Société

Par Nathania Cahen, le 1 novembre 2024

Journaliste

Cin’éthique sur Get out : retour sur images !

Le dernier Cin’éthique était consacré au film « Get out », réalisé en 2017 par Jordan Peele. Ce thriller satirique a fait l’objet de digressions philosophiques que nous partageons avec vous.

Petit rappel de l’intrigue : Chris et sa petite amie Rose filent le parfait amour. Le moment est donc venu de rencontrer la belle famille, Missy et Dean lors d’un week-end sur leur domaine en rase campagne. Chris commence par penser que l’atmosphère tendue est liée à leur différence de couleur de peau. Mais très vite une série d’incidents de plus en plus inquiétants lui permet de découvrir l’inimaginable….

Du racisme et de ses formes

Tadaaam. « Ce film fait écho à un autre, réalisé exactement 50 ans plus tôt, « Devine qui vient dîner ce soir ? » de Sydney Poitier, sur la projection des préjugés d’une époque », souligne en préambule Marc Rosmini, agrégé de philosophie et auteur de l’essai Cinéma et bioéthique.

Jordan Peele, le réalisateur du film, est lui-même métis. Ses trois longs métrages (avec Us et Nope) ont pour point commun de réfléchir sur la façon dont le corps noir peut être exploité.

Get out montre qu’il y a plein de façons d’être racistes. Y compris à travers l’idéalisation du corps noir, de cette peau ébène à la mode. La racisme n’est pas ici évoqué de manière habituelle. Dans le film, la fiancée rabatteuse choisit ainsi ses proies sur des banques d’images – corps athlétiques, belles gueules.
C’est également à rapprocher de l’ouvrage du Franz Fanon, Peau noire, masques blancs, pointe Marc Rosmini. « Le psychiatre antillais y raconte comment la peau noire renvoie à une objectivation, un corps, un étalon – il y a de l’animalisation. Avec une dimension physique, sexuelle, et performative. Ainsi dans le film, on le touche, on évalue ses performances… »

Cette peau se prête souvent à des métaphores qui renvoient, c’est dit plus haut, à l’animalité. Marie-Josée Perec était surnommée la panthère noire… Le corps noir est souvent réifié, chosifié, ou approprié – sous l’esclavagisme, c’était pour qu’il travaille et performe.

Le corps et l’esprit

Le film Get out est également traversé par un trafic d’organes – un thème déjà évoqué en juin dernier à l’issue d’une projection du film Réparer les vivants, qui lui porte non pas sur le trafic, mais sur le transfert légal d’organes.

Se pose à ce sujet la question des troubles de l’identité des personnes greffées (greffe de cerveau / greffe d’un membre). Ici deux humanités fusionnent : « nous serons l’esprit, vous serez le corps ». Et le transhumanisme rôde : à partir de quel degré de transformation ne suis-je plus moi-même ou un humain ?

La question philosophique de ce qui fait notre identité demeure. « Sommes-nous davantage un corps ou un esprit ? », s’interroge Marc Rosmini, tout en renvoyant au philosophe John Locke qui propose plusieurs expériences de pensée sur cette question de l’identité.

Le jeu social, l’identité sociales… Souvent sujets de malaise, qui ouvrent sur le paraître. On peut aussi de référer à René Descartes et à la conception dualiste – le corps n’est que matière, machine ; seul l’esprit est le siège de l’identité.

Hypocrisie sociale

Une spectatrice métis évoque toutes ces petites remarques mielleuses sur ses cheveux : « est-ce que je peux toucher, est ce que c’est naturel ? » et y voit un racisme systémique, dont les gens ne sont pas forcément conscients. Elle juge que le film est juste à cet égard.

Sur la question de l’esclavage et de l’appropriation des corps, l’histoire nous a enseigné qu’il faut du temps pour se défaire des représentations. De fait, ce film a été un succès phénoménal aux Etats-Unis, sous la présidence de Barak Obama. On a eu alors l’impression que la lutte contre les discriminations pouvait se faire par le haut. En fait, cela n’a rien changé à la réalité des discriminations en bas. Au mieux, ça l’a masqué.

L’hypocrisie sociale et l’assignation identitaire demeurent : intégrer mais pas trop, car chacun doit rester à sa place. Ainsi de ce film, où les domestiques sont noirs.

Les rapports de classes et de races évoluent très poussivement. Selon la perspective intersectionnelle, nos sociétés reposent encore sur la main d’œuvre et la puissance de travail de populations non blanches. Une force de travail somatique, biologique, physique… ♦

# Les Cin’éthiques sont une proposition de l’APHM et de l’Espace de réflexion éthique PACA-Corse. Prochaine séance mardi 12 novembre au cinéma Les Variétés (Marseille 1er) : Plan 75 de Chie Hayakawa (2022).