Aménagement
Corinne Vezzoni, au défi d’une architecture durable
Installée à Marseille, imprégnée d’une sensibilité très méditerranéenne, Corinne Vezzoni est pour autant architecte-conseil de la ville de Lyon, impliquée dans le Grand Paris ou investie dans le renouveau du Havre. D’un projet à l’autre, elle met un grand soin à répondre aux défis environnementaux et sociétaux de notre époque. Derrière des réalisations remarquables, la quête de sens est toujours à l’œuvre. « Aller à l’essentiel, céder sur le superflu… », résume-t-elle.
Sécheresse, inondations, tempêtes, canicule… sont autant de périls dont il faut tenir compte dans les constructions contemporaines. « Comment chauffer ou rafraîchir au gré des saisons, ces questions me sont chères depuis toujours. S’y sont progressivement adjointes celles de l’écologie des matériaux et de l’artificialisation », confirme Corinne Vezzoni. Top rose bonbon, pantalon en simili cuir, billes azur pétillantes, elle nous reçoit au sein de son agence du 7e arrondissement de Marseille, dans son vaste bureau perché avec vue sur la grande bleue.

Corinne Vezzoni appartient au cénacle des architectes connus, et même reconnus pour la qualité de leur parcours comme de leurs réalisations. Elle a reçu, en 2015, le prix de la Femme architecte puis, en 2020, la médaille d’or de l’Académie française d’architecture. Elle a par ailleurs été nominée à deux reprises au Grand prix national de l’architecture.
Empiler et compacter pour libérer de la nature
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Dès son premier projet d’envergure – les Archives et de la Bibliothèque Départementales des Bouches-du-Rhône, en 2006 – cette architecte doublement solaire (par sa blondeur et son rire) met en application certaines de ces valeurs… Limiter l’emprise au sol notamment, dans ce quartier paupérisé du 2e arrondissement, sans parc ni jardin alentour.
« C’est le premier grand concours que je remporte, raconte-t-elle. On me propose deux terrains pour les deux fonctions, mais notre choix sera de les empiler pour libérer l’un des terrains. Cela nous permet d’aménager un parvis public et un Jardin de lecture avec une roseraie, des magnolias, une fontaine… » Presque vingt ans plus tard, cet îlot de fraîcheur subsiste, précieux jardin d’agrément pour les familles du quartier qui n’en ont pas.

Ralentir le circuit de l’eau
Concernant l’eau, l’exemple du lycée Simone Veil, dans le quartier marseillais de Saint-Mitre, est éloquent. Le terrain mis à disposition se trouve dans un quartier agricole, en contrebas du massif de l’Étoile dont les eaux qui dévalent la colline peuvent potentiellement menacer les quartiers traversés. La réflexion a ainsi porté sur le contrôle des pluies centennales (dont la probabilité de survenue est de 1/100- Ndlr) susceptibles d’inonder ce versant. Donc sur un moyen d’absorber cette eau de manière naturelle, de créer une sorte de tampon intermédiaire. « Nous avons proposé d’utiliser, cette fois encore, juste la moitié du terrain pour y compacter les bâtiments. Ces derniers sont encastrés dans le sol pour emmagasiner l’énergie et la chaleur issues de l’inertie de la terre. Et se déploient sur des restanques pour ralentir le circuit de l’eau, sans raviner. »

Autre parti pris intéressant, les toits de ce lycée ouvert en 2017 sont fonctionnels : celui du gymnase est un parvis, celui des salles des cours, une cour de récréation. Certains sont des jardins et il y a même une place publique calée sur l’altitude de la route voisine. L’architecte a par ailleurs choisi de supprimer les couloirs et halls pour organiser une circulation en extérieur. Tout en aménageant des patios intérieurs pour offrir de la lumière naturelle aux salles de classe. « Cela évite de chauffer et d’éclairer ces espaces, tout en gagnant de la place pour le bâti », décrypte-t-elle.
« Et surtout planter, planter, planter, offrir des îlots de fraîcheur ».
Des matériaux locaux et durables
Pour le lycée Simone Veil, d’autres choix ont été effectués au nom de la durabilité : ni carrelages, ni faux plafonds, « car ils se dégradent très vite. Mais un seul et même matériau, la pierre, afin d’éviter un entretien compliqué et de prolonger la durée de vie du bâtiment », commente Corinne Vezzoni. Invitée de la 19e Biennale d’architecture de Venise (bonus), elle sera ainsi présente dans l’expo « Vivre avec / Living with » avec justement ce projet de lycée des plus écologique.
Faire avec ce que l’environnement proche d’un chantier propose est un principe. En phase avec l’histoire du lieu, et durable. Corinne Vezzoni explique ainsi que si le recours au bois est une évidence à la montagne, en revanche il vieillit plutôt mal en Méditerranée, où de surcroît il est parfois acheminé de loin. C’est pourquoi, pour la réécriture du quartier Chalucet, à Toulon, elle a opté pour la pierre issue de carrières voisines.
Et quand elle choisit le béton, c’est celui qui est issu des laitiers des aciéries de Fos-sur-Mer. Car le laitier, un déchet doté d’une grande durabilité, peut constituer la matière première dans 40 à 60% de la fabrication du ciment (le plus consommateur de CO2 et d’énergie du BTP).
Une mobilité douce
Architecte-urbaniste conseil de la ville de Lyon, Corinne Vezzoni a contribué à un projet portant sur le port fluvial et visant à délester le centre-ville des camions de transport. L’idée : amener les transporteurs à décharger leurs cargaisons au port fluvial. Des navettes électriques les embarquent alors vers les différents quartiers de la ville, où des vélos cargos prennent ensuite le relais. « Une des plus belles réussites de ce mandat, qui intriquait des problématiques de transport, de distribution, de décarbonation et de mutualisation ». Et pourquoi ne pas imaginer un système similaire qui se déploierait de l’Espagne aux pays du Nord ?
♦ Lire aussi : Rénover, un enjeu crucial pour la ville de demain
L’héritage méditerranéen
C’est la pente, par exemple. « La plupart des villes étaient inscrites dans la pente, dont on tirait parti, pour les échanges thermiques, pour capitaliser sur le rayonnement du soleil notamment. Mais au 20e siècle, on a perdu ce rapport, pointe l’architecte. Et on a décapé, rasé la roche ».
C’est aussi l’épaisseur des murs, qui protège du froid comme de la chaleur. Le choix de préférer le sommet des collines, déjà érodé et généralement peu propice aux cultures.
« Le Maroc, le Liban m’inspirent, confie Corinne Vezzoni. Entre le vent, la pluie, un soleil violent, des étés secs… la nature est dure dans ces pays. Ils ont cependant intégré ces données, ont toujours travaillé sur la densité, sur les façons de se protéger mutuellement, de se mettre à l’abri des éléments avec des patios en creux notamment ».
Cette densité canalise le soleil. « Voilà pourquoi nous avons voulu pour l’hôpital Chalucet des fenêtres en retrait, avec de la profondeur. Le soleil puissant d’été ne pénètre pas dans les ouvertures, mais le soleil rasant d’hiver oui ». Ce parti pris permet de surcroît d’économise la clim’, de brasser l’air la nuit.
Le délicat vivre ensemble
L’ambitieux projet, « Réinventer Le Havre », pose notamment la question de la construction dans une cité classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais aussi celle des mixités d’usage, d’un dosage harmonieux entre l’habitat et la verdure. Voilà tout l’enjeu du programme de l’îlot Flaubert, pour lequel les matériaux ont déjà été sélectionnés : « ardoise, brique et béton qui appartiennent à la culture de cette ville ». Ce projet a d’ailleurs été lauréat du prix « Solution pour l’économie circulaire » de la Pyramide de Vermeil.

Et à Beaulieu-sur-Mer, Corinne Vezzoni travaille au réaménagement d’un pôle regroupant une médiathèque, une école primaire, une crèche, des restaurants… « Plutôt qu’une cour de récréation, nous avons pensé un petit parc, mutualisé avec la ville, et donc ouvert au public en dehors des horaires scolaires. De même, la médiathèque sera commune à l’école et pourvue de deux entrées distinctes – pour les publics et les enfants », explique-t-elle. Soulignant aussi que partager, mélanger les publics et les générations, cela aussi relève de l’écologie.
C’est moins un geste qu’une réflexion sur le logement. J’aimerais réaliser dans appartements évolutifs dans un même immeuble, avec de vrais jardins. On pourrait ajouter ou soustraire une pièce, changer le revêtement de la façade… ♦
Bonus
# Ils sont des inspirations pour Corinne Vezzoni…
Les Japonais, pour leur lien fort avec la nature. Les plus grands architectes japonais ont cette attention à l’osmose avec la nature.
Les Africains peuvent l’avoir aussi, comme le Burkinabais Diébédo Francis Kéré qui incorpore la terre à nombre de ses réalisations, des écoles par exemple.
Ce sont des gens qui s’ancrent dans leur histoire et leur culture ?
Gilles Perraudin lui utilise la pierre et milite pour ce matériau réutilisable à l’infini. Un Australien, Glenn Murcutt a signé des réalisations d’une grande modestie, d’une grande finesse autour de l’autonomie, dans des lieux reculés.
♦ (re)lire l’article : L’agroécologie, un système de production relocalisé, sain et durable
# Ses projets engagés qui n’ont pas vu le jour. L’aménagement du Vieux-Port de Marseille, planté et vert à une époque, en 2010, où on n’était pas encore sensibilisés au réchauffement climatique. Ou le projet d’Allula en Arabie Saoudite : une ferme qui se love (pour mieux disparaître) au pied des collines de terre avec des matérieux présents sur place : palmes, terre et eau.

# La Biennale d’architecture Venise
Dans un monde marqué par des bouleversements écologiques, climatiques et sociaux, comment habiter autrement et construire avec les contraintes ? À l’occasion de la 19e Exposition internationale d’architecture – La Biennale di Venezia, « Vivre avec / Living with » est une exposition qui interroge la place de l’architecture face aux mutations contemporaines. Conçue par Dominique Jakob et Brendan MacFarlane, en collaboration avec Martin Duplantier et Éric Daniel-Lacombe, l’exposition s’établit exceptionnellement hors les murs du Pavillon français, en pleine rénovation.
Ayant décidé d’intégrer la restauration du bâtiment existant dans le projet, le point de départ et le premier thème seront donc de travailler avec l’existant, en utilisant le bâtiment lui-même comme une pièce d’exposition in situ. Le visiteur découvrira six thématiques majeures en entrant dans l’espace temporaire et en contournant le bâtiment existant. Avec le lycée Simone Veil, Corinne Vezzoni s’inscrit dans le proposition ” Vivre avec… les vulnérabilités”.