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Au 3 bis f, l’art est soin
Déstigmatiser la psychiatrie en créant une expérience de soin par l’art ouverte à tous. C’est le pari relevé par le « 3 bis f » depuis plus de 40 ans au sein d’un hôpital d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Un modèle précurseur pour l’époque, qui a démontré toute sa valeur puisque tous les publics continuent de s’y mêler, sans distinction ni jugement. Aujourd’hui, le lieu est même labellisé centre d’art contemporain d’intérêt national.
Comme dans la soixantaine de centres d’art contemporain que compte la France, au 3 bis f, la créativité bouillonne. Ici, des artistes des arts vivants ou visuels peuvent passer quelques semaines à plusieurs mois en résidence. Mais ce site situé à Aix-en-Provence a une spécificité qui le rend unique. Pour en pousser la porte, il faut d’abord franchir la grille de l’hôpital Montperrin. Car c’est dans l’enceinte de ce centre hospitalier spécialisé en psychiatrie qu’il a été fondé.
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Faire du lieu le plus fermé le plus ouvert

On est alors en 1983, période où les pratiques médicales évoluent au sujet de la psychiatrie. Les services d’enfermement sont petit à petit délaissés en faveur d’espaces moins aliénants. C’est ainsi que le pavillon de force réservé aux femmes dites « agitées » est voué à la démolition. « Un collectif d’hospitaliers et d’artistes propose alors d’y créer un lieu d’art. Leur idée était d’y accueillir des artistes qui puissent partager leur travail aussi bien avec les patients de l’hôpital qu’avec le grand public. Et que, dans ce bâtiment auparavant le plus fermé de l’hôpital, entrent désormais tous les publics », raconte Jasmine Lebert, à la double casquette de directrice générale et directrice artistique des arts vivants du 3 bis f. Un nom qui rappelle d’ailleurs le passé de ce bâtiment puisqu’il l’a toujours porté.
Ce qui est également resté intact, c’est la vocation du projet. Aujourd’hui encore, la mission première du 3 bis f est d’accompagner la création artistique. Des artistes y sont hébergés, dans le cadre de résidences de recherche ou de création. La différence entre les deux tient au résultat final : aucune obligation de production à la fin de la première, contrairement à la seconde. « La seule condition imposée est d’organiser ce que l’on appelle des “sessions”. À savoir des moments ouverts à tous les publics où l’artiste échange sur où il en est. Ce n’est pas une transmission de savoir mais un vrai temps de partage », explique Marie de Gaulejac, qui chapeaute la direction artistique pour la partie arts visuels.
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Traiter avec les troubles psychiques

Élodie Rougeaux Léaud a justement été sélectionnée cette année pour séjourner au 3 bis f, à l’occasion d’une résidence de recherche de six mois. Logée et rémunérée, elle dispose à sa guise d’un atelier. Dans ces 80 mètres carrés se trouvait l’un des deux dortoirs. Avec vingt lits pour autant de femmes et un repos que l’on imagine peu réparateur. Le carrelage, laissé dans son jus, est un témoin de cette époque. « Le lieu est assez chargé, j’ai mis un certain temps à me sentir bien », reconnaît la plasticienne, diplômée des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. Elle a depuis mis au clair ses idées et travaille sur un projet autour de la notion de soutien.
Dans l’autre ancien dortoir, également transformé en atelier, un duo d’artistes occupe la place. June Balthazard et Pierre Pauze sont, eux, en résidence de création. Et peaufinent les derniers détails de leur exposition « Demain, si le jour se lève », qui va habiter le 3 bis f à partir du 9 novembre prochain (lire bonus). L’histoire est celle d’un monde plongé dans une nuit sans fin en raison d’un phénomène naturel énigmatique. « Le thème principal des expositions ne porte pas sur les troubles psychiques, il traite avec. Sinon les propositions seraient toutes centrées sur ce sujet et ce n’est pas ce que l’on souhaite », précise Marie de Gaulejac.
Leur film en trois parties sera projeté dans deux anciennes cellules d’enfermement et dans le réfectoire, devenus salles d’exposition. Ici non plus, le passé du site n’a pas été gommé. On aperçoit encore sur le sol des cellules les stigmates de l’accroche des lits. Et le couloir, panoptique et panacoustique – pour voir et entendre ce qu’il se passe d’un bout à l’autre – est toujours habillé du même carrelage.
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Anonymat total

Les patients de l’hôpital Montperrin qui fréquentent le 3 bis f, à l’instar du grand public, le font en total anonymat. Et de leur propre chef. Aucun justificatif ne leur est demandé et chacun est libre de dévoiler les raisons qui le poussent ici. La déségrégation – l’idée de mettre fin à toute forme de groupe selon son état, son statut, son origine – est l’un des principes fondamentaux du lieu. Tout comme le fait d’être « non thérapeutique a priori ». « C’est la personne qui vient qui estime si c’est thérapeutique ou non pour elle. Ça permet de la remettre au cœur de ce qui fait soin », glisse Jasmine Lebert.
La porte du 3 bis f est aussi ouverte en dehors des moments d’exposition ou des sessions. Les matins de la semaine, une tisane – maison avec les plantes cultivées sur place – est proposée à qui en a envie. Les après-midis, le jardin est accessible librement. Des séances de jardinage collectif sont en outre organisées tous les mercredis depuis environ trois ans (bonus). Une façon de ramener du vivant dans cet espace qui en a été privé pendant longtemps – il avait été recouvert de 40 centimètres de gravier en chaux blanche pour éviter de l’entretenir. À l’image de ce qui anime l’équipe du 3 bis f depuis quarante ans. ♦
Bonus
# Infos pratiques – Comme l’hôpital Montperrin, le 3 bis f est situé au 109 avenue du Petit Barthélémy, à Aix-en-Provence. Il est accessible du mardi au vendredi le matin, et du mardi au samedi l’après-midi. La programmation des expositions et événements organisés (sessions, ateliers jardinage, etc.) est à retrouver en cliquant ici.
# Les artistes en résidence – Élodie Rougeaux Léaud est encore au 3 bis f jusque début 2025. Différentes « sessions », ces temps de partage propres au centre, sont d’ores et déjà programmées (cliquez ici). Quant à l’exposition « Demain, si le jour se lève » de June Balthazard et Pierre Pauze, elle est visible du 9 novembre au 18 janvier et s’inscrit dans le cadre de Chroniques, la biennale des imaginaires collectifs. Plus d’infos ici.
# Fédérer les initiatives – En 2022, le 3 bis f a initié un projet de réseau « Art, soin, citoyenneté ». Le but : fédérer tous les projets et initiatives activant un rapport entre l’art et le soin. « Cela fait 40 ans que l’on traite ce sujet, on veut partager notre expérience », explique Jasmine Lebert. Car il existe d’autres lieux qui, s’ils ne sont pas identiques au centre aixois, présentent des points communs. Par exemple, l’hôpital Montfavet d’Avignon, dans le Vaucluse, dispose d’une salle d’exposition. Y sont exhibées les créations des participants aux ateliers de « psychothérapie à médiation créatrice » organisés par l’établissement. Au centre hospitalier du Valais romand, à Monthey en Suisse, un espace culturel a été créé en 2011. Baptisé « Malévoz Quartier Culturel », il regroupe une galerie d’art, une résidence, des ateliers d’artistes, un théâtre et une buvette autogérée. Liste non exhaustive.