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Ces avocats qui veulent pacifier la société
Négociation, conciliation et médiation gagnent du terrain. Ce qui raccourcit les procédures, peut les rendre moins coûteuses et désengorger les tribunaux. Tout en apportant une solution pérenne aux conflits. C’est tout l’enjeu de « la politique de l’amiable » plébiscitée début 2023 par le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, dans la continuité du positionnement de l’association Les avocats de la paix®, créée en 2021.
Une plaque d’avocate et un cabinet classique. Un site internet détaillant les domaines de compétences : droit du numérique, de la propriété intellectuelle, de la famille… Puis cette phrase, discrète : « Je privilégie, dans la mesure du possible, la résolution amiable des conflits. » Quelques mots qui résument toute la démarche de Me Cécile Deschanel, avocate au barreau de Marseille installée depuis 2021. Elle est membre des Avocats de la paix® depuis un an. Une association créée en 2021 et coprésidée par Me Marie-Laure Bouze et Me Barbara Régent, toutes deux avocates au barreau de Paris, avec une ambition sociétale : « Apaiser durablement les litiges. » Aussi bien entre particuliers qu’entre professionnels. En droit familial et patrimonial évidemment, mais aussi en droit du travail, de l’immobilier ou des affaires.

Une pratique totalement différente
Une démarche impulsée par cette question, posée par Me Jean-Philippe Mariani, dans une tribune publiée par Ouest-France en février 2021 : « À quand un avocat de la Paix ? » « Maintenant ! » a répondu Me Régent.
« Une petite lumière s’est allumée, retrace-t-elle. Je me suis dit que la société est dans un tel état qu’il faut agir. Et comme je ne suis pas du genre à laisser passer le train mais plutôt à monter dedans pour le conduire, j’en ai parlé à Marie-Laure. »

« Ça faisait tellement écho à ce qu’on est, à la façon dont on travaille depuis des années… » prolonge cette dernière, qui s’est d’abord formée au droit collaboratif, « la première pièce du puzzle », raconte-t-elle.
« Ensuite, mes premiers rendez-vous n’ont plus jamais été les mêmes. Je me suis alors formée à la négociation raisonnée, à la communication non violente et à la médiation (voir bonus). Ma pratique a complètement changé. »
Ni guerre…
« Biberonnée au contentieux, comme tous les avocats », Me Régent a quant à elle vite réalisé, une fois devenue avocate, que c’était « un monde rude ». « J’ai été élevée pour faire la guerre avec des armes juridiques, mais je me suis dit que je n’allais pas faire comme ça en tant qu’avocate, relate cette ancienne collaboratrice d’avoué (juriste représentant les parties en appel jusqu’en 2012, ndlr). La première mission de l’avocat, c’est le conseil, pas le procès pour le procès. » Il n’est pas une fin mais un ultime moyen lorsque le dialogue n’est pas possible, notamment. Elle s’est donc elle aussi formée au droit collaboratif, puis à la négociation raisonnée et à la médiation.
Ni ring de boxe

Un parcours dans lequel se retrouve pleinement Me Deschanel, qui sera, elle aussi, bientôt diplômée médiatrice. « C’est dans mon caractère, je n’aime pas particulièrement les conflits, ni détruire le client d’en face. Pour moi être avocat, ce n’est pas être sur un ring de boxe. L’idée d’un gagnant et d’un perdant face à un juge m’est difficile, explique-t-elle. Encore plus en droit de la famille. Je pense sincèrement que laisser un juge décider de l’avenir d’enfants n’est pas le mieux. Il ne peut pas toujours bien cerner le contexte en une heure… Aller devant un tribunal est très formel, très stressant, la décision est assez froide. Et souvent, elle ne convient à aucune des deux parties. » Alors mieux vaut en discuter, d’abord avec son client. Puis en reparler au téléphone. Proposer l’amiable à l’autre partie. Et enfin réunir les deux parties, souvent pendant plusieurs heures, au cabinet d’un des avocats. Une fois, deux fois, plus… « Parfois ça aboutit tout de suite, parfois jamais, a-t-elle l’honnêteté de dire. Mais au moins, ils ont tout déversé. »
Une approche « globale et puissante »

« La médiation, c’est une déconstruction du cerveau de l’avocat. C’est une approche beaucoup plus globale, assez puissante, qui ouvre plus de voies, donne plus d’outils, d’idées, de solutions » développe Me Régent. « Le métier d’avocat est enrichi par cette humanité démultipliée. Le droit n’est qu’un outil, ce qui est important ce sont les personnes dans le litige. » «Si les gens peuvent se dire les choses et être entendus, on peut régler des problèmes conjugaux par exemple de manière bien plus rapide, moins coûteuse et pérenne. Pouvoir travailler sur la coparentalité plutôt qu’enchaîner des procédures contentieuses pendant des années, sera toujours plus profitable aux parents comme aux enfants, complète Me Régent. Un divorce contentieux ruine et détruit tout. »
Mais il faut encore convaincre certains clients… et certains avocats. Car la médiation ne peut aboutir que si les deux parties s’y engagent. Or cette pratique était, jusqu’à présent, que peu enseignée en école d’avocats. Voire pas du tout. Et elle n’est pas toujours bien perçue, même si le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, l’a mise en avant. « Les modes amiables commencent vraiment à entrer dans le langage professionnel. Mais il y a des barreaux dans lesquels des confrères qui y recourent sont méprisés, témoigne Me Bouze. Il y a une telle méconnaissance du processus, une crainte de ne plus faire de beaux procès, de belles conclusions… Certains préfèrent faire de belles plaidoiries plutôt que discuter autour d’une table et écouter les gens… » Et une partie des clients sont d’ailleurs rassurés par les avocats les plus ouvertement combattifs. «Ma préférence pour l’amiable peut parfois me faire perdre des clients qui veulent se battre, mais on a les clients qui nous ressemblent », sourit Me Deschanel.

Forte d’une centaine d’adhérents en métropole et en outre-mer, les membres de l’association Les Avocats de la Paix® se mobilisent pour former leurs pairs et sensibiliser au mode amiable. Au-delà des avocats. « Il faut expliquer dès la petite enfance comment régler les conflits autrement, insiste Me Régent. Cela dépasse le monde juridique ou judiciaire. C’est aussi un travail de prévention, avec les ministères de la Justice, de l’Éducation et de la Famille. Entretenir le conflit, c’est une destruction massive du vivre-ensemble. Il est plus que temps de privilégier l’amiable, si on veut que la paix infuse et que notre société progresse vers plus d’humanité. » ♦
Bonus
- Les modes amiables de règlement des différends (MARD). Lorsqu’une personne se trouve en situation de conflit, elle peut tenter de recourir à un mode amiable de règlement des différends (MARD) avant de saisir le tribunal ou le juge. Ces MARD peuvent être répartis en trois catégories : la négociation (recours à un avocat pour parvenir à une transaction), la conciliation (recours à un conciliateur qui aide les parties à conclure un accord) et la médiation (processus visant à parvenir à une solution mutuellement acceptable, avec l’aide d’un tiers, le médiateur).
Parmi les MARD, on peut aussi citer l’ARA (Audience de règlement amiable proposée aux parties en cours de procédure), la Césure ( procédé où le principe juridique est tranché avant que les parties ne soient invitées à régler le montant d’une indemnisation à l’amiable par exemple), le droit collaboratif (contrat entre les avocats et les parties par lequel ils règlent leur litige selon des modalités en 5 étapes encadrées par celui-ci), la procédure participative (processus par lequel les parties s’engagent à régler leur litige en respectant par exemple un calendrier qu’elles ont-elles-mêmes fixé, dans le cadre d’une procédure).
Il existe ensuite des procédures permettant de faire homologuer l’accord par le juge ou le notaire afin de lui donner force exécutoire.
- Les formations. De nombreuses formations aux MARD, y compris gratuites, existent. Elles peuvent être proposées par les barreaux, des associations et organismes de formation. Il existe notamment des formations diplômantes pour être médiateur.
- Le métier de médiateur. Le médiateur est un professionnel (avocat, huissier, notaire, architecte, médecin, travailleur social, psychologue…) doté de diplômes, qui aide les parties à rechercher leurs propres solutions. Lorsqu’elles sont parvenues à un accord, un acte est rédigé et le juge peut homologuer l’accord dans des délais rapides.