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Zakariya Gasmi, le minot des quartiers Nord qui coache les puissants
Enfant, il rêve d’être blond et de s’appeler Charles. Efface son accent marseillais et parle comme un livre du XIXe siècle. Jusqu’à se rendre compte que son personnage « l’asphyxie de l’intérieur ». Minot des quartiers nord, descendant d’immigrés algériens, il finit par s’assumer tel qu’il est. Ce passionné de réthorique politique aide désormais les puissants à en faire autant.
« En entrant dans la chambre, Roubaud posa sur la table le pain d’une livre, le pâté et la bouteille de vin blanc ». Zakariya Gasmi est encore tout jeune enfant lorsque ses yeux parcourent ces premières lignes de La Bête Humaine d’Émile Zola. « Émile Zola est fils d’immigrés italiens, issu des classes populaires. J’ai été très marqué par sa littérature », raconte-t-il aujourd’hui du haut de ses 30 ans, chemise blanche, manches retroussées sous les coudes, derrière une tasse de maté glacé.
Faux-semblants
À l’époque, ces lectures sont pour lui bien plus qu’une simple distraction. Elles sont un cheval de Troie qui lui permet de fuir cette identité qu’il a du mal à accepter. Celle d’un minot des quartiers nord de Marseille, grandi cité du Castellas, dont les grands-parents sont venus d’Algérie. Lui, se rêve plutôt en Charles, blond, grand, typé suédois. En classe, il utilise le vocabulaire de ces auteurs du XIXe siècle qu’il adore, à grand renfort de passé simple. Ravalant son accent marseillais. « Cela faisait rire les copains et les profs ».
Parmi ces derniers, certains se prennent d’affection pour ce jeune nostalgique d’un siècle qu’il n’a pas connu. Ce jeune qui aime à imiter les hommes politiques, convaincu que pour avoir accès aux hautes sphères, il faut forcément en porter le costume. « Je pensais vraiment que pour réussir, je ne pouvais pas être moi. J’avais toujours cette manière de dégueuler mon patrimoine culturel, à grands coups de « nonobstant » et de « à brûle-pourpoint ». Il s’en amuse aujourd’hui. Maintenant que son parcours de vie lui a appris à faire la paix avec qui il est.
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« Je sentais que j’étais en train de me tuer de l’intérieur »
Lycée Thiers. Sciences Po. « Je visais l’ENA. J’enfilais ma cravate tous les matins ». Mais peu à peu, la supercherie s’ébrèche. De plus en plus, il perçoit ses habitudes quotidiennes comme une comédie. La source d’un mal-être qu’il a encore du mal à nommer. « Je sentais que j’étais en train de me tuer de l’intérieur », formulera-t-il plus tard lors d’une conférence TedX. « Mon personnage m’asphyxiait ».
Il voyage. Enchaîne les concours d’éloquence. En remporte beaucoup. Et se souvient de l’un d’entre eux en particulier. Concours national d’éloquence HEC Polytech. Le genre de concours très normé. « Mais au moment de la finale, je choisis de sortir du pupitre. Et c’est en cassant les codes que je deviens champion d’éloquence. En étant cash, direct. En parlant avec mes mains ». Le début d’un processus de réappropriation de soi. D’affirmation. Qui lui ouvre de nouvelles opportunités.
Du Castellas aux puissants
Son goût des mots, sa passion pour la rhétorique politique le conduisent à écrire des discours pour Benoît Payan, pour Michèle Rubirola. Ou encore pour la ministre des Sports Roxana Maracineanu.
De son parcours, de ces expériences comme conseiller, il développe une nouvelle approche de la prise de parole en public. Celle-ci ne doit selon lui pas être une mise en scène des habitus des classes dominantes, pour reprendre le vocabulaire de Pierre Bourdieu. La prise de parole en public doit être l’occasion de mettre en avant la personnalité de chacun. Il fonde alors le concept « d’identité oratoire ». S’assumer. S’affirmer plutôt que de mimer les dominants. Inutile ainsi pour les personnes issues de classes populaires de jouer les CSP+. Pas la peine non plus pour les femmes de vouloir adopter les codes d’une masculinité discutable.
C’est sur ce socle qu’il fonde en 2021 sa société, Parole Stratégique. « J’accompagne des personnes de toutes classes sociales. Beaucoup de femmes ». Il les aide à vaincre le sentiment d’illégitimité. La peur de mal faire. Les aide à « explorer leur armure et à la fragiliser. En fait, je capte tout de suite quand les gens jouent un rôle. Et je sais la souffrance qu’il y a derrière cela. Quand on se met à nu, on est plus costaud ». Faisant de cette citation d’Alfred de Musset son mantra : « Rien n’égale votre puissance sinon votre fragilité ».
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Ambitions accomplies

Enfant, il avait deux rêves. Écrire un livre et être président de la République.
Pour le premier, c’est chose faite avec sa participation à l’écriture de « Sur les traces de Monte Cristo ». Le second ne semble plus tellement être d’actualité, le jeune homme préférant l’ombre à la lumière. « Je veux contribuer à libérer les gens. À leur permettre d’être tels qu’ils sont. J’ai envie d’une société où tout le monde a le droit d’être fragile ».
Il a plusieurs petites revanches sur la vie à son actif. Notamment celle d’avoir été nommé parrain de la promotion 2024 de l’école de communication Efap qu’il n’aurait jamais pu se payer. « Je crois que c’est une de mes plus grandes fiertés ».
30 ans. Et l’impression, déjà, d’avoir sa carrière derrière lui. « J’ai fait du haut niveau très tôt. Maintenant, je crois que j’ai envie de simplicité ». Apprécier la vie. Savourer cette paix retrouvée avec lui-même. Lui, Zakariya Gasmi. Minot des quartiers Nord. Petit-fils de Haoues Latreche, immigré d’Algérie qui, pendant trente-sept ans a reçu, impassible, la fumée de cigarette que son patron lui soufflait au visage. Droit. Fier. Une forme de noblesse qu’il cherchait désespérément dans les livres. Il sait désormais qu’elle coule dans ses veines. ♦

Bonus
# L’éloquence au cinéma – À compter du 7 octobre et chaque mois jusqu’en juin, Zakariya Gasmi décryptera au cinéma Bonneveine (Marseille) un film sous le prisme de l’éloquence. Parmi les films programmés : Le discours d’un roi, Omer ou encore Le Comte de Monte Cristo. Infos à suivre sur les réseaux sociaux du cinéma.
# L’identité oratoire – Pour en savoir plus sur le sujet, il peut être intéressant de regarder la vidéo du TedX de Zakariya par ici.
# La vulnérabilité s’expose – C’est tout l’objet de Vulnérable, une tribune signée par 18 personnalités dont François Crémieux, directeur de l’AP-HM. Leur mot d’ordre : reconnaître dans la vulnérabilité un “levier stratégique, capable de transformer nos organisations et de les rendre plus robustes, résilientes et humaines” Plus d’infos : vulnerable.org/vulnerable-exposition