SantéSociété
Le Clubhouse aide les personnes atteintes de troubles mentaux à se reconstruire
Près d’un Français sur cinq serait touché par un trouble psychique. La France peine pourtant à évoluer dans sa manière d’appréhender la santé mentale et les personnes qui en sont atteintes se trouvent trop souvent privées de leur pouvoir de décision. À Lille, le Clubhouse ne les considère pas comme des patients, mais comme des membres, et ça change tout !
« J’ai été hospitalisé trois-quatre fois sous contrainte », relate Nicolas, 45 ans. Rosie*, 28 ans, aussi a séjourné plusieurs fois en psychiatrie. Elle vit depuis dix ans avec un trouble schizoaffectif et raconte, la gorge serrée, « une hospitalisation traumatisante à Maubeuge où elle a subi un mois d’injections ». Depuis, Rosie a tout essayé : l’homéopathie, les anxiolytiques, les antidépresseurs… Mais rien n’a changé.
L’isolement et la stigmatisation face aux maladies mentales
Comme Nicolas, Fabrice, Mia*, et tant d’autres, Rosie fait face à la stigmatisation de la société. « Personne n’a envie d’être ami avec le fou », lance Nicolas. Le quadragénaire estime que sa maladie – il est atteint de schizophrénie depuis ses 19 ans – lui a coûté sa relation de couple. Fabrice impute ses quatorze années de chômage à ses troubles anxiodépressifs. « Tout a basculé le 13 août 2009, quand j’étais dans le transport routier. J’ai eu un accident de la route, où j’ai frôlé la mort, suivi d’une mise à pied conservatoire puis d’un licenciement. »
“Ça fait quatorze ans que je subis les décisions de la MDPH”
Et là, le trou noir. Un divorce, la plongée dans le parcours du soin, les diagnostics, l’isolement. « Ça fait quatorze ans que je subis les décisions de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées). Je n’en parle pas beaucoup, dans mon environnement familial, ils ne comprennent pas », confie Fabrice avec gravité.

Le repli sur soi est malheureusement très fréquent chez les personnes atteintes de troubles mentaux. Mia, jeune femme pleine d’entrain, s’est peu à peu enfermée sur elle-même après plusieurs épisodes de burn-out. « Je faisais du ”canaping”, mon canapé était devenu ma seconde peau », lâche la Lilloise qui ne supportait plus d’être l’éternelle amie dépressive et préférait rester seule, par crainte du jugement des autres.
Les troubles mentaux concernent 13 millions de Français
« Les troubles mentaux sont des handicaps invisibles. C’est le seul domaine où la personne porteuse s’entend dire qu’elle ne fait pas assez d’efforts », s’indigne Nathalie Lancial, directrice du Clubhouse de Lille.
Après une thèse en sociologie, un parcours dans l’univers de l’addictologie, Nathalie Lancial a été contactée par Clubhouse pour monter le projet à Lille. Consciente de l’explosion des prises en charge pour des problématiques de santé mentale, depuis le confinement de 2020, elle a accepté. Sur 13 millions de Français concernés, selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), trois millions souffrent de troubles psychiques sévères et plus d’un quart consomme des médicaments pour le mental.
“On ne guérit pas d’une maladie mentale, on apprend à vivre avec”
La maladie mentale reste mal vue, en France, en particulier les pathologies lourdes comme la schizophrénie. La faute à une méconnaissance générale ,selon Nathalie Lancial. « On ne guérit pas d’une maladie mentale. Chaque personne apprend à vivre de la manière la plus satisfaisante possible avec ».

Or, trop souvent selon la professionnelle, le milieu médical tente de soigner les troubles mentaux comme il soignerait un cancer. Et faute de pouvoir guérir les patients, le milieu hospitalier à tendance à peu à peu infantiliser. « On leur donne leurs médicaments, fait leur linge, on leur assigne tel atelier, etc. Ici, on les écoute et on les amène à avoir confiance en eux », souligne Nathalie Lancial.
Une méthode tournée vers la réinsertion professionnelle
Depuis 2022, le Clubhouse de Lille accueille des personnes concernées par un trouble psychique tel que la schizophrénie, la bipolarité, la dépression sévère, les troubles du comportement ou les conséquences d’un burn-out.
Situé en centre-ville, dans une rue périphérique, sa devanture ne démarque pas des autres immeubles tertiaires qui bordent la rue. L’intérieur ressemble à première vue à une entreprise. Les murs sont blancs. Un couloir prolonge l’accueil, des bureaux en enfilade s’y trouvent. Ici, les quatre salariés reçoivent les usagers de la structure pour des entretiens personnalisés et les aider à se relancer dans un projet professionnel.
-
Relire l’article : Tchiquit’ tchiquita à l’hôpital psychiatrique
Les Clubhouse sont nés aux États-Unis, il y a 70 ans
Une fois, ce couloir franchi l’ambiance est tout autre. On découvre une très grande cuisine ouverte baignée de lumière, avec vue sur le jardin collectif. On entend des rires. Les casseroles s’entrechoquent, les membres s’affairent pour préparer les repas. De grands panneaux d’affichages indiquent les tâches du jour et surtout qui va s’en occuper. Car au Clubhouse de Lille, les personnes atteintes de troubles mentaux ne sont pas des patients, mais des membres, qui contribuent autant que les salariés à faire vivre l’accueil de jour. Elles s’occupent du ménage, de la cuisine, de l’accueil, organisent des ateliers, répondent à des appels à projets… Le but : rompre l’isolement, œuvrer à l’insertion sociale et professionnelle et déstigmatiser la santé mentale.
Cette nouvelle manière d’appréhender ce handicap est née aux Etats-Unis il y a 70 ans. Depuis, elle s’est étendue à plus de 35 pays. En France, les Clubhouses n’ont ouvert leurs portes qu’en 2011. Le concept a d’abord été expérimenté à Paris en 2011, puis Bordeaux, Lyon… et Lille en 2022. Depuis, 213 personnes sont devenues membres du pôle lillois. La découverte de ce lieu a complètement changé la vie de Fabrice, Mia, Rosie… Ils ont repris confiance, osent sortir de leur domicile, faire leurs courses, inviter des amis chez eux, reprendre une formation… Mais c’est sans nul doute chez Nicolas que la transformation est la plus impressionnante.

“Là, je suis celui qui a le pass, les clés et qui est vu comme un expert »
Arrivé au club il y a deux ans, après des recherches réalisées sur Internet pour trouver un lieu qui lui conviendrait, le quadragénaire est devenu collaborateur de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Il a encore du mal à croire à ce qu’il vient de vivre. « J’ai réalisé une mission en tant qu’observateur dans un hôpital psychiatrique à Arras. Avant, j’étais hospitalisé en clinique psychiatrique, où j’ai vécu l’isolement et la contention. Et, là, je suis celui qui a le pass, les clés et qui est vu comme un expert ».
Nicolas fait en effet partie d’un groupe d’experts chargé d’évaluer à partir de 116 critères comment améliorer la prise en charge des patients en hôpitaux psychiatriques.
Si le parcours du quadragénaire force le respect, Nathalie Lancial tient à rappeler que le Clubhouse n’est qu’une manière de répondre aux problématiques de santé mentale. « On rencontre un public qui n’avait pas trouvé de solutions ailleurs, mais cela ne convient pas à tout le monde. Certaines personnes ont besoin d’être dans un milieu plus protégé comme l’hôpital ». Reste que, suite aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, le ministère de la Santé a décidé de développer des structures inspirées du modèle des Clubhouse. ♦