EnvironnementSociété

Par Nathania Cahen, le 7 avril 2025

Journaliste

Vers la reconnaissance des crimes contre la nature

Un écocide est une action ayant causé un dommage écologique grave ou irréversible. Aujourd’hui des militants et juristes du monde entier veulent criminaliser ces atteintes, encore trop souvent considérées comme de simples délits dans le droit français. Car cohabiter avec le vivant n’est plus négociable aujourd’hui. À la tête de Wild Legal, l’activiste Marine Calmet porte actuellement un Appel pour la reconnaissance des droits de l’Océan.

Repenser notre lien à la terre et à la nature, « décoloniser le droit » : c’est ce à quoi s’emploie la juriste et activiste Marine Calmet avec l’association Wild Legal. Un engagement qui a germé très tôt chez cette jeune femme dont le père, il est vrai, était océanographe. « Il m’a transmis son goût pour la mer et le vivant, ainsi qu’une forte intolérance à l’injustice », explique-t-elle. Son cursus universitaire ne sera finalement pas celui de commissaire-priseur, mais prendra le chemin du métier de juriste. « Parce ce que le droit est un outil essentiel pour se saisir de telles questions ».

L’Appel pour les droits de l’Océan 

Marine Calmet, présidente et co-fondatrice de Wild Legal ©DR

Les yeux dans le bleu, Marine Calvet savoure le soleil marseillais tout en touillant un café. La trentenaire est ici en mission avec le plongeur et biologiste marin François Sarano pour porter un « Appel pour les droits de l’Océan », tribune signée par des personnalités de la mer, élus, scientifiques, associations et citoyens et citoyennes engagés (bonus). 2025 est en effet une année cruciale pour la protection des océans avec la Conférence des Nations unies sur les océans, qui se tiendra à Nice en juin.

<!–more–>

Lancé le 6 mars dernier depuis Marseille en partenariat avec Opera Mundi, cet appel veut être le support d’une grande mobilisation en France et au niveau international, pour faire inscrire les droits de l’Océan dans la Déclaration qui y sera adoptée. L’UNOC-3 pourrait donc marquer un tournant historique pour la protection de la vie marine et notre avenir commun.

Parmi les signataires de la première heure, on trouve la Ville de Marseille et plusieurs élus. Ainsi que Patricia Ricard, présidente de l’Institut océanographique Paul Ricard, Guillaume Thieriot, chef de projet Année de la Mer 2025, Laurent Ballesta, photographe, plongeur, Guillaume Néry, apnéiste, double champion du monde, ou encore Gilles Bœuf, biologiste, ancien président du Museum national d’histoire naturelle…

♦ La pétition est portée par un collectif international d’ONG engagées pour la défense de l’Océan. Il rassemble, en France, les associations Wild Legal, Longitude 181 et Vagues, mais également Earth Law Center, Ocean vision Legal (USA) et l’Alliance mondiale pour les droits de la Nature. Pour la signer, c’est ici.

Transition juridique et droits de la nature

Franco-autrichienne, Marine Calmet a suivi notamment des études de droit comparé en Allemagne, « où le sujet de l’écologie est très fort ». Elle s’intéresse ensuite au droit coutumier des peuples autochtones de Guyane française, « dans lequel la propriété privée et individuelle sur la terre n’existe pas ». Lors de son séjour dans cette région d’outre-mer, elle s’investira dans le combat contre l’immense projet minier baptisé Montagne d’Or (lire bonus) qui a fait peser de graves menaces sur la biodiversité de la forêt amazonienne.

À son retour en métropole, en 2022, Marine Calmet fonde Wild Legal, une ONG engagée pour la transition juridique et les droits de la nature. Dans le cadre de ce programme expérimental et interactif, des étudiants, des experts et des citoyens collaborent pour les Droits de la Nature. Le programme relève à la fois de la méthode et du média. « Avec l’idée notamment d’incuber et enseigner de nouveaux modèles juridiques dans lesquels la nature possède des droits », étaye la jeune femme.

Ainsi, des étudiants en droit sont invités chaque année à plancher sur un cas pratique présentant une urgence, en lien avec des acteurs des territoires concernés. Par exemple, avec l’association Longitude 181 pour le projet de défense des cachalots de l’île Maurice et des requins de La Réunion.

« Nous voulons illustrer les failles de notre droit et proposer de nouveaux outils juridiques. Que ce soit des lois ou des règlements ». La militante s’appuie sur ce qui se passe ailleurs. La constitution de l’Équateur par exemple, a reconnu les droits de la nature en 2008, notamment les droits des écosystèmes des îles Galapagos et des mangroves de prospérer en bonne santé.

♦ Lire aussi : Comment concilier nature et activité humaine dans le massif des Maures ?

Protéger les mammifères marins, les littoraux, les rivières…

D’autres pays ont pris des engagements assez similaires : le Panama (pour les tortues marines), le Belize, le Cap Vert, l’Australie. Par ailleurs, l’engagement se fait parfois à hauteur de ville. Malibu et San Francisco ont ainsi signé des chartes pour protéger dauphins et baleines dans leurs eaux littorales. « Il est important que les villes côtières actent leur lien avec la nature ». En France, les combats concernent également les boues rouges de Méditerranée et les marées vertes en Bretagne. Mais aussi l’extraction de sable en Gironde.

Mais au royaume des écosystèmes aquatiques, il n’y a pas que le littoral et l’océan. Il y a aussi les fleuves et les rivières. C’est pourquoi Wild Legal accompagne aussi une quinzaine de territoires autour du combat « Ma rivière, c’est moi ». Pour le Chéran (Haute-Savoie), le Nant Bénin (Savoie), la Garonne (Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Espagne), la Seine…

Reconnaître des droits aux fleuves; ici la Seine © Pixabay

« Le sujet progresse car les grandes sécheresses ont alarmé de nombreux élus, observe Marine Calmet. Ils réalisent que leur territoire est mal préparé ». En Corse, en 2021, un collectif d’associations a ainsi proclamé des droits pour le fleuve Tavignano.

La tâche à venir est immense : « C’est le combat d’une vie, admet la militante. Car quand ces droits seront reconnus, il faudra encore les défendre, veiller à leur application. À leur respect ». Ce n’est plus négociable désormais, nous devons tous apprendre à cohabiter avec le vivant. ♦

Bonus

# Un autre appel. L’UICN lance aussi un appel à l’action pour renforcer la protection de l’océan. En effet, 2/3 des milieux marins sont sévèrement altérés par les activités humaines. Pourtant, ils abritent une biodiversité unique et jouent un rôle capital pour le bien être humain et la régulation du climat.

# La fragilité de la posidonie. Protégés par les conventions de Berne (annexe 1) et de Barcelone (Annexe 2), les herbiers de posidonies ont été identifiés comme “habitat prioritaire” au titre de Directive européenne de 1992 « Habitat, faune, flore ». En France, la posidonie est protégée par un arrêté ministériel du 19 juillet 1988 (liste des espèces végétales marines protégées). Pourtant, malgré ces nombreux statuts de protection, les pressions anthropiques liées à l’utilisation du littoral constituent toujours une menace.

♦ Lire aussi : Cohabiter avec la nature, une expérience camarguaise 

# Le projet « Montagne d’or ». Initié en 2011, ce projet prévoyait de creuser une immense fosse à proximité d’une réserve biologique intégrale dans la forêt guyanaise, pour en extraire 85 tonnes d’or. À partir de 2016, une opposition locale au projet se structure. Puis le conflit devient rapidement national.

Le 26 novembre 2024 : la Cour administrative d’appel de Bordeaux stoppe les projets industriels de renouvellement des concessions du groupe Montagne d’or. En savoir davantage grâce à ce dossier paru dans France Nature Environnement.