CultureÉducation

Par Audrey Savournin, le 28 août 2024

Journaliste

Un « parcours dansé » pour les enfants en situation de handicap

Culture pour l'Enfance a accompagné plus de 61 000 enfants en 2009. Elle propose notamment un atelier en mouvement à l’Hôtel-de-Caumont, à Aix-en-Provence. © Audrey Savournin
Les enfants bénéficiant de projets d’éducation artistique et culturelle (EAC) sont « plus motivés, plus assidus et plus concernés ». C’est ce qu’explique Culture pour l’Enfance, qui estime que ces programmes divisent par cinq le décrochage scolaire et doublent la capacité à se projeter dans l’avenir professionnel. Depuis sa création en 2009 – d’abord en tant que Fondation Culturespaces – l’association a accompagné plus de 61 000 enfants en France. Des jeunes de 5 à 18 ans éloignés de la culture par leur précarité sociale, leur handicap ou une hospitalisation. Reportage à l’Hôtel-de-Caumont, à Aix-en-Provence, pour un « parcours dansé » avec la Compagnie Grenade.
Un « Parcours dansé » pour les enfants en situation de handicap 6
L’architecte Robert de Cotte a dessiné les plans de ces magnifiques jardins « à la française ». © Audrey Savournin

Il pleut sur les magnifiques jardins à la française de l’Hôtel-de-Caumont (voir bonus), à Aix-en-Provence. Mais qu’importe. Puisque Bilal et Nikolas sont venus y participer à un atelier chorégraphique et sensoriel, ils l’auront ! Il faudra juste rester un peu à l’abri, s’échauffer à l’intérieur et en profiter pour découvrir les splendeurs de cet hôtel particulier du XVIIIe siècle… Avant qu’une accalmie permette d’aller jusqu’à la fontaine, de toucher l’eau, les arbres, les pierres, ou de sentir les fleurs… Et de continuer les mouvements en plein air.

Les bienfaits de la danse inclusive

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L’association a choisi la compagnie Grenade et sa danseuse Yam Omer pour guider les enfants. Ici avec Nikolas. © Audrey Savournin

C’est Culture pour l’Enfance qui organise ce « Parcours dansé » d’environ une heure et demie depuis deux ans. Créée en 2009 – d’abord en tant que Fondation Culturespaces – l’association favorise l’inclusion sociale d’enfants que fragilisent la maladie, le handicap ou la précarité sociale. Par la culture et le patrimoine (voir bonus). Elle propose ce programme gratuitement (sur réservation) aux structures médicoéducatives d’accueil d’enfants en situation de handicap (de 5 à 18 ans) et aux services pédiatriques d’hôpitaux (de 5 à 16 ans). La danse adaptée est en effet une activité inclusive, qui favorise la confiance en soi, l’expression des émotions, le bien-être, la valorisation des différences corporelles et la cohésion de groupe.

♦ (re)lire l’article : Femmes victimes de violence, le pouvoir de la danse

L’association a choisi Yam Omer pour guider les apprentis. Et cette jeune danseuse de la Compagnie Grenade est tellement solaire que les participants en oublient les nuages. Bilal et Nikolas sont autonomes dans leurs déplacements mais souffrent tous les deux d’un handicap moteur, dont Yam n’a pas eu connaissance. Pas d’a priori. Uniquement du naturel, de la bienveillance et de l’adaptation. Ils ont été inscrits à cet atelier par leur Institut médico-éducatif (IME) et sont rapidement assez à l’aise.

Un rapport au corps différent

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Mouvements, postures d’équilibre. Les enfants se laissent aller avec Yam, Emilie, Virginie et Cécile. © Audrey Savournin

En cercle, avec Yam, mais aussi Emilie, Virginie et Cécile, respectivement éducatrice, psychomotricienne et orthophoniste de leur IME, ils expérimentent des mouvements de tête, d’épaules, de bras. Des postures d’équilibre. Font une vague, un serpent et composent même ensemble un enchaînement. Ils apprennent aussi à écouter les sons qui les entourent, à fermer les yeux, à se laisser porter. À faire confiance à Yam et à la suivre très volontiers. « C’est spécial, reconnaît-elle. Je suis heureuse de leur ouvrir l’esprit mais aussi tous les sens, de leur permettre de voir d’autres choses, de les détacher de la gêne. Avec moi, ils peuvent faire du bruit par exemple, libérer leur énergie ! J’apprends aussi beaucoup avec eux, humainement, et en tant que danseuse.»

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Le « Parcours dansé » est aussi accessible aux enfants en fauteuil. © DR

Quant aux enfants, « ça leur permet de découvrir un lieu, de sortir de leur quotidien. Et c’est intéressant aussi par rapport à la manière dont ils vivent leur corps et l’utilisent, prolonge Virginie, la psychomotricienne de l’équipe. J’ai l’habitude de les mettre en mouvement, mais là ça prend une autre forme, ça leur apporte quelque chose de différent. Avec nous, c’est plutôt de la rééducation, donc il y a de la contrainte. Avec Yam, non. Nikolas par exemple est beaucoup plus à l’écoute ici, de ce qu’on lui dit et de lui-même. » Il est beaucoup plus calme qu’à l’IME, tandis que Bilal laisse au contraire davantage transparaître sa joie. « On reviendra avec un autre groupe, c’est sûr, rebondit sa collègue Émilie, qui pense notamment à des enfants autistes. L’accès à la culture est chouette, comme l’approche sensorielle. »

♦ (re)lire l’article : Danse avec ton handicap, comme tu es 

Des propos qui font écho à ceux d’Ombline d’Avezac. La coordinatrice de Culture pour l’Enfance pour la Région Sud parle « d’éducation et d’instruction par les corps, par les sens, pour être bien dans sa peau et dans sa tête ». Elle constate régulièrement qu’au-delà des enfants, il y a « des bénéficiaires indirects » de ces ateliers : « les éducateurs, les enseignants dans d’autres programmes… »

Près de 14 000 enfants accueillis dans six programmes

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Culture pour l’Enfance s’appuie sur six sites culturels emblématiques appartenant à Culturespaces. Dont les Carrières de Lumières aux Baux-de-Provence. © DR

Car le « Parcours dansé », qui est d’ailleurs aussi programmé à l’Atelier des Lumières et au Musée Jacquemart-André, à Paris, n’est qu’une des propositions de Culture pour l’Enfance. Depuis sa création, elle a ainsi accueilli près de 14 000 enfants de 5 à 18 ans, répartis dans six grands programmes associant « art et numérique », « patrimoine et créativité » et « culture et bien-être ». En partenariat avec six sites culturels emblématiques appartenant à Culturespaces, à Aix-en-Provence et Paris donc, mais aussi aux Baux-de-Provence (Carrières de Lumières et Château) et à Bordeaux (Bassin des Lumières). 58% de ces enfants étaient scolarisés en REP/REP+, 20% étaient accueillis en structures sociales, 17% étaient en situation de handicap et enfin 5% étaient hospitalisés.

♦ Lire aussi : Des graines de danseur dans les écoles des quartiers

« L’éducation artistique et culturelle (EAC) est assez minorée, regrette Nadège Béglé, déléguée générale de Culture pour l’Enfance. Ça reste des projets dans l’ombre, accessoires, alors que beaucoup d’acteurs culturels en font, surtout en collèges et lycées. Parce qu’en primaire, on est davantage seuls alors que les élèves sont encore très ouverts et curieux. Il faut plus d’intérêt pour ces projets-là, c’est notre « petit » combat ensemble. » L’association ne cesse d’ailleurs d’amplifier ses actions avec davantage d’enfants accueillis, une pluralité grandissante du medium artistique, un approfondissement des outils numériques, un recours naissant à la réalité augmentée et toujours plus d’exigences de qualité.

Vers un projet dansé plus long

Le « Parcours dansé » devrait ainsi déboucher sur un nouveau programme, inscrit cette fois dans la durée, à la demande de plusieurs groupes y ayant participé. « On envisage un travail sur Les quatre saisons de Vivaldi, sur plusieurs semaines voire plusieurs mois, dévoile Ombline d’Avezac, très enthousiaste. On combinerait une visite de l’Hôtel-de-Caumont pour rompre avec l’isolement social, culturel, physique, et des séances dans les établissements. Comme on a pu le faire avec du théâtre cette année. Notre rôle n’est pas de faire de l’animation mais de l’éveil, de l’instruction. » ♦

* La rubrique éducation est parrainée par le théâtre national de La Criée qui vous offre cet article. Mais il n’y a pas eu de contrepartie de la part de la rédaction* 

Bonus

[pour les abonnés] – L’Hôtel de Caumont – De Culturespaces à Culture pour l’Enfande – Les financements –

  • L’Hôtel-de-Caumont. Classé au titre des Monuments Historiques, c’est l’un des plus beaux hôtels particuliers d’Aix-en-Provence datant du XVIIIe siècle. L’architecte Robert de Cotte en a dessiné les plans, entre cour et jardin, dans le goût classique de l’époque : tracés géométriques soignés, perspective ouverte, jeux d’eaux… Autant de codes des jardins dits « à la française ».
  • De la Fondation Culturespaces à l’association Culture pour l’Enfance. Créée en 2009 par le PDG de Culturespaces, la Fondation du même nom est devenue l’association Culture pour l’Enfance en 2023. Elle conserve la même mission : favoriser l’insertion et l’inclusion sociale par la culture et le patrimoine « en développant des projets d’éducation artistique et culturelle (EAC) à destination des enfants fragilisés par la maladie, le handicap ou la précarité sociale ».
  • Le financement de l’association. Culture pour l’Enfance dépend de la générosité du public (14% des ressources) mais surtout des entreprises, établissements publics et fondations (86% de ses ressources) avec qui les échanges sont nombreux.
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L’Hôtel-de-Caumont est l’un des plus beaux hôtels particuliers d’Aix-en-Provence datant du XVIIIe siècle. © Audrey Savournin