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Par Agathe Perrier, le 9 janvier 2025

Journaliste

Il y a 80 ans, une « ville » américaine en Provence

L'un des amphithéâtres en plein air du camp de Calas, rempli lors de la projection d’un film en 1945 © Archives de Marseille 129 Fi 172, Vergis

Quel voyageur arrivant à la gare TVG d’Aix-en-Provence sait qu’il foule le sol où se tenait l’un des plus grands camps militaires américains d’Europe de la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Quasiment aucun et, globalement, le constat est le même chez les habitants du coin. C’est pourquoi le musée de Cabriès (Bouches-du-Rhône) consacre actuellement une exposition à cette période particulière, afin de la (re)mettre en lumière et d’œuvrer au devoir de mémoire. 

C’est un pan de l’histoire méconnu, y compris de nombreux Provençaux. À partir de 1944, à la suite du débarquement de Provence, un camp de transit pour soldats américains a vu le jour près d’Aix-en-Provence. Sur une zone gigantesque de 750 hectares – l’équivalent de presque 1 100 terrains de football – sur le plateau de l’Arbois. Le « Calas Staging Area » n’a jamais désempli jusqu’au départ des GI’s en 1946. Près de deux millions d’entre eux y sont passés, pour une quinzaine de jours en moyenne. Avant, selon les époques, de remonter vers le nord du territoire français pour repousser l’armée allemande, d’être transférés vers le Pacifique pour combattre le Japon ou de rentrer au pays. <!–more–>

Un passé sur lequel la métropole Aix-Marseille-Provence et la ville de Cabriès ont souhaité mettre l’accent dans le cadre du 80e anniversaire du débarquement et de la Libération. « En tant que municipalité, et même que citoyen, on a le devoir de faire perdurer l’histoire, afin qu’elle ne meure pas avec ceux qui l’ont vécue », souligne Sylvie Mach, adjointe à la maire de cette commune du Pays d’Aix – dont Calas est un hameau –, chargée de la Culture, du Patrimoine et du Tourisme. D’où l’exposition « La Provence américaine », présentée jusqu’au 19 janvier au musée Edgar Mélik (lire bonus).

♦ Lire aussi l’article « Marseille et les Américains, quelle histoire ! »

Théâtres, cinéma, terrains de sport

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Bibliothèque installée par le sergent Robert Stake © Archives de Marseille 129 Fi 180, Quast

Après une première salle dédiée au débarquement en Provence, afin de se remettre dans le contexte, les visiteurs sont pleinement plongés dans le passé du camp de Calas. À grand renfort de vidéos d’archives et de photographies format XXL, qui aident à pleinement mesurer l’immensité du lieu. « Cet emplacement a été choisi pour sa proximité avec Marseille, sa typologie plate et son raccordement à l’eau grâce au bassin du Réaltor », relate Sylvie Mach.

À l’intérieur, on y trouvait les installations d’un camp militaire traditionnel : des baraquements, des sanitaires, un hôpital… Mais aussi de nombreux services culturels et des activités de loisirs. Comme quatre théâtres – un couvert et trois de plein air, dont un de 17 000 places – où les vedettes de l’époque, telles Marlene Dietrich ou Mickey Rooney, se sont même produites. Un cinéma également, pour projeter les derniers films hollywoodiens, des terrains de sport, des salles de jeux et de détente, des bibliothèques, des bureaux de poste, des magasins… « C’est une véritable ville qui a été créée, avec une capacité d’accueil de 100 000 personnes », complète Laura Branger, la responsable du musée.

« Une armée dans un bled de province »

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Le camp de Calas s’étalait sur 750 hectares, soit 7,5km de long et 450m à 2,5km de large © Archives de Marseille 129 Fi 75, John Vergis

Reste que lorsque les Américains plantent les premières tentes, Calas n’est alors qu’un village de 400 âmes. Principalement des paysans exploitant leur ferme. Les témoins encore vivants étaient si jeunes à cette période qu’ils se souviennent surtout des distributions de nourriture, les GI’s disposant de stocks bien remplis pendant que les Français souffraient de la faim. C’est ainsi qu’ils ont goûté à leurs premiers chewing-gums et bouteilles de Coca-Cola. Des souvenirs plutôt heureux, car souvent associés au début de la Libération et à un nouveau chapitre après cinq ans de guerre.

Les adultes, eux, ont livré des témoignages plus nuancés. « L’arrivée des soldats a été un choc, ils n’étaient pas prêts. Il faut se rendre compte que c’est une armée qui a déboulé dans un bled de province », rappelle l’élue. Les militaires ont notamment pris pour habitude de se réunir dans l’unique bar de Cabriès. L’effet de groupe et l’alcool ont parfois entraîné des débordements. « D’un côté, les habitants étaient contents que la France soit libérée grâce aux Américains. D’un autre, ils trouvaient que ces derniers faisaient un peu tout et n’importe quoi », résume Laura Branger.

♦ Lire aussi l’article « Une école des porte-drapeaux… et passeurs de mémoire »

Vestiges du quotidien

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Une partie des objets retrouvés au camp de Miramas et exposés au musée de Cabriès © Agathe Perrier

La partie sud du Calas Staging Area comprend en outre un camp de prisonniers – le CCPWE 404. Allemands pour la plupart, ils ont été contraints de se joindre à l’effort de guerre au profit des Alliés, au leitmotiv que « Celui qui ne travaille pas ne mange pas ». Tout en pouvant profiter de certains services, comme le barbier, et d’espaces pour se laver ou nettoyer le linge.

L’exposition revient sur leur vie ici, loin d’être idéale mais très différente de celle des camps de concentration. 70 objets archéologiques sont ainsi présentés, pour la première fois d’ailleurs. Ils proviennent cependant du camp 412, situé à Miramas et voisin d’une quarantaine de kilomètres de celui de Calas. Car, lui, a été fouillé en 2015 (bonus). En sont ressorties près de 22 300 reliques : des flacons de verre encore pleins de leurs contenus d’époque, notamment de l’anti-moustique, des lotions Mennen, des bouteilles de Coca-Cola… Une très grande majorité de marques américaines, comme les boîtes de rasoir Gillette, et d’objets estampillés « US Army ». « Ce type d’objets est très important. Ils racontent le quotidien et la culture matérielle existante au sein des camps, ce que les archives ne révèlent pas forcément », glisse la responsable du musée.

Les GI’s ayant enterré une grande partie de leurs déchets et de ce qu’ils ne comptaient pas ramener avec eux à la fermeture des camps, nombre d’objets demeurent encore sous terre. Même si l’ancien site de Calas a été souvent pillé. Une démarche d’ailleurs interdite et punie d’une peine maximale de 150 000 euros d’amende et de dix ans de prison.

Le début d’un long projet

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Lors des fouilles au camp de Miramas, 22 300 objets ont été sortis de terre © Frédéric Marty, Métropole AMP

Quant aux vestiges du camp de Calas lui-même, peu sont visibles. Des dalles et escaliers en béton par-ci par-là, quelques inscriptions. Parmi les rares éléments notables, une cabine de projection. La végétation la cache néanmoins entièrement aujourd’hui. « Lorsque j’y suis allée dernièrement pour une visite avec des membres du consulat des États-Unis, j’avais beau avoir ses coordonnées GPS exactes, on a failli ne pas la trouver », indique Sylvie Mach. « Ce n’est pas plus mal car ça la protège », souligne Laura Branger. Pour un potentiel projet mémoriel ? L’adjointe à la Culture ne cache pas son envie de créer sur la commune un site dédié au débarquement de Provence et à cette présence américaine si peu connue. « On en a la légitimité de par ce camp », estime-t-elle.

Ce pan de l’histoire est en outre peu, pour ne pas dire pas, traité dans les manuels scolaires. Un manque que l’exposition cherche à combler. Des créneaux sont pour cela réservés aux scolaires. 700 élèves au total devraient passer par le musée Edgar Mélik d’ici le décrochage. Une version itinérante prendra ensuite la relève et circulera dans des médiathèques et des établissements scolaires du département. Avant d’autres manifestations dès cette année, à l’occasion des 80 ans de la fin de la guerre. L’histoire n’a pas fini d’être (enfin) racontée. ♦

Bonus

# Infos pratiques – « La Provence américaine – De la Libération à la reconstruction (1944 – 1947) ». Commissaires d’exposition : Frédéric Marty et Elise Vanriest Dabek. À voir jusqu’au 19 janvier 2025 au musée Edgar Mélik (13480 Cabriès). Entrée gratuite. Ouverture : jeudi et vendredi de 9h à 12h et de 14 à 18h, samedi et dimanche de 14h à 18h. Conférence le vendredi 10 janvier à 19 heures sur le thème : « Les Américains, la Résistance et l’opinion en Provence, 1942-1945 ». Entrée libre sur inscription : patrimoine.culturel@ampmetropole.fr – 06 11 69 36 38

# Les précieuses fouilles du camp de Miramas – Elles remontent à 2015. Car, deux ans plus tôt, un diagnostic archéologique réalisé avant la création d’une déviation routière a révélé sa présence. Seules les latrines du camp ont été fouillées. C’est néanmoins là que les GI’s avaient enfoui de nombreux objets avant la fermeture du camp.

# Les Américains dans tout le sud-est de la France – Le camp de Calas, celui de Miramas et d’autres en Provence ont fait partie de la « Delta Base Section », un vaste territoire s’étendant de la côte méditerranéenne, entre le Gard et Nice, le long de la vallée du Rhône jusqu’au-dessus de Lyon. L’armée américaine y a établi plusieurs bases et camps après le débarquement. D’abord pour soutenir les forces alliées au front puis pour aider à la reconstruction de la France. Avant de se retirer début 1946.

# Pour aller plus loin – Le documentaire « 1939-1945 Marseille et les Américains », réalisé par Matthieu Verdeil avec l’historien Robert Mencherini. Ce film raconte le rôle particulier des Américains, civils et militaires, pendant la guerre et après la Libération. À retrouver gratuitement en ligne en cliquant ici.