Alimentation
En Alsace, d’anciens supermarchés deviennent coopératives de producteurs
Redonner le goût des produits locaux aux consommateurs et rendre leur indépendance aux agriculteurs : voilà l’ADN de Cœur Paysan. Dans cette coopérative agricole installée dans une ancienne friche industrielle de Mulhouse, ce sont les producteurs eux-mêmes qui vendent leurs produits en direct.
C’est une carotte en céramique géante de 9,60 mètres de haut qui indique le chemin. Installée devant le magasin mulhousien (Haut-Rhin) Cœur Paysan, elle symbolise « la fraîcheur, la qualité et l’authenticité des produits locaux. » 20 000 pièces de mosaïque orange et miroir pour inciter les gens à faire leurs achats dans cette coopérative qui rapproche consommateurs et agriculteurs dans une ambiance chaleureuse.
Contrer le ras-le-bol agricole en devenant indépendants

Ils ont voulu reprendre le pouvoir sur leurs productions. Des agriculteurs alsaciens ont décidé de se passer des grandes surfaces et ont créé leur propre magasin, géré en coopérative par une cinquantaine d’entre eux.
Ainsi est né Cœur Paysan à Colmar, en 2016, dans un ancien supermarché Lidl. L’objectif ? Vendre directement leurs produits, locaux, aux clients. Et ne plus passer par la grande distribution qui, assurent-ils, ne les rémunère pas correctement.
L’idée émane d’un maraîcher alsacien qui souhaitait mettre en commun les forces de plusieurs producteurs. « Il voulait qu’on se rassemble pour acheter un lieu où vendre nos produits, nous explique Aurélien Guyon, ancien apiculteur et actuel directeur de Cœur Paysan. Pour des raisons économiques évidemment, parce que la vente directe est bien plus intéressante que la grande distribution ou d’autres biais. Mais aussi parce qu’il existe un ras-le-bol agricole depuis longtemps maintenant. Or, Cœur Paysan permet de rendre les producteurs plus indépendants. »

Rassembler leurs travaux et finances a ainsi permis à une cinquantaine d’agriculteurs alsaciens de vendre une grande partie de leur production au même endroit. « C’est plus simple, plus efficace. On n’a plus à chercher des points de vente, faire mille démarches et chercher les bons plans. La solution, aboutie, est là », assure Aurélien Guyon.
« Raccourcir la distance qui sépare la fourche de la fourchette »

Depuis mai 2023, un second magasin Cœur Paysan a ouvert ses portes à Mulhouse. Profitant des forces vives du magasin colmarien, les agriculteurs associés ont souhaité développer une coopérative dans cette ville qui ne proposait pas une telle offre. « À Colmar, le fait que des agriculteurs achètent un ancien Lidl était un message fort, se souvient le directeur Aurélien Guyon. Car on reprenait la main sur la vente de nos productions. À Mulhouse, ça a été un Chronodrive pendant un temps. Puis une friche industrielle dont une architecte voulait faire un espace de vie et d’échange, avec de l’habitat, des bureaux et un magasin de producteurs. Ça nous a parlé et nous nous sommes lancés. »
Au-delà des questions économiques, la volonté de ce collectif est d’offrir des produits locaux et de saison, des produits qui « ont du sens. » « Manger local, c’est rétablir un lien au temps, aux saisons, aux saveurs. C’est raccourcir la distance qui sépare la fourche de la fourchette », peut-on lire sur le site internet de Cœur Paysan. D’où l’envie de lutter contre l’anonymat alimentaire.
« Le produit appartient à l’agriculteur jusqu’au passage en caisse »

Le message est clair : derrière chaque produit proposé au magasin, il y a un producteur qui s’engage. « À chaque produit est associé un visage », glisse fièrement Aurélien Guyon. En témoignent les photographies affichées à l’entrée du magasin et à côté des produits, sur les stands. « Il y a une transparence absolue. Je pense que les gens cherchent actuellement cela, en plus des produits locaux et parfois écologiques. »
À la différence d’une grande surface, ici, les marges financières sont moindres. Cœur Paysan n’achète pas les produits, mais une commission est prélevée pour financer les charges et les salaires. « Le produit appartient à l’agriculteur jusqu’au passage en caisse », souligne le directeur. Ce sont donc les producteurs qui choisissent eux-mêmes leurs tarifs, en fonction de leurs besoins.
Ils sont également présents dans les magasins pour servir et échanger avec les consommateurs. « C’est valorisant pour eux d’avoir réalisé cet investissement immobilier et gagné cette autonomie. Mais n’oublions pas le contact avec le client ! Ils peuvent partager des conseils de cuisine comme expliquer leurs modes de travail. » Ce vendredi matin, c’est le producteur de bœuf qui tient lui-même son stand.
Des consommateurs qui se déplacent pour l’éthique agricole et le goût des produits

55 fermes sont représentées dans le magasin mulhousien, toutes alsaciennes. En y déambulant, on retrouve donc les yaourts d’Osenbach, les oignons et le pissenlit de Sélestat et les pommes de terre de Merxheim. Mais aussi de la viande, des fruits et différents féculents. « Pour pouvoir couvrir tout ce dont un ménage a besoin, on a élargi notre champ, ajoute Aurélien Guyon. Et invité par exemple un poissonnier et un producteur d’agrumes sicilien avec qui nous travaillons en direct. Ce n’est pas local, mais c’est de saison. »

Et les consommateurs répondent à l’appel. Avec une moyenne d’âge de 55 ans, le directeur estime que ses clients ne sont « pas forcément des bourgeois, mais ils veulent faire un achat éthique. Ils se déplacent dans ce quartier populaire parce qu’ils ont compris que le local était au moins aussi important que le bio. Or, c’est ce que nous défendons », rappelle le directeur.
D’autres font jusqu’à 25 minutes de trajet pour se ravitailler chez Cœur Paysan. « On a redécouvert le bon goût des produits », confient-ils, tout en dégustant des morceaux de pain de La Cabane à Farine. Aurélien Guyon ajoute que Cœur Paysan se présente comme une locomotive dans ce quartier en mutation, avec un caviste récemment installé dans la rue adjacente. « Nous ne sommes pas encore où nous aimerions être, mais notre projet fonctionne bien. Il nous manque la clientèle qui passe par là et se laisse tenter par notre proposition », conclut-il, fier de représenter des producteurs motivés. ♦