AlimentationSociété

Par Audrey Savournin, le 18 mars 2025

Journaliste

Zina Mebkhout fait contre-poids aux injonctions

Boulimique vomitive pendant vingt ans, Zina Mebkhout est aujourd’hui thérapeute spécialisée en alimentation intuitive à Marseille. Dans son récent ouvrage « Manger sans culpabiliser », elle dénonce la culture des régimes dans une société grossophobe. Et invite à s’écouter et se faire confiance, plutôt qu’à lutter en permanence pour perdre du poids.

Pull fuchsia pailleté sur une petite jupe noire, manteau en fausse fourrure violette, petit sac à main et lunettes de vue multicolores dans les mêmes tons, rouge à lèvres rose vif, Zina Mebkhout est indéniablement une « Queen » en matière de look. Un mot qu’elle affiche sur sa broche dorée en forme de couronne très stylée, accrochée au niveau de la poitrine. Dans l’ascenseur qui nous mène à son cabinet, à deux pas du Vieux-Port de Marseille, une inconnue la félicite d’ailleurs pour sa tenue pleine de peps.

Car Zina Mebkhout ne travaille pas dans la mode. Elle est thérapeute spécialisée dans l’accompagnement des troubles alimentaires. Et autrice du livre Manger sans culpabiliser, sorti il y a quelques semaines avec ce sous-titre explicite : « Comment en finir avec la culture des régimes et retrouver une alimentation intuitive. » Comprendre « enfin s’autoriser à manger selon ses propres lois », « sans se gaver, ni s’affamer », résume-t-elle (voir bonus). En se faisant confiance. Un mode d’emploi appuyé sur des témoignages, mais aussi une analyse sociétale du rapport à la nourriture selon lequel « minceur = bonheur ».

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« Tu t’arrêtes demain »

Pleine de peps et bien dans ses baskets, Zina Mebkhout est thérapeute spécialisée en alimentation intuitive.
Pleine de peps et bien dans ses baskets, Zina Mebkhout est thérapeute spécialisée en alimentation intuitive. © DR

Un mantra grossophobe qu’elle a longtemps fait sien, à s’en rendre malade. « À 8 ans, j’étais dans la partie haute de la courbe et le médecin a dit à mes parents qu’il fallait faire attention. À partir de là, j’ai été dans l’hyper vigilance, on me surveillait, c’était infernal », se désole-t-elle. Militant contre cette courbe et contre l’IMC (indice de masse corporelle), trop réducteurs. Et martelant que mettre un enfant au régime est de la « maltraitance ». « À l’adolescence, j’ai ressenti une forte pression, confie-t-elle. J’avais faim mais je ne devais pas manger. On me disait que sinon je ne trouverais pas de petit copain, je serais en mauvaise santé… Alors je me privais, jusqu’à l’explosion. »

Pendant vingt ans, elle va se restreindre, puis manger compulsivement, culpabiliser, se faire vomir… Et se dire « Tu t’arrêtes demain ». « J’étais mince et mes parents ne voyaient rien ou préféraient ne pas voir. » La prise de conscience viendra d’elle, une fois étudiante. « Mes colocs se sont absentés plusieurs jours et j’étais terrorisée à l’idée d’être seule avec le frigo, les placards… J’étais obnubilée par la stratégie d’évitement, à me répéter que je ne devais pas manger », se rappelle Zina.

La santé mentale, angle mort

Son livre, "Manger sans culpabiliser, Comment en finir avec la culture des régimes et retrouver une alimentation intuitive" est sorti il y a quelques semaines.
Son livre, “Manger sans culpabiliser, Comment en finir avec la culture des régimes et retrouver une alimentation intuitive” est sorti il y a quelques semaines.

À 25 ans, elle finit donc par consulter, sans obtenir une aide adaptée : « On se contentait de me mettre au régime. » Nutritionniste, endocrinologue, sophrologue, hypnothérapeute… Tous ont eu une approche « toujours pondéro centrée » (focalisées sur la perte de poids, jamais sur sa santé mentale) et inefficace. « C’est ce qui m’a donné envie de me reconvertir », explique cette ex communicante. Pour apporter à d’autres l’accompagnement psychologique qu’elle n’a pas trouvé. Pour partager les connaissances qu’elle a d’abord acquises pour se guérir, elle.

« Ce n’est qu’au début de la trentaine, en multipliant les lectures, que j’ai compris que la restriction cognitive (Ndlr : l’intention de « faire attention » pour contrôler sa silhouette) est un problème et pas une solution. Mais j’avais toujours l’idée de maigrir, sans régime. Il m’a fallu deux ans pour accepter que mon corps ne soit pas en mesure de maigrir et en prendre soin. »

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Après avoir découvert l’alimentation intuitive, née en 1995 aux États-Unis, elle a choisi de s’y former. Puis d’en faire son nouveau métier en 2022. Un métier aussi politique sinon plus que son précédent : secrétaire générale de la Métropole Aix-Marseille Provence. Parce que défendre l’alimentation intuitive, c’est militant. « C’est un engagement », considère celle qui a coanimé le podcast féministe « de warriors » Yesss.

Et de rappeler que « régime » vient de « regimen » qui signifie gouverner. « Cela va de pair avec le contrôle des corps dans nos sociétés. On doit être en bonne santé, productive, rester frêle, discrète, ne pas prendre trop de place. Au point pour certaines de souhaiter disparaître en maigrissant. Ou au contraire de vouloir grossir pour ne plus attirer les hommes. La moitié de ma patientèle a subi des violences sexistes et sexuelles (VSS). Le trouble du comportement alimentaire (TCA) est un des symptômes du trauma. » D’ailleurs, l’alimentation n’est qu’une « porte d’entrée » pour la thérapeute, qui estime que « la bouffe, c’est seulement 20% de nos échanges. Ça a un rapport avec un abus, une discrimination, des problèmes psycho-affectifs… » Autant d’éléments qu’aucun régime ne pourra soigner.

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Un positionnement militant

Celle qui a coanimé le podcast féministe « de warriors » Yesss, poursuit son engagement militant.
Celle qui a coanimé le podcast féministe « de warriors » Yesss, poursuit son engagement militant. © DR

Zina Mebkhout va même plus loin, assurant que « les régimes ne marchent pas ». Tout simplement parce qu’ « à force de diaboliser la bouffe, on bouffe ». N’en déplaise à la lucrative industrie de la minceur. « C’est totalement contre-productif d’essayer de ressembler à un idéal, on a tous une morphologie naturelle et un poids d’équilibre. Quand on lutte pour descendre sous ce poids, on met son corps en famine, il se défend, stocke, et on est sûr de grossir. C’est comme ça que des femmes qui faisaient 65kg et voulaient en faire 60, finissent par être à 90kg. Avec un sentiment d’échec et une estime de soi déplorable. » Un positionnement qui lui attire des foudres. « C’est bon signe, ça veut dire que ça bouge », sourit-elle.

Régulièrement accusée d’inciter les gens à grossir, de nuire à leur santé, elle répond invariablement que « bien sûr, l’obésité augmente le risque de diabète, de problèmes articulaires ou cardio-vasculaires, mais ce n’est pas systématique. Et des personnes minces ont aussi ces pathologies. Quelqu’un qui se fait vomir a beaucoup plus de risques cardio-vasculaires que quelqu’un qui a pris du poids. Et moi je suis obèse, mais je vais très bien, je fais du sport… » Basket-ball, zumba, danse, randonnée… Cette belle-maman de deux enfants est hyper active. Elle s’est par ailleurs totalement réconciliée avec la nourriture. « Aujourd’hui je suis passionnée de cuisine et de pâtisserie, c’est super chouette, raconte-t-elle. Ce que j’ai perdu en acceptant la prise de poids, je l’ai gagné mentalement. C’est dans la grosseur que j’ai trouvé la paix. »

*Manger sans culpabiliser, de Zina Mebkhout. Éditions Solar (18,90 euros). @zin_ai

 

Bonus

# L’alimentation intuitive – C’est une approche développée par Evelyn Tribole et Elyse Resch, deux diététiciennes américaines, dès 1995. « Elle nous encourage à renouer avec nos sensations internes pour déterminer quand, quoi, et combien manger », écrit Zina Mebkhout. Bref à « s’écouter ». « L’objectif est de retrouver des comportements alimentaires fonctionnels, une estime de soi positive et un rapport sain à l’alimentation ainsi qu’à notre image corporelle. » C’est très développé aux États-Unis et au Québec, mais très peu en France où c’est apparu vers 2010.

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# Bien-être physique, social et mental – Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), cette dernière est « l’un des droits fondamentaux de tout être humain ». Depuis 1946, elle la définit comme « un état de complet bien-être physique, social et mental et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité».

♦ Légende photo de Une : Boulimique vomitive pendant vingt ans, Zina Mebkhout signe « Manger sans culpabiliser ». Un livre dans lequel elle dénonce la culture des régimes dans une société grossophobe. © DR