Économie
Vivaluz : l’upcycling textile pour lutter contre la fast fashion
[je recycle, tu surcycles, ils valorisent – #6]
Face à une industrie de la mode basée sur l’ultra-consumérisme, Vivaluz propose une alternative concrète : l’upcycling. Fondée en novembre 2021, l’entreprise s’appuie sur un réseau d’ateliers de confection et de fabrication entre Roubaix et Tourcoing pour transformer les déchets textiles en une sorte de feutre. Dans ce matériau sont ensuite conçus des accessoires et du petit mobilier.
« Je ne voulais plus être complice d’un système qui pollue et épuise la planète », confie Isabelle Dayde. Alors elle a créé Vivaluz, pour valoriser et transformer les déchets textiles collectés en France en objets ressources pour le design, la décoration, le spectacle ou encore le cinéma. Son objectif : développer un écosystème local, circulaire et vertueux.

Son « épiphanie », comme elle l’appelle, date de 2014. Elle est alors cadre à La Redoute. « Je ne supportais plus de travailler dans la deuxième industrie la plus polluante au monde, je me disais que ce que je faisais ne servait à rien ».
Une première expérimentation avec des coques de téléphone
Après un détour par la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) chez La Redoute puis chez Auchan, elle lance une première expérimentation de coques de téléphone à partir de déchets textiles. Trop limité. Elle veut aller plus loin, mettre au cœur de la production des matières écoconçues, réinventer les méthodes de fabrication. En 2020, elle profite d’un plan de départ volontaire pour se lancer. <!–more–>

Grâce à un partenariat avec des acteurs du tri et à un passage par l’incubateur Euramaterials à Roubaix, elle développe ses premiers matériaux composites. Une phase de R&D rendue possible par plusieurs aides publiques, notamment celles du FFRI (Fonds Régional Recherche et Innovation) porté par la région Hauts-de-France. « Vivaluz a même été sélectionnée par Circoax, un appel à projet européen, avec un process de tri des matières à la couleur, pour lequel j’ai obtenu un financement de 12 000 euros. »
Depuis sa création, il y a trois ans, la société a multiplié son chiffre d’affaires par deux chaque année. Passant de 30 000 en 2022 à 110 000 euros en 2024.
Au CETI, une matière réinventée à partir des déchets textiles

C’est dans les couloirs du CETI (le Centre Européen des Textiles Innovants), à Tourcoing, que les ambitions d’Isabelle prennent forme. Sous son œil et celui de ses stagiaires, les fibres usées venues de bennes de collecte entament une nouvelle vie. Avec le soutien de l’éco-organisme Refashion (qui trouve des solutions pour collecter, réemployer et réparer les tissus en fin de vie), Vivaluz mène ici un ambitieux projet d’upcycling : fabriquer un matériau 100% recyclé à partir de vêtements usagés, tout en maîtrisant la couleur et la texture.
Quatre gammes chromatiques sont testées : Sunset (tons orangés), Forest (verts foncés), Grenadine (couleurs flashy) et Twilight (mélange de noir, bleu marine et perle). Les vêtements, issus de bennes de collecte, sont triés manuellement avant de passer dans la “coupeuse”, une machine de défibrage. Réduits en fibres, ils sont pressés en balles de 100 kg, puis mélangés, ouverts et transformés en couches de fibres textiles. C’est ce qu’on appelle la “nappe textile”.
♦ Lire aussi : Quand le vêtement en fin de vie devient bobine de fil
« Des fibres plus faciles à travailler que d’autres »

Deux procédés permettent de les transformer en plaques de tissu : la thermofusion, qui agglomère les fibres par la chaleur, ou l’aiguillage, qui les entrelace mécaniquement. En bout de chaîne, un rouleau 100% recyclé. « On produit jusqu’à 500 kg de nappe textile par jour, mais la production varie en fonction des fibres utilisées. Certaines sont plus faciles à travailler que d’autres. Les pulls noirs, par exemple, donnent un gris très uniforme, facile à travailler », note Isabelle.
Ces expérimentations sont cruciales pour Vivaluz : elles permettent non seulement de tester la résistance et l’esthétique des matériaux recyclés, mais aussi d’imaginer à terme des applications concrètes – housses d’ordinateur, protection pour le matériel des régisseurs, assises de mobilier, ou encore panneaux acoustiques.
De la matière à l’objet : la confection solidaire chez Résilience

Une fois que les rouleaux recyclés sont prêts, direction les ateliers de confection. Chez Résilience, à Roubaix, le bruit des machines reprend. Les matières mises au point au CETI se transforment ici en objets du quotidien.
Les couturiers et couturières en parcours d’insertion, assemblent, installent les antivols, appliquent les logos par transfert… pour les 1500 pièces commandées par Vivaluz, voilà à peine une semaine. Depuis l’année dernière, Isabelle et Romuald Guégan, directeur de Tiriad Editions (société qui accompagne les organismes privés et publics pour développer leurs outils numériques) travaillent ensemble sur des housses pour ranger les téléphones portables des collégiens. Cette commande s’inscrit dans le programme Ma Pause Numérique, dispositif porté par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui vise à supprimer l’utilisation des smartphones dans les établissements scolaires. « 66 collèges en métropole et en Outre-Mer sont déjà équipés des housses produites par Vivaluz. Ils seront bien plus à la rentrée prochaine », indique Romuald Guégan.
Au total, 15 000 housses sont produites en juillet, et autant sont prévues en août. Toutes entièrement confectionnées dans les ateliers de Résilience. En collaborant avec cette entreprise d’insertion engagée, Vivaluz renforce l’impact social de son projet. « Avec de petits ateliers, il y a une agilité, plus d’autonomie pour répondre rapidement à des commandes de petites séries. Or, travailler avec des ateliers comme Résilience, c’est aussi mettre en avant les relations humaines. On montre qu’on peut créer autrement, avec sens et cohérence. Sans rogner sur l’esthétique ni la qualité. »
Changer d’échelle : les freins et les leviers
Malgré ces avancées, les obstacles restent nombreux. Car le coût d’un produit upcyclé reste plus élevé que celui d’un objet importé d’Asie. « Il faut que les collectivités et entreprises acceptent d’intégrer cette réalité dans leurs achats », estime Isabelle.
Autres limites : la variabilité des fibres collectées, les contraintes techniques du recyclage, ou encore les capacités de stockage. La filière peine encore à se structurer.
L’entrepreneuse reste pourtant confiante. Grâce à ses tests, partenariats et débouchés croissants, Vivaluz trace un chemin. « On est seulement au début. On expérimente, on ajuste… mais on avance. Et c’est déjà beaucoup. » ♦

