Société
L’éloge de la nuance d’Ismaël Khelifa
[vous trouverez ici un article plus récent sur Ismaël Khelifa, publié le 20 décembre 2024]
Journaliste et présentateur de l’émission Échappées Belles, Ismaël Khelifa a tiré une philosophie de ses voyages et de sa double origine, française et algérienne : le salut vient de la nuance et de la rencontre. Pour lui, les gens nuancés doivent désormais s’emparer des débats.
« On n’est pas chez les Bisounours ! » Si vous êtes la personne à qui cette banale mais assassine répartie s’adresse, vous voilà en mauvaise posture. C’est votre disqualification qui vient d’être prononcée. Vous ne connaissez rien à la vraie vie, à ses contraintes et ses duretés, laissez donc les grandes personnes s’occuper des choses sérieuses ! Cette expression faisant référence aux gentils oursons du dessin animé pour moquer un angélisme supposé s’est installée dans notre langage. Jusque dans les joutes politiques. Elle laisse aussi entendre que la mesure, la nuance n’a pas place dans les débats. Il faudrait attaquer tout de suite. Voir la vie en noir et blanc. Et ne pas voir les nuances de gris, les bons côtés. La vie, quoi.
“Je revendique mon côté Bisounours”

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“Les gens qui parlent sans nuance donnent l’impression d’avoir raison”
Co-fondateur et président de l’ONG, For my planet, ancien guide en régions polaires, Ismaël Khelifa, se situe dans la ligne d’Étienne Klein, philosophe des sciences. Ce dernier dénonce la disparition de la nuance et de l’argumentation, un phénomène accentué par les médias sociaux. « Les gens qui parlent sans nuance donnent l’impression d’avoir raison, analyse Etienne Klein. Quelqu’un qui doute, parce que la nuance a à voir avec le doute aussi, avec l’incertitude, la prudence, on dit de lui : « ce type-là, on ne sait pas ce qu’il pense. » Et donc un propos nuancé donne l’impression de se fragiliser par la forme qu’il prend. Or, ce ne sont pas dans les parties les plus extrêmes de la société que l’on trouve la vérité, mais dans des imbrications, dans des superpositions, dans la nuance, précisément, qu’elle se situe. »
Ismaël Khelifa pointe les réseaux sociaux, facteur aggravant. L’information, autrefois une denrée rare, se trouve aujourd’hui en surabondance. Nous en sommes bombardés et nos cerveaux gèrent mal ces flux. Cela contribue à la disparition de la nuance, pour nous aider à distinguer et à nous repérer : « l’excès d’informations limite notre capacité à la traiter de façon nuancée. »
Une double origine et des familles qui font la paix
Cette philosophie de vie, Ismaël Khelifa la doit très certainement, dit-il, à son histoire familiale. Il possède en effet des origines des deux côtés de la Méditerranée, française et algérienne. Son père, algérien, s’appelle Mohammed. Sa mère, Bernadette, est française. Donc deux grands-mères. L’une française. Et l’autre algérienne. « Elles sont de deux cultures complètement différentes. À un moment donné, les deux familles, évidemment marquées par l’histoire des deux pays, ont décidé d’avoir une attitude pacifique. Elles se sont rapprochées. J’ai des souvenirs extraordinaires de ces deux grands-mères très complices. Ceci m’a marqué, enfant. »
Ce globe-trotteur, écrivain voyageur plaide pour la rencontre. La vraie. Celle qui vous fait douter de vos a priori et qui vous change vos certitudes. « Nous avons besoin de rencontrer des gens pour discuter, pour apprendre, pour se disputer. Les réseaux dits sociaux ne font pas ce travail social, puisqu’ils portent à la radicalisation des positions. »
“L’important, c’est l’échange !”

Et l’espoir… « Il est désormais temps que les gens nuancés prennent la parole ! » ♦
Bonus
# For my planet. Avec sa femme Alice Khelifa-Gastine, journaliste et documentariste, Ismaël Khelifa a fondé l’association For My Planet. Une ONG de sensibilisation des jeunes aux « impacts du changement climatique sur leur environnement proche, et sur la nécessité de le protéger. »
Concrètement, For My Planet emmène des adolescents en expédition scientifique et écologique dans les parcs nationaux et régionaux. Aux îles du Frioul, au cœur du parc national des Calanques, par exemple.
Les enfants et les ados s’imprègnent de la nature. Ils s’émerveillent de sa beauté. Ils découvrent l’entraide, le travail d’équipe et le lien à l’autre. Puis, ils mettent en place dans leur établissement scolaire des projets éco-citoyens. À la fin de l’année, ces jeunes « Sentinelles de l’environnement » donnent des conférences pour raconter leur expérience, avec leurs mots d’ados, pour partager ce qu’ils ont vécu avec le plus grand nombre.
