Environnement

Par Patricia Guipponi, le 20 août 2025

Journaliste

Et si le castor, allié de l’environnement, revenait en Ariège ?

Le castor est le plus gros rongeur d’Europe © Ph. Pexel

[bestiaire] Le castor, animal emblématique du Canada, a une forte valeur environnementale qui se traduit notamment par la maîtrise des crues et par la protection des zones humides. D’où ce projet de réintroduction du rongeur semi-aquatique dans les affluents de la Garonne, porté par le Comité écologique ariégeois.

C’est un dossier cher au cœur de Daniel Strub. Le naturaliste suisse milite pour que le castor soit réintroduit en Ariège, sa terre d’adoption. « Cette idée me trotte dans la tête depuis très longtemps », confirme le scientifique. C’est-à-dire depuis l’époque où il vivait dans son pays natal et où il avait aperçu le rongeur semi-aquatique dans le canal de la Thielle.

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Maurice Blanchet, “Le castor et son royaume” paru chez Delachaux et Niestlé, en 1994 ©DR

L’homme s’est tellement passionné pour l’animal, emblème du Canada, qu’il a lu tout ce qui lui passait entre les mains, dont le livre de Maurice Blanchet “Le castor et son royaume”.

Chassé pour sa chair, sa fourrure, et ses glandes

Dans cet ouvrage, l’auteur raconte que dès 1956, avec une équipe de naturalistes genevois, il a participé aux premières réintroductions de l’espèce en Suisse. Franc succès reproduit par la suite dans neuf cantons helvètes et dans diverses régions de France. De quoi titiller Daniel Strub. « Je me suis dit que finalement ce n’était pas si difficile à faire. Le castor rassemble tant de bénéfices écologiques, pourtant personne ne pense à lui ». Le Comité écologique ariégeois a pris en charge le projet de réintroduction, pleinement soutenu par l’association de protection des rivières d’Ariège Le Chabot et par France nature environnement des Pyrénées d’Occitanie.

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Chassé par le passé, le castor est plus utile qu’on ne le croit ©DR

Car le castor, le plus gros rongeur d’Europe, était autrefois présent en Ariège comme dans le reste de la France. Mais il a pratiquement disparu il y a cinq siècles, chassé pour sa chair et sa fourrure. On utilisait l’une de ses glandes, particulièrement odorante, en pharmacie et en parfumerie. Au début du XXe, ne subsistait qu’une dizaine d’individus dans la basse vallée du Rhône. L’ex Office national de la chasse et de la faune sauvage, devenu en 2019 l’Office français de la Biodiversité, estime le nombre de castors présents aujourd’hui en France à plus de 14 000, répartis sur une cinquantaine de départements.

Le barrage du castor permet de retenir un tiers des pics de crue

Le castor est connu pour construire des barrages naturels en travers des petits cours d’eau. Cela lui permet de la conserver pour l’été, mais également de se protéger des prédateurs. Ces retenues vont augmenter le stockage local de l’eau dans les sols et dans les nappes phréatiques, donc améliorer leur recharge. Elles limitent la violence des crues. Une récente étude britannique a démontré que les barrages du rongeur aux abords de la rivière Otter, dans le comté de Somerset, ont réduit le débit de l’eau et freiné les inondations des villages alentours.

« Un tiers des pics de crue est retenu. En contenant l’eau, le castor aide à supporter le réchauffement climatique qui se traduit par moins de neige et assèche les ruisseaux. On sait aussi que son action a des effets bénéfiques contre les incendies », précise Daniel Strub. En effet, la végétation rendue plus humide s’enflammerait moins vite. Ainsi, en construisant des barrages et creusant des canaux, le castor crée des espaces irrigués, refuges pour la flore et la faune face aux feux. Les cours d’eau sans castors seraient plus vulnérables aux espèces invasives après un incendie.

« On entend dire partout qu’il est vital de préserver les zones humides. Cela coûte une fortune de revitaliser ces espaces à la grande diversité. Le castor le fait gratuitement et il les entretient », soutient le naturaliste. Les chercheurs se sont aussi rendu compte que sa présence sur les petits plans d’eau permet la dépollution du nitrate, des pesticides et du phosphate selon les saisons. « C’est un mammifère herbivore qui s’adapte à toutes les situations et les températures tant qu’il y a de l’eau ».

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Le castor peut construire des barrages de 30 cm à un mètre de haut ©DR

Les méthodes de protection contre les éventuels dégâts sont efficaces

Alors, devant tant de bénéfices, qu’attend-t-on ? Daniel Strub confie que le discours officiel est de laisser faire la nature. « En gros, il faudrait que le castor revienne seul dans l’Ariège ». À plus de deux heures de route du département d’Occitanie, au cœur de Montauban, deux rongeurs ont élu domicile sur l’île de la Pissote. Cependant, il faut s’armer de patience pour espérer voir le castor se pointer en Ariège car l’animal avance de 2,5 km par année. « Cette attente ne joue pas en faveur de notre territoire. Je suis certain que l’animal ne passera jamais Toulouse à cause du barrage du Bazacle ».

La réintroduction du castor passe mal en Ariège où l’on a toujours en tête celle très polémique de l’ours. « On ne peut pas comparer les deux », plaide Daniel Strub. Certes, le rongeur peut faire des dégâts, mais les méthodes de protection sont nombreuses et efficaces. « En Amérique du nord, où il y en a toujours eu, des techniques fonctionnent bien et nous pouvons nous en inspirer ». Un castor, s’il a à manger, ne s’éloignera pas de sa zone d’activité de 5 à 10 m autour de lui. Il craint trop son prédateur, le loup.

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Daniel Strub et le CEA n’ont de cesse de convaincre du bienfondé de la présence du castor © DR

« Il y a des peurs et des a priori à lever mais aussi de l’espoir et les signaux sont de plus en plus verts », précise Marion Simon-Deloche, salariée du Comité écologique ariégeois, chargée du projet de la réintroduction du castor. Fin juillet 2024, le dossier de demande de réintroduction a été bouclé. Il doit passer devant la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) pour avis de consultation. Puis, devant le Conseil national de protection de la nature pour avis avant d’arriver sur le bureau du préfet de l’Ariège qui donnera son accord ou non.

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L’objectif est de réintroduire 30 castors, 15 dans la Lèze et 15 dans l’Hers

Si cet accord aboutit positivement, des castors seront capturés pour être relâchés dans les cours d’eau ariègeois. Mais pas n’importe lesquels. « Le dossier a demandé beaucoup de recherches scientifiques, dont une étude de terrain pour voir quelles rivières seraient propices à la réintroduction et dans quelles conditions », observe Marion Simon-Deloche. Quatre cours d’eaux traversent le département des Pyrénées : l’Ariège, le Salat, la Lèze et l’Hers. « Nous nous sommes recentrés sur les deux derniers. Les linéaires de cours d’eau sont favorables ».

L’objectif est de réintroduire trente castors, quinze par rivière, par trois points de lâchers correspondant à une famille à chaque fois. « Il s’agit des parents et des jeunes nés l’année précédente, ainsi que des plus petits. Procéder ainsi favorise leur développement et évite la consanguinité ». La réintroduction s’élève à environ 1 000 euros par famille et sera étendue dans le temps. L’étude de la demande de réintroduction devrait prendre à six à neuf mois. Dossier à suivre… ♦

*Cet article a été initialement publié le 26 septembre 2024