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Par Nathania Cahen, le 20 septembre 2025

Journaliste

Cin’éthique sur L’intérêt d’Adam, le débrief

©MaxenceDedry

À la projection de L’intérêt d’Adam a succédé un échange avec le directeur de l’AP-HM, François Crémieux, et l’agrégé de philosophie Marc Rosmini. Des spectateurs se sont joints au débat pour ausculter ce film de la cinéaste belge Laura Wandel, dont le décor est le service de pédiatrie d’un hôpital. Une infirmière s’y évertue à protéger un enfant et sa mère, quitte à défier protocoles, hiérarchie et justice. Quand l’héroïsme solitaire bouscule l’éthique du soin, entre dilemmes éthiques et fragilités sociales…

Dès les premières prises de parole, un point s’impose : le film s’intéresse au moment où soigner, c’est décider « pour » quelqu’un, parfois « contre » son avis. François Crémieux rappelle un échange du matin même avec des équipes de psychiatrie : « Ce qui nous met le plus en difficulté ? Défendre l’intérêt du patient contre son refus — et, parfois, contre l’institution. » Le cas d’Adam cristallise ce tiraillement. Sauver un enfant n’est jamais discutable. La méthode, si. Car chaque entorse au cadre fragilise la confiance des partenaires (hôpital, aide sociale à l’enfance, justice) et donc, demain, la prise en charge d’un autre enfant.

♦ Le Cin’éthique est une initiative de l’Espace de réflexion éthique de la région PACA. Tous les deux mois, un film choisi avec soin fait l’objet d’une séance dédiée au cinéma Les Variétés, à Marseille. 

La jouer héroïque ou collectif ?

Le film épouse la figure du « justicier solitaire » chère au cinéma. Marc Rosmini souligne ce motif : agir seul, vite, fort. C’est galvanisant à l’écran, plus risqué dans la vraie vie. L’infirmière fascine autant qu’elle inquiète : « Elle se dresse, elle assume, elle déborde. À quel moment l’héroïsme flirte-t-il avec la déraison ? » Citée dans le débat, la réalisatrice assume : la faille individuelle reflète un dysfonctionnement plus large. La salle relève un « effet miroir » entre la soignante et la mère qui partagent une même conviction : « rien n’est possible sans moi ». Au risque de faire fausse route.

Un premier constat tombe, tout simple : l’éthique ne se porte pas seul·e. « Un collectif, ça commence à deux, rappelle François Crémieux. Décider à plusieurs ne neutralise pas le risque, mais le partage, l’argumente, le documente ». C’est aussi la seule manière de protéger le prochain patient d’un précédent trop « héroïque ». Au passage, le directeur de l’AP-HM rend hommage à tous ces collectifs qui tiennent l’hôpital : équipes de nuit, lundis de staff, protocoles qui s’écrivent et se révisent. Il relève aussi à l’écran, un détail piquant : quand tous les protagonistes sont en émoi, les vigiles incarnent la sérénité. Signal d’alarme ou signe que l’humanité circule encore partout, même là où on ne l’attend pas.

La parole de l’enfant

Nourrir l’enfant, écouter sa parole, respecter les procédures : le film fait claquer ces priorités qui ne se superposent pas. Marc Rosmini convoque la définition de l’OMS — bien-être physique, psychique, social — pour mieux montrer la friction. Une diététicienne présente dans la salle raconte un cas réel : nutrition parentérale (par intraveineuse – NDLR) enclenchée « trop vite », faute de temps pour comprendre la mère. La scène renvoie au cœur de l’hôpital en tension : quand le temps manque, ce sont les histoires qui se taisent d’abord — et les contentieux qui naissent ensuite.

Dans le film, tout bascule lorsqu’Adam s’exprime hors du contrôle de sa mère : « Je ne veux pas mourir. » Sa parole, longtemps filtrée par les adultes, redevient boussole. L’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas un concept juridique abstrait ; c’est aussi une voix, une intention, un désir. Le public insiste : écouter l’enfant, c’est parfois réordonner tout le reste. Là encore, le collectif est clef : qui recueille cette parole ? Qui la reformule ? Qui la transmet ?

Léa Drucker dans le rôle de Lucile, infirmière-chef débordée par son travail et ses émotions ©MaxenceDedry

Mères stigmatisées, hôpitaux débordés… quelques clichés

Une participante s’insurge contre la facilité à qualifier la mère de « toxique ». Le débat élargit alors le plan : monoparentalité majoritairement féminine, violences intrafamiliales, pères absents… Pointer une personne, c’est souvent manquer le système. Marc Rosmini rectifie : « Il ne s’agit pas d’essentialiser les mères, mais de voir comment l’organisation sociale dépose ses charges sur les mêmes épaules ». Là encore, « L’intérêt d’Adam » oblige à articuler psychologie et sociologie.

Alors qu’un autre film sorti récemment, « En première ligne », fait aussi un focus sur une infirmière et l’univers hospitalier, François Crémieux tacle un cliché cinématographique : « À chaque fois, l’hôpital prend cher. » Oui, les couloirs saturés, les lits improvisés, l’épuisement sont crédibles. Moins crédible est leur accumulation en une heure et demie. En miroir, il remarque que d’autres institutions (famille, justice) tout aussi malmenées par le film, sont moins interrogées publiquement. Et pourtant, les vocations de soignants repartent : paradoxe réjouissant, peut-être signe que la figure d’engagement continue d’aimanter.

Du cinéma belge à Hippocrate : deux écritures du soin

Le débat rappelle l’inscription de Laura Wandel dans une tradition belge portée notamment par les frères Dardenne : coller au réel, suivre un corps, préférer l’ambiguïté au discours. La série Hippocrate est citée comme contrechamp : moins d’héroïsme, plus de procédures, de transmissions, de discussions d’équipe. Deux formes, un même enjeu : faire sentir au public que soigner, c’est d’abord composer — avec la loi, avec la fatigue, avec l’autre.

Au sortir de la salle, une sensation demeure : L’intérêt d’Adam est un film d’ambiguïtés : une soignante admirable et inquiétante, une mère fragile et tenace, des institutions lourdes et indispensables. Le débat marseillais en a tiré une ligne claire : l’éthique du soin n’est pas un bras de fer, mais une pratique collective, discutable — qui commence par une phrase d’enfant et se poursuit autour une table où l’on décide à plusieurs. Parce que si, au cinéma, l’héroïne peut gagner seule, à l’hôpital et loin des caméras, c’est beaucoup moins probable. ♦

 

⇒ Prochain Cin’éthique : mardi 4 novembre au cinéma Les Variétés avec le film Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry.