Économie

Par Olivier Martocq, le 18 février 2025

Journaliste

 Acheter du « Fabriqué à Marseille »

Une centaine d’entreprises ont postulé à ce nouveau label qui sera dévoilé en mars par la mairie de Marseille. Pour obtenir le droit d’apposer Fabriqué à Marseille sur leurs savons, spiritueux, spécialités culinaires mais aussi bijoux ou vêtements… Cette appellation vise à certifier la provenance des produits et à valoriser de nouvelles filières locales. Une indication précieuse pour le consommateur, notamment le touriste, sur ce qui est réellement fabriqué dans la cité phocéenne.

Le cas du savon de Marseille est emblématique. Multinationales, artisans marocains ou grecs… n’importe quel fabricant peut apposer un « savon de Marseille » sur son produit, même s’il ne répond pas au procédé, à la composition ni bien évidemment à l’origine géographique de l’original. Pour Raphaël Seghin président de la savonnerie Fer à Cheval, « ce label va nous permettre de nous différencier, mais aussi mettre l’accent sur le tourisme industriel qui est un vrai plus. En 2024, on a reçu 3500 visiteurs à la savonnerie. Là, ils prennent conscience de la qualité des ingrédients et du savoir-faire de nos équipes, qui expliquent la différence de prix ».

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Même retour de Guillaume Fievet de la Savonnerie du Midi qui a « pitché » devant la commission mise en place par la mairie pour déterminer les dossiers recevables. « L’Indication Géographique Protégée (IGP) n’est toujours pas sortie et ce alors que le dossier est déposé à l’INPI depuis dix ans. Alors, oui, ce label va nous permettre de nous différencier de nos concurrents ».

Visibilité et reconnaissance

Make It Marseille, établis partagés pour une quinzaine de créateurs @DR

« Fabriqué à Marseille » n’est pas qu’un label pour Laurent Lhardit, adjoint au maire en charge de l’économie avant d’être élu député en juillet 2024, qui en est à l’origine. « C’est un outil de visibilité et de reconnaissance des productions du territoire. Les produits retenus vont bénéficier de l’image très forte de la ville, notamment auprès des touristes ». Ces derniers ont été plus de 4 millions en 2024. Une clientèle française à 74%, pour qui l’appellation géographique a du sens selon les sondages qualitatifs réalisés par Provence Tourisme.

« Les Marseillais pourront également sans se tromper privilégier ce qui génère des emplois ici, complète l’élu. Tout en étant sûrs de la qualité puisque nous avons examiné les candidatures et veillé à ce qu’elles respectent un cahier des charges. Avec cette opération de transparence, nous mettons également en avant des lieux partagés de production qui soutiennent le développement de la fabrication artisanale et industrielle sur notre territoire ».

Parmi les exemples retenus figurent la manufacture collective et solidaire ICI Marseille, sorte de fablab géant au nord de la ville, mais aussi avec son alter ego du sud, Make it Marseille. Dans ce dernier, des ateliers partagés accueillent depuis 2016 une quinzaine de créateurs. Pour Sophie Porte, sa directrice générale : « Ici, on ne commercialise pas. Chaque créateur a son propre canal de diffusion. Pour 300 euros par mois, il loue un établi et dispose d’un espace de stockage. Une de nos forces est d’être capable de concevoir des prototypes et de les usiner pour le compte de créateurs ». Les ateliers sont adossés à un espace de coworking, prisé notamment de jeunes consultants en marketing. Une diversité de profils qui permettent de faire connaître et développer les projets développés dans les murs.

Une aubaine pour les créateurs 

Kaouka, marque de vêtements réalisés par Éric Thierry à partir de pièces recyclées @DR

Éric Thierry, titulaire d’un bac de couture « totalement méconnu et c’est dommage » a eu plusieurs vies professionnelles avant de revenir à sa passion, la création de vêtements. Sa première collection, sortie en 2018, s’inspire de vêtements traditionnels japonais, les kimonos Boro*. « Pour les classes sociales les moins aisées, la tradition du Boro les amène à rapiécer leurs kimonos usés, déchirés. C’est le point de départ de ma démarche. En utilisant des jeans, mais aussi d’autres vêtements usés, je fais du recyclage et crée des pièces uniques. Le client sait qu’il ne croisera jamais personne avec le même vêtement ».

Kaouka, c’est le nom de sa marque, remplit tous les critères pour pouvoir bénéficier du label. « Marseille renvoie une image identitaire forte. Il suffit qu’un influenceur ou un des rappeurs de 13’Organisé porte un de mes vêtements et la mode sera lancée partout dans le monde ». Détail qui a son importance, Éric Thierry fixe le prix de chaque pièce en fonction des heures de travail passées dessus. « Puisque je ne paie pas la matière première ». Compter de 150 à 300 euros.

Autre forme de création avec Tristan Nicolas, cuisinier de formation. Lui a imaginé puis fabriqué des barres énergétiques. En six ans, bAAM ! s’est fait une réputation dans le milieu des coureurs longues distances. Quelque 7000 unités sortent chaque mois du laboratoire marseillais, emballées ensuite dans un Esat de la ville. « On a candidaté parce qu’il est important par rapport à notre clientèle d’afficher un ancrage français et, mieux encore, parfaitement identifié. Nous utilisons des produits de base bio, cultivés aux abords immédiats de la ville. Notre miel est issu de ruches marseillaises. Le label Fabriqué à Marseille va permettre aux consommateurs de nous distinguer dans les rayons ».

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Où l’on apprend que Marseille compte plus de 5 000 oliviers

bAAM !, la barre énergétique naturelle @DR

Le bailleur social 13 Habitat a produit en 2024 la première huile d’olive marseillaise. Son nom : la 13 Huile Gombertoise, en référence au domaine de la Claire, située au cœur des quartiers nord de la ville. « C’était un terrain de huit hectares, une oliveraie à l’abandon, envahie de gravats. Nous avons décidé de garder ce poumon vert essentiel dans ce quartier, mais de le réhabiliter et d’y produire la première huile d’olive d’un bailleur public », se félicite Nora Preziosi, sa présidente.

13 Habitat a construit cette aventure autour d’un programme d’insertion pour les jeunes des cités environnantes. Ainsi de Mathis, 17 ans, qui n’allait plus en cours depuis le collège. « Les oliviers, je ne savais pas qu’il y en avait, je ne les voyais pas alors que le terrain est juste à côté de chez moi.  Ça fait plaisir de voir ce que notre travail a donné », observe le jeune homme. La première récolte, 150 kilos d’olives, a donné plus de 200 litres d’huile vendue en bouteilles de 75cl.

Le label marseillais, un plus indéniable

Huile d’olive ”13 Huile Gombertoise” produite par Thierry David avec des oliviers situés au cœur des quartiers nord de la ville @DR

« Odeur de kiwi, d’artichaut, d’avocat, de fruité vert. Jolie ardense et persistance. Il y a quelque chose. C’est vraiment bien », analyse Emmanuel Perrodin l’un des chefs les plus réputés de la ville à qui j’ai fait goûter l’huile à l’aveugle. Membre de la confrérie des chevaliers de l’olivier du pays d’Aix, il reconnaît que ce sera très difficile pour Marseille de décrocher une AOP spécifique pour son huile d’olive. Mais que le label Fabriqué à Marseille dès lors est un plus.

Thierry David est le président de l’association du Moulin de Florette, créée en 2015. Il produit cette huile sur place, dans le 13e arrondissement de Marseille, et a transformé 70 tonnes d’olives cette année. « Ce sont les particuliers qui m’apportent les fruits de leurs arbres, raconte-t-il. Je pense qu’il y a 5 000 oliviers sur la ville avec un potentiel de 200 tonnes de cueillette par an ». Le prix au litre à la boutique du moulin est de 25 euros. « Ça peut paraître élevé, mais il faut plus d’une heure pour produire un litre. Or, nous ne conservons et vendons que 30% des olives apportées par les gens qui eux repartent avec leur huile gratuite ».

Le label Fabriqué à Marseille est pour lui un « tag » important, car il se voyait mal accoler sur l’étiquette le nom Marseille suivi d’AOP Aix-en-Provence. « Un calvaire pour notre positionnement tant chacune des villes revendique sa spécificité », sourit le meunier. ♦

Bonus

*Le boro est une catégorie de textile japonais fait de morceaux de tissus qui ont été raccommodés ou cousus ensemble. Le terme est dérivé du japonais boroboro, ce qui signifie « quelque chose en lambeaux ou réparé », l’équivalent de « haillon » ou « guenille ».