ÉconomieSanté

Par Marie Le Marois, le 8 juillet 2025

Journaliste

D’auxiliaire de vie à auxiliaire d’envie

©OmbelineFaure ©Alenvi - 2025

Les auxiliaires de vie interviennent au domicile des personnes âgées et handicapées pour faciliter leur quotidien (lever, toilette, repas, etc.). Ce noble métier est pourtant en souffrance. Sauf chez Alenvi. Car cette entreprise, fondée en 2016 à Paris par trois copains d’HEC, entend ‘’prendre soin de ceux qui prennent soin’’. Une approche essentielle qui, par ricochet, contribue à la bien traitance des personnes en perte d’autonomie. 

Aurélie arrive essoufflée. Elle vient de donner à manger à Madame M., à vingt minutes de là en métro. Et s’apprête à assister à la réunion de son équipe, comme tous les quinze jours, au bureau dAlenvi, dans le 12e, à Paris. Avec ses cinq coéquipières, elle est en charge de trois arrondissements et d’une partie de Boulogne-Billancourt. Les Orchidées, leur nom, est l’une des 14 équipes de cette entreprise à mission qui emploie 90 auxiliaires de vie. Chaque jour, de 8 à 20 heures, elles visitent des personnes en situation de fragilité, principalement âgées, qui souffrent d’une perte d’autonomie, de démence due au grand âge, de troubles Alzheimer ou apparentés. <!–more–>

♦ Selon une étude UNA/OpinionWay 2023, le secteur daide à domicile peine à recruter (un poste sur deux) et à fidéliser. Et doit par conséquent refuser une demande sur dix. En cause : salaires bas, conditions de travail et déficit dimage.

Les gestes du quotidien

Aurélie, auxiliaire de vie très impliquée chez Alenvi, “ici on est valorisé” @Marcelle

Les auxiliaires de vie assurent les gestes du quotidien (lever, toilette, habillage, courses), mais aussi des rendez-vous médicaux, balades, lecture. « Tout ce dont les personnes ont besoin et envie », résume Aurélie, tout en picorant son taboulé sous vide. Elles ne s’occupent que des personnes, pas du grand ménage. « Nous avons fait le choix à Alenvi de distinguer les deux métiers. Car, quand on fait le ménage, on ne peut pas être dans l’attention. à l’autre », fait observer Nathalie Batros, coach de la moitié des équipes, présente à la réunion des Orchidées.

Avant que ses pairs narrivent, Aurélie livre son parcours. Elle est auxiliaire depuis neuf ans, dont deux ans chez Alenvi. Cette femme avenante et joyeuse a quitté la précédente structure, car elle s’y sentait mal. « Il n’y avait pas les valeurs que j’attendais, l’humain notamment. Je devais m’occuper des personnes à la va-vite, sans prendre le temps de m’adapter à elles. Et si j’avais besoin de dire quelque chose à ma responsable, il fallait que je lui envoie un mail. Moi, j’aime voir les gens en vrai ». Pour rien au monde, cette quadra ne quitterait Alenvi, « car on a plus de responsabilités et on est valorisé ».

Autonomiser les équipes

Thibault de Saint Blancard, cofondateur d’Alenvi, et Anne Sophie Marcadé, directrice des opérations. @Marcelle

Nathalie Batros confirme : « Valoriser, responsabiliser et rendre autonome sont les trois objectifs d’Alenvi ». « Il n’y a pas de hiérarchie », complète Anne-Sophie Marcadé, la directrice des opérations. Dans une agence traditionnelle, tout passe bien souvent par la responsable. Les auxiliaires n’ont ni le téléphone des familles, ni celui de leurs collègues. « J’ai moi aussi fait cette erreur dans mon ancienne structure. On disait qu’on avait confiance, mais on voulait tout cadrer », reconnaît cette infirmière de formation qui, en rejoignant Alenvi, a quitté sa posture de manager « la décision est verticale ». Pour celle de coach : « accompagner, faire grandir et évoluer ».

♦(re)lire L’accueil familial plutôt que l’Ehpad ou l’institut spécialisé

Créer du lien entre auxiliaires de vie 

Une équipe d’auxiliaires d’envie ©OmbelineFaure ©Alenvi – 2025 

Dans cette société agréée Entreprise solidaire dutilité sociale, les auxiliaires de vie organisent ainsi leur planning par équipe, effectuent les premières visites chez les bénéficiaires, recrutent leurs pairs, assurent les remplacements en cas de maladie. Et se retrouvent entre elles deux lundis par mois. Cet échange de près de deux heures permet aux coéquipières de se lier et de nourrir une ambiance de qualité. Il peut en effet y avoir des tensions. « Par exemple, l’une va reprocher à l’autre d’avoir mal nettoyé la cuisine d’un bénéficiaire commun après son passage », explique Nathalie Batros, tout en étudiant le planning des Orchidées de la semaine à venir.

Échanger avec ses pairs est également nécessaire pour sentraider en cas de difficultés et réajuster l’accompagnement des personnes âgées. « Dans mon ancienne agence, comme tout passait par la responsable et par mail, linformation était bien souvent déformée, traitée trop tard ou pas du tout », se souvient Aurélie.

♦ Alenvi, c’est également trois maisons partagées en Île-de-France pour les personnes vivant avec des troubles cognitifs : 8 à 10 colocataires, un coordinateur et une équipe d’auxiliaires de vie à demeure. 

Et avec les familles

« Nous avons créé un groupe WhatsApp pour chaque bénéficiaire avec, dedans, les auxiliaires et la famille, de manière à bien communiquer », Aurélie.

Au début de la réunion, Aurélie, Péma et les autres partagent leur ‘’météo intérieure’’ sur la semaine passée et celle à venir, puis évoquent chaque bénéficiaire. Madame C. ne prend plus son petit-déj ni ses médicaments, « il faudra en parler à la famille et proposer de rajouter une heure le matin », propose Aurélie, très à l’aise. Péma, la dernière arrivée dans l’équipe, explique ne pas avoir pu rentrer chez Monsieur M., il était trop endormi. Il faudra qu’elle ait les clés la prochaine fois.

Elle évoque ensuite Monsieur D. qui perd la tête, et sa voisine « problématique ». Aurélie lui fait les sous-titres : elle veut aider, mais s’avère très envahissante, voire péremptoire. Il faudra faire attention que Monsieur D. ne soit pas sous son emprise et en reparler avec ses filles. Pour fluidifier la communication, l’auxiliaire de vie a intégré Péma dans le groupe WhatsApp avec la famille.

Respecter et être respecté

Nathalie Batros, coach de l’équipe des Orchidées, et Péma, auxiliaire de vie et référente communication @Marcelle

Aurélie, elle, évoque Madame L. qui souffre de démence doublée d’un léger sentiment de persécution. Elle l’a amenée la veille chez la juge. « Car elle ne veut pas changer de tutelle et surtout pas que ce soit sa nièce ».

Nathalie Batros s’enquiert auprès de Péma si Monsieur M. a été odieux avec elle. « On ne va pas se voiler la face, il y a du racisme dans cette génération, mais ce n’est pas dans nos valeurs », martèle cette femme tonique et décidée. Elle insiste après de l’auxiliaire concernée : « Si un bénéficiaire te crie dessus, tu n’as pas à le supporter. Vous devez être respectueux, mais eux aussi doivent l’être ». 

Tout au long de la réunion, Péma, la ‘’référente communication’’, consigne sur un cahier les propos de chacune, pour avoir l’historique et observer ce qui a fonctionné.

Responsabiliser

Les trois fondateurs d’Alenvi, auteurs de ”Bonjour vieillesse. Quand le bien vieillir devient un projet de société”, propose déjà, comme piste de réflexion, d’envisager le grand âge pour ce qu’il apporte et moins pour ce qu’il coûte.

Les six auxiliaires de vie ont toutes une responsabilité : ‘’planning’’, ‘’partenaires’ ou encore ’’recrutement’’. « L’intérêt que ce soit nous qui recrutons est que nous connaissons nos bénéficiaires, donc on va plus rentrer dans les détails, comme la façon de faire la toilette », précise Aurélie. « Elles ont le dernier mot », acquiesce sa coach.

Aurélie est la ‘’’référente bénéficiaires’’ des Orchidées. Elle est chargée de les rencontrer la première fois. Elle a visité Madame F. le vendredi précédent, dans le 16e. Cette dame souffre d’un début de syndrome de Diogène, elle accumule les objets et se néglige. « Son neveu souhaite qu’on vienne deux fois pour l’ aider à trier ». Et si elle ne veut pas ? « On va amener les choses pour qu’elle accepte », soutient Aurélie, forte de ses nombreuses formations à Alenvi (bonus) dont une sur ‘’Bien Communiquer’’. Savoir dire les choses aux bénéficiaires comme aux aidants. 

Stabilité de l’emploi

Promenade avec des colocataires de la maison partagée de Clamart ©OmbelineFaure ©Alenvi – 2025 

Les fondateurs d’Alenvi, qui proposent par ailleurs des formations centrées sur lhumain pour les professionnels de laide et du soin, ont fait le choix d’assurer une stabilité de l’emploi à leurs auxiliaires de vie en les salariant. « Ainsi, s’il y a un problème, un décès ou un conflit avec la famille, elles gardent le même nombre d’heures », étaye Anne-Sophie Marcadé, pétillante et chaleureuse. En outre, elles sont payées 20% de plus que le SMIC, avec les primes. Lors du dernier comité de pilotage, organisé tous les deux mois avec tout le monde, il a été décidé de donner des primes aux référentes ‘’partenaires’’, ayant capitalisé des contacts dans le milieu : pharmacies, assistantes sociales, hôpitaux, Maison des aînés et des aidants (M2A). 

Humaniser l’accompagnement

Faire son métier avec humanité, c’est avant tout prendre le temps de faire avec et non à la place du bénéficiaire ©OmbelineFaure ©Alenvi – 2025 

Près de dix ans après sa création, en transformant le métier, Alenvi peut s’enorgueillir d’avoir remis l’humain au cœur de l’activité. C’est avant tout faire avec la personne âgée et non à sa place. L’aider à préparer le repas, débarrasser la table ou mettre le linge dans la machine. Essentiel pour retarder la dépendance.

Si Alenvi entend réconcilier les enjeux humains et économiques du secteur, il lui reste à trouver le bon équilibre financier. « Sachant qu’on tient à rémunérer les formations, les réunions d’équipe et les temps de trajet », souligne Anne-Sophie Marcadé. Sachant qu’elle tient à son tarif social et solidaire adapté aux ressources de la personne.

♦ Les fondateurs d’Alenvi proposent par ailleurs des formations centrées sur lhumain pour les professionnels de laide et du soin.

Réconcilier les enjeux humains et économiques

Même si Alenvi peine toujours à recruter des auxiliaires de vie comme les autres acteurs du grand âge, elle se félicite toutefois d’avoir « moins de turnover et d’absentéisme ». En effet, « elles trouvent plus de sens à leur métier et donnent plus à leur équipe et aux bénéficiaires », observe la directrice des opérations. Elles sont des auxiliaires d’envie. Un détail qui a son importance face à une population vieillissante et une augmentation de l’espérance de vie. ♦ 

 

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Bonus

Les trois fondateurs d’Alenvi ©OmbelineFaure ©Alenvi – 2025 

# Histoire d’Alenvi. Tout est parti des difficultés rencontrées par l’épouse de Guillaume Desnoës, lun des trois fondateurs, à trouver une auxiliaire de vie pour sa grand-mère. « On a vu que le sujet nous touchait de manière différente », explique Thibault de Saint Blancard, qui a une petite sœur en situation de handicap. Les trois amis ont questionné une quinzaine d’auxiliaires de vie et découvert qu’elles étaient aussi peu considérées qu’elles font un métier noble. « Quand on ne te fait pas confiance, qu’on te demande de rendre des comptes, qu’on te donne des horaires un peu pourris et qu’on te faire comprendre que tu n’es pas capable de prendre des décisions, comment bien faire son métier ? C’est le système qui produit de la maltraitance. C’est ça qui est le plus dur pour elles, C’est le regard. Si on ne valorise pas les personnes qui font des trucs de ouf, comment notre société peut aller bien ? » questionne ce militant du bien vieillir.

♦ Alenvi a co-créé le Collectif LHumain dabord

# Les projets. Alenvi, spécialisée dans les troubles cognitifs, envisage d’ouvrir en 2026 d’autres colocations pour personnes souffrant d’Alzheimer en Île-de-France et d’autres régions.

#Kawaa. Alenvi se situe dans larrière-cour de Kawaa, un tiers-lieu qui héberge des entreprises ESS