Économie

Par Marie Le Marois, le 29 mars 2024

Journaliste

Jocelyn Meire, en mode Fask Fashion Skills

Jocelyn Meire a fondé Fask en 2019 @Fask
[Héros Du QuotidienDétendu et chaleureux, Jocelyn Meire n’en est pas moins un entrepreneur exigeant et précis, qui a fait de l’exemplarité son socle. À la tête de l’association Fask, créée en 2019, l’audacieux multiplie les projets dans le but de relocaliser et dynamiser la filière mode. Avec une seconde intention : développer l’emploi.
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Rien ne prédestinait ce féru de voitures à embrasser la mode, excepté l’attention qu’il a toujours portée à son look. Face aux enjeux de la surproduction et du consommable, ce qui l’intéresse, c’est le développement économique de la filière. Ainsi que l’industrie, synonyme de « savoirs, compétences, exigence et précision. Mais aussi flux et process », égraine le fondateur de Fask avec force dans son bureau des Aygalades, dans le 15e, à Marseille. Et de prendre comme exemple une des machines de l’association : la pose-bouton pour coudre rapidement et facilement des boutons. Le mot ‘’Industrie’’ est apposé sur le logo de Fask, à côté de ‘’Poésie’’, comme « esthétisme et innovation ». L’un et l’autre sont intimement liés. 

Un réseau des professionnels de la mode

Le réseau Fask compte 140 professionnels de la mode @Fask

Il est arrivé à la mode, « par hasard et par opportunité ». Pour le comprendre, il faut remonter le fil de sa vie. L’ancien directeur général de la Cité des Métiers de Marseille et de PACA a cofondé TruckMyCar en 2018, une start-up dédiée à la mobilité, puis travaillé à la Maison Mode Méditerranée, avant de connaître un déclic : « Je me suis rendu compte que, ce qui manquait dans la région, c’était un réseau pour fédérer toutes les filières mode, faire corps et utiliser ce corps comme force ». Notamment pour porter les décisions auprès des collectivités et lever des soutiens privés.

Il fonde en 2019 Fask. Contraction de FAshion SKills, comme outils de la mode. Aujourd’hui, le réseau compte 140 membres, dont un bijoutier, « le plus jeune de la bande ». Mais aussi une entreprise labellisée ‘’Entreprise du Patrimoine Vivant’’ qui fabrique des cintres et des bustes à Carnoux. Et qui travaille avec la dernière fonderie de Marseille pour fabriquer le support.

Fask, un vivier engagé

Il y a aussi les maillots de bain Pain de Sucre et l’entreprise Fil Rouge, qui fabrique une partie des tee-shirts destinés aux bénévoles des JO-2024. Quand en mars 2020, il voit à la télévision les équipes des Ehpad manquer cruellement de masques, il lance un appel avec son ami styliste Mimo Carabetta. Ils seront entendus au-delà des membres de l’association : 1000 bénévoles fabriquent des masques, avec des bouts de tissu. Lorsque les premières normes sont divulguées, le réactif source du tissu homologué grâce à une campagne Ulule et à la création d’un fonds de dotation, toujours actif. American Vintage fournira les élastiques, le Palais de la Bourse deviendra « le point névralgique ». 

École de production pour les mineurs

les élèves de l’école de production de confection textile, @Fask

Parallèlement à la fédération, Jocelyn Meire crée une deuxième entité, toujours au sein de Fask, « pour monter des projets structurants ». Le premier d’une longue liste est une école de production de confection textile, dont la stratégie est de former pour relocaliser la filière. L’école est lancée en septembre 2022 avec une quinzaine d’élèves qui reçoivent durant deux ans une formation gratuite débouchant sur un CAP Métiers de la mode (vêtement flou) reconnu par l’État. « La deuxième promo a commencé en septembre 2023 et sortira en 2025 ». Si l’école répond à un besoin de la filière, elle permet également à « des jeunes un peu perdus de retrouver le droit chemin ». Toujours en phase d’amorçage, elle peine à trouver un équilibre financier, en raison des « charges fixes payées plein pot », déplore Jocelyn Meire qui, en ce moment, discute ces questions avec ses partenaires – État et Région.

Organisme de formation pour les adultes

Jocelyn Meire, avec les élèves @Fask

Le directeur de Fask, également président de l’UPMH (Union des professionnels de la mode et de l’habillement), est sur tous les fronts, en perpétuel mouvement. Nul doute qu’il puise son énergie dans sa nature passionnée. Ainsi, un an à peine après l’ouverture de son école pour les jeunes, il s‘attaque à un autre marché : le public adulte. Et lance en janvier 2024 un organisme de formation de confection textile, qui compte actuellement 14 formations identifiées – de trois jours à neuf mois. Parmi elles, le titre professionnel reconnu par l’État de ‘’couturier en atelier mode et luxe’’ – « l’équivalent du CAP ». L’organisme est certifié Qualiopi. Un détail qui a son importance, car cette certification du ministère du Travail permet aux intéressés d’accéder aux financements publics et mutualisés. Un détail qui a nécessité six mois de travail à Jocelyn Meire. Le jeune quinqua est non seulement précis, mais exigeant, « à commencer par moi ». 

« Il est compliqué de faire fabriquer localement. Par manque de bras, mais aussi de moyens : les banques ne veulent pas investir et les collectivités sont frileuses, considérant que la filière mode, et en particulier la filière textile, n’est pas prioritaire alors que l’impact économique est reconnu », Jocelyn Meire.

Exigence et exemplarité

L’atelier partagé de Fask @Fask

Ces traits de caractère sont l’héritage de ses parents, tous les deux anciens sportifs de haut niveau. Sa mère en athlétisme, son père en handball. Ayant fait carrière dans l’enseignement, c’est également eux qui lui ont inculqué le goût pour la transmission. Eux encore qui lui injectent l’exemplarité comme valeur fondamentale. Raison pour laquelle Jocelyn Meire a mal vécu le désert professionnel qu’il a traversé à la quarantaine. Après douze ans de Cité des Métiers, il était en effet parti à Paris prendre la direction du développement commercial et de l’international à l’Afpa, attiré par « les sirènes » du poste. Une « mariée trop belle » qu’il quitte trois mois plus tard et le plonge dans « un passage à vide » – ambiance canapé-Netflix. Ce qui lui fait dire aujourd’hui, avec son humour, que cette case-là, il l’a cochée aussi.

Atelier partagé et ‘’marketplace’’ pour les tissus dormants

La Ressourcerie permet à des tissus inutilisés de sortir du placard et à des créateurs, de les valoriser. @Fask

Fask propose également un atelier partagé en open-space pour ceux « qui veulent fabriquer du local ». Cet éternel enthousiaste fait l’inventaire des machines qui offrent à ceux qui n’ont pas les moyens – ou toujours l’utilité -, de s’en servir : celle qui permet de travailler le cuir et le jean, celle qui fabrique les boutonnières ou bien encore celle qui pose les boutons. Son dernier projet est une marketplace qui met en lien les stocks dormants des entreprises – « les rouleaux de tissu qui ne servent plus à rien ».

Quant aux petits créateurs qui ont besoin de peu de tissu, ils veulent « sourcer » leurs matières et des matières durables. « Pour l’instant 8000 m2 de tissus sont référencés », s’enorgueillit celui qui recherche un alternant pour chiner les stocks et faire connaître la marketplace. En juin 2024, Fask posera une pierre supplémentaire à son édifice. Jocelyn Meire garde le mystère. Nul doute qu’il nous surprendra encore. ♦