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Par Zoé Charef, le 24 janvier 2025

Journaliste

Jean durable : une révolution française

Les jeans durables et made in France, un vrai renouveau. ©1083

Face à une industrie textile encore très polluante, le jean, symbole universel de la mode, se fait durable pour incarner une réponse éthique et innovante. Il s’offre même une seconde vie en France grâce à des artisans engagés. Portées par des marques comme Ateliers de Nîmes, 1083, Atelier Tuffery, Ecclo ou encore Sème, ces initiatives valorisent le savoir-faire local et le circuit court tout en limitant l’impact écologique.

Dans le Nîmes du 16ème siècle, les tisserands sont nombreux. Ils y exploitent la soie et la laine produites dans les Cévennes voisines pour fabriquer une toile épaisse destinée aux paysans du coin. La ville du sud de la France devient alors un grand centre de production et de commerce textile, avec cette toile renommée au fil du temps « denim » (pour « de Nîmes »). Les fabricants locaux se lient par la suite à une autre grande puissance textile et importatrice de la couleur indigo : Gênes (en Italie). De là viendrait le mot « jean » – prononciation à l’anglaise de Gênes. Voilà pour l’étymologie !

Ressusciter le circuit-court et la fabrication locale

Le jean revient dans l’ADN de Nîmes 1
Guillaume Sagot, le fondateur des Ateliers de Nîmes ©ADN

Ces toiles de denim ont survécu à travers le temps et la mondialisation, mais l’ancienne cité française a perdu son influence d’industrie textile. Au moins jusqu’aux années 2010, quand des passionnés de l’histoire locale remettent cette expertise au goût du jour à travers l’association Les Gens Denîm. Pour ressusciter un savoir-faire oublié et surfer sur la tendance circuit-court et fabrication locale, de nombreux projets vont dès lors voir le jour autour du jean durable et made in France. Tour d’horizon de ce boom national.

À Nîmes, c’est Guillaume Sagot qui s’est lancé en 2017 dans l’aventure, en donnant vie aux Ateliers de Nîmes (ADN). Un « pari fou, compliqué, qui demande beaucoup d’énergie », confessait-il dans un reportage de Marcelle. Si l’aspect historique et créatif est intéressant, il semble tout aussi important de rappeler que la production d’un seul jean classique peut émettre 20 kg de CO2 et consommer jusqu’à 10 000 litres d’eau en moyenne. Ce qui lui vaut de figurer parmi les vêtements les plus polluants. Un point que le fondateur entend bien faire changer.

Un jean français, oui, mais durable aussi !

Au-delà de la fabrication européenne (toile de jean produite en Italie, confection nîmoise et découpe et fabrication de ses pantalons au Portugal), la démarche d’ADN est aussi d’être « la moins nocive possible pour l’environnement » en s’inscrivant dans un processus raisonné. « C’est vraiment difficile, cela impose une organisation très spécifique », assure Guillaume Sagot. Renoncer au polyester et au solvant, ne pas encoller la toile, délaver les jeans grâce aux enzymes bio ou à l’ozone… Et garder son jean le plus longtemps possible (notamment en le lavant le moins possible) : voici les meilleures façons d’obtenir un jean durable.

En Lozère, un blue-jean très green relance la filière ! 3
40 000 pièces sortent des ateliers Tuffery chaque année, vendues sur place ou en ligne. ©Tuffery

C’est également ce que Thomas Huriez, fondateur rêveur et obstiné de Jean 1083, avait en tête. Commerçant dans un magasin bio et équitable à Romans-sur-Isère en 2017, il se rend compte qu’aucune des marques qu’il distribue ne fait du jean, « alors que c’est la pièce de vêtement la plus populaire au monde ! » Notant par la même occasion que la crédibilité de la mode éthique augmentait et que le made in France écrivait son retour, il lance sa marque grâce à un financement participatif.

Le pari est tenu : « On pensait faire cent jeans pour être à la hauteur de mon magasin, on a fini par en fabriquer mille. C’était incroyable », se souvient-il, encore ému. Il est passé d’une petite boîte tenue avec son frère à une entreprise d’une centaine d’employés (pour moitié dans la production et moitié pour la partie commerciale).

♦ (Re)lire : Une nouvelle mode est possible

Penser éthique, penser territoire, penser collectif

Être fabricant, responsable, durable, humain et exigeant n’est donc pas une mince affaire. Chez Atelier Tuffery, on le sait. Au sein de la plus ancienne fabrique de jeans en France (labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant), les savoir-faire du « blue-jean très green » de l’Atelier se transmettent d’arrière-grand-père en arrière-petit-fils. En 2016, Julien Tuffery rachetait l’atelier de confection familial, en Lozère, avec l’idée de relancer la filière en optant pour des solutions alternatives au coton. 

« En rachetant l’affaire familiale, nous souhaitions perpétuer un savoir-faire et privilégier le circuit court, et la vente directe. Tout en œuvrant à la relance des filières de tissage, de filature », développe Julien Tuffery. Alors, avec sa femme Myriam, ils recréent des unités de fabrications écologiques et raisonnées, une chaîne du textile dans la région Occitanie qui fait appel à une vingtaine d’exploitations agricoles de Lozère. « La laine est lavée en Haute-Loire, filée en Ariège, tissée dans le Tarn. L’impact carbone est moindre. On prend des risques. On fait des choix économiques coûteux », reconnaît le fabricant.

Le couple Tuffery a également pris une part très active dans la coopérative occitane VirgoCoop qui s’attache notamment à développer une filière chanvre sur le territoire. L’ambition ? « Redonner du sens au secteur textile. Impliquer citoyens, agriculteurs, entreprises et collectivités autour d’une même mission : développer un secteur textile écologique, éthique. Qui soit source de dynamisme pour les territoires. »

♦ Lire aussi : Ankore, une mode durable et océan friendly

En Alsace, la marque Sème avait lancé son jean local et éthique en 2022. L’idée de la fondatrice Agathe Schmitt était claire : fabriquer un jean en lin (nécessitant 100 fois moins d’eau qu’un denim en coton asiatique) et français « de la graine à la confection. » Culture du lin en Normandie, stabilisation de la couleur dans la Sarthe, tissage et ennoblissement dans le Grand Est, ce jean ne parcourait « au total que 2 500 km, défendait la créatrice. Le savoir-faire français ne s’arrête pas à la couture mais va jusqu’au tissage. Nous ne cherchons pas à faire des produits qui marquent une tendance. Plutôt des basiques qui gardent du style dans le temps et qui peuvent se transmettre. » Malheureusement, un an plus tard, la jeune marque disparaît quand le groupe textile auquel elle était adossée est placé en redressement judiciaire.

La prise de conscience dope le jean durable

Chez Jean 1083, on est fier de son travail et on communique dessus. ©1083

Basée dans la Drôme avec une fabrique dans les Vosges – département le plus complet en termes de filière textile -, l’entreprise Jean 1083 de Thomas Huriez répond à une demande des clients. « Ça fonctionne parce qu’on commence tous à voir les méfaits de la surconsommation. On note que les soldes ont de moins en moins d’impact et que l’industrie textile cause des dégâts importants sur l’environnement. » 

Les marques durables se développent alors et sont « de plus en plus cools et attractives » pour les amoureux de la mode. Leader du made in France, Jean 1083 a réappris à couper, à coudre et à tisser du denim. Aujourd’hui, cette entreprise fabrique 50 000 jeans par an. Mais 100 000 « avec les autres marques françaises engagées dans la même démarche. Et c’était zéro il y a douze ans, commente Thomas Huriez. Ce que l’on fait a du sens. On est structurants pour tous les enjeux économiques de la France. »

De nombreuses entreprises s’activent pour changer la donne, optant ici pour le coton bio, là pour le patchwork de toiles denim de seconde-main. Reste à solutionner l’enjeu de l’élasthanne, encore présent à 10% environ dans les jeans et nocif pour l’environnement. 

Bonus

# Recyclage et lois françaises. Il s’agit également de s’attarder sur le recyclage des jeans, même durables et fabriqués en France. En effet, pour leur donner une seconde vie, l’entièreté du tissu doit être de la même fibre et les boutons et clous similaires.
Faut-il tendre vers un éco-score pour les habits, comme la marque européenne Lagoped le propose ? Le gouvernement français souhaite qu’un vêtement sur deux soit recyclé ou réutilisé d’ici 2027, à l’heure où les Français consommeraient en moyenne 9 kg de textiles par habitant et par an. Depuis le 1er janvier 2025, une directive européenne interdit en effet de jeter les textiles à la poubelle. Ils doivent être triés au même titre que les emballages. Cette loi, adoptée en mars 2024 à l’Assemblée nationale, est en attente de passage au Sénat. Continuons d’œuvrer pour produire des jeans locaux, respectueux de l’environnement et de bonne qualité.

# Ecclo, écolo et français. Marque française écoresponsable, Ecclo s’ajoute à la liste non exhaustive que nous avons dressée. Chez Ecclo, on « refuse de puiser dans les ressources naturelles ». Alors on opte depuis 2021 pour des fibres recyclées et des tissus dormants de tisseurs français. En résultent deux modèles de jean : une coupe droite et une coupe ajustée. Disponible en 12 tailles homme.

D’autres marques de jeans écoreponsables sont listées icipar le site We dress fair.

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