ÉconomieÉducations aux médias et à l’information EMI
Deuxfleurs plante les graines d’un autre modèle numérique
[cet article fait partie du programme Éducation aux Médias et à l’Information développé par Marcelle]
Alors que la France vient d’annoncer l’ouverture prochaine de 35 datacenters répartis sur l’ensemble du territoire, des voix veulent faire entendre une façon différente d’aborder le monde du numérique. L’association Deuxfleurs, créée en 2020 par un petit groupe d’experts en informatique, prône en effet la sobriété numérique et propose logiciels libres et hébergement web en format low tech. Avec une volonté en toile de fond : inviter chaque citoyen à requestionner ses usages du numérique.
Regarder une vidéo sur un smartphone, naviguer sur les réseaux sociaux, stocker des fichiers et photos, communiquer par visioconférence, créer un site Internet… Ces usages du numérique font aujourd’hui pleinement partie de notre quotidien. Or, derrière ces activités, se cachent des outils et installations qui sont loin d’avoir un impact neutre sur le climat et l’environnement.
« Certains outils numériques, tels les cloud, ont une image un peu éthérée, immatérielle », confirme Baptiste Jonglez, co-dirigeant de l’association Deuxfleurs (pourquoi Deuxfleurs ? Lire le bonus). « C’est volontaire de la part des entreprises qui les détiennent, afin de donner l’illusion d’un outil sans impact, puisqu’on ne le voit pas. Or, il faut des infrastructures bien réelles pour les faire fonctionner, telles que des antennes ou des datacenters. Et ces infrastructures ont un impact sur le climat qui, lui, est loin d’être négligeable ».

Des impacts plus qu’environnementaux
C’est notamment face à ce constat, et en partie suite aux recherches effectuées lors de leurs thèses, qu’un groupe de copains, majoritairement composé de chercheurs en informatique, décide en 2020 de créer Deuxfleurs. L’association loi 1901, fondée à Rennes, souhaite agir face au modèle qui domine actuellement dans le monde numérique. « Nous avons, à cette époque, réalisé que ce modèle dominant était celui des datacenters, qui peuvent regrouper jusqu’à 10 000 serveurs. Certains, construits en campagne, peuvent mesurer la taille de plusieurs terrains de football. Leur consommation électrique est faramineuse. Leur consommation d’eau, qui sert à les refroidir, également », détaille Baptiste Jonglez.

Mais ce constat va plus loin. « La plupart des outils majoritairement utilisés par la population appartiennent à quelques acteurs privés, principalement les GAFAM, même s’il y en a d’autres. Ils dominent tellement ce marché que même les services publics louent leurs infrastructures, ce qui crée un problème de dépendance géopolitique. » Le scandale de la Cambridge Analytica (bonus) leur fait parallèlement réaliser que la maîtrise des outils numériques est devenue un enjeu démocratique, puisque même les élections peuvent en être impactées. « Nous nous sommes alors dit qu’il fallait agir. C’est encore plus vrai avec l’arrivée de l’intelligence artificielle ! Son impact environnemental est, du fait de la puissance démesurée qu’elle demande, vraiment immense. En outre, le manque de débats autour de la pertinence de son développement pose réellement question. »
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Requestionner les usages du numérique
Deuxfleurs propose ainsi aux usagers qui le souhaitent des outils numériques différents. Qui leur permettent de réduire leur dépendance aux GAFAM tout en faisant baisser leur impact environnemental. « Notre commun regroupe une ressource informatique partagée : nous disposons de logiciels libres que nous avons développés, mais surtout serveurs de seconde main et d’une expertise. C’est à dire que nous réunissons des personnes qui utilisent et entretiennent cette ressource. »
Concrètement, Deuxfleurs suggère par exemple l’hébergement de sites web sans datacenter ainsi que l’accompagnement par un réseau de partenaires qui peuvent éco-concevoir ce site.
« Nous prônons la sobriété numérique radicale. Nous avons notre propre matériel, des petits serveurs reconditionnés situés chez des particuliers, dans lesquels on va faire entrer les usages, et pas l’inverse ! » Car c’est là la question principale que souhaite poser Deuxfleurs : avons-nous réellement besoin de tous ces outils qu’on nous impose, IA incluse, au regard de leurs différents impacts ? « Nous proposons par exemple seulement 100 Mo de stockage par site hébergé. À nos clients de rentrer dans cette contrainte. Mais c’est ce qui les rend créatifs ! souligne Baptiste Jonglez. Bien sûr, on est là pour les accompagner. Tout se discute ».

Essaimer un autre modèle
Aujourd’hui, Deuxfleurs propose principalement de l’hébergement web, même si son offre contient des outils sobres pour répondre aux principaux besoins du numérique (un service de visioconférence, une messagerie instantanée et une suite collaborative). Leurs cibles : au départ des particuliers, désormais plutôt des associations, des collectifs, des collectivités…
« Nous hébergeons actuellement 500 sites et nous estimons pouvoir aller jusqu’à 10 000 », précise Baptiste Jonglez. « On se fait connaître par le bouche à oreilles, lors de conférences… Nous nous engageons à fournir un service de qualité afin de montrer que ce modèle sobre fonctionne. Nous sommes conscients que ne nous ne pourrons pas tout faire et tout changer seuls. Deuxfleurs est plutôt un autre modèle qui pourrait être essaimé. » ♦
Bonus
# Deuxfleurs. Ce nom a été donné en référence à un personnage du Disque-monde, monde imaginaire de fantasy burlesque développé par l’écrivain Terry Pratchett dans la suite de romans Les Annales du Disque-monde.
# Deuxfleurs dans le détail. L’association est implantée dans plusieurs villes : Lille principalement, Nantes, Rennes, Bordeaux, Paris…Elle s’autofinance notamment via les hébergements (prix libres mais 15 euros /an recommandés pour 5 sites statiques max). Elle est membre du collectif Chaton (Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents Ouverts Neutres et Solidaires) qui vise à rassembler des structures proposant des services en ligne libres, éthiques et décentralisés.
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# Le scandale de la Cambridge Analytica. L’entreprise est accusée d’avoir utilisé les données de millions d’utilisateurs de Facebook, recueillies sans leur consentement, afin d’influencer les élections aux Etats-Unis et ailleurs.
