisés Chorus et Créocéan, le bureau d’étude Biotope. À la technique : le groupe JIFMAR. Enfin, pour les institutions : la Région Occitanie, le Pôle Mer Méditerranée, l’agence régionale de développement économique Ad’Occ et la direction départementale des territoires et de la mer de l’Hérault. Le projet a coûté 400 000 euros, assumés par les deux sociétés fondatrices, avec une subvention de la Région Occitanie.

# Une autre étude suivant le même protocole – Elle a été menée par des chercheurs de l’université de Wageningen (Pays-Bas). « On l’a su après et nos résultats sont identiques », précise Gilles Lecaillon. La publication issue du projet Deltarmar est à retrouver ici et la néerlandaise, ici.

# Des solutions pour valoriser les laitiers – Dans différents domaines. Dans le monde agricole, le laitier d’aciérie de conversion est utilisé depuis de nombreuses années en guise de fertilisant mixte. À savoir un amendement-engrais, déversé autant sur cultures que sur herbages. En travaux publics, il sert surtout comme matériau de remblai, matériau de confortement d’ouvrages hydrauliques (protection de digues, rives, etc.) ou encore enrobés bitumineux.