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Par Nathania Cahen, le 4 septembre 2024

Journaliste

La finance se conjugue davantage au féminin

« Si la majorité des investisseurs est faite d’hommes, c’est souvent par méconnaissance de la part des femmes et sans doute par crainte d'oser » - Illustration ©Unsplash
Le réseau Femmes Business Angels (FBA) est né d’un constat : la place marginale occupée par les femmes dans le tissu de la finance, qu’il s’agisse d’entreprendre ou d’investir. Vingt ans après sa création, elles sont 170 pour accompagner quelque 200 start-up. J’ai rencontré l’une d’entre elles dans une brasserie de Marseille.

Quand on évoque les business women, quelques noms sortent laborieusement, Esthée Lauder, Liliane Bettencourt et Anne Lauvergeon en tête. À Marseille, ce sera parfois aussi Elisabeth Coquet-Reinier, qui tint les manettes du groupe Onet durant plusieurs décennies. Mais qui connaît le nom de Chantal Baudron, prêtresse de l’entrepreneuriat féminin et première femme business angel en France ? Et la jeune génération a-t-elle retenu que c’est Céline Lazorthes qui a créé Leetchi ?

FBA est créé en 2003

Pas mieux chez les business angels (lire bonus) en ce début de 21e siècle. Avec un 2%, la place des femmes est encore marginale. Alors en 2003, Béatrice Jauffrineau et un petit groupe de femmes, souvent des anciennes de HEC, lancent Femmes Business Angels. Elles ont le soutien de l’association France-Angels et du Conseil Régional d’Île-de-France. L’objectif est de regrouper les «rares» femmes présentes dans l’univers financier des business angels. Pour encourager et promouvoir le rôle actif des femmes dans l’économie, et plus spécifiquement dans l’entrepreneuriat. Pour aider la création et l’émergence de start-up innovantes et à fort potentiel, qu’elles soient dirigées par des hommes, des femmes ou par les deux.

Depuis, Femmes Business Angels a essaimé dans le reste de l’Hexagone, dont Marseille, où je rencontre Dominique Mucchielli, déléguée régionale de l’association en PACA depuis 2019 et trésorière nationale – « Être trésorière, ce n’est pas seulement aligner des chiffres, c’est aussi leur donner un sens et de l’avenir ».

Des rôles modèles et des investisseuses

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Dominique Mucchielli, déléguée régionale PACA de FBA ©DR

La finance est une vieille passion pour cette femme engagée, qui a par ailleurs présidé le réseau régional Femmes 3000 durant six années. « Si on veut des femmes qui se lancent dans l’entrepreneuriat, portent des projets, il faut des rôles modèles et des femmes qui investissent. Une solidarité de genre », plaide Dominique Mucchielli. Son parcours professionnel bien rempli a démarré dans le milieu de la bourse, pour développer les marchés étrangers. Sans doute un clin d’œil à son engagement d’aujourd’hui !

Elle s’implique également au côté de l’incubateur Les Premières Sud, pour notamment renforcer l’idée qu’être accompagné que l’on soit femme ou homme est juste essentiel pour faciliter l’atteinte des objectifs et donner de la hauteur à son projet.

Investir dans la finance, dans des start-up, « il y a un gros risque, c’est gonflé », convient Dominique Mucchielli. Elle approfondit : « Les business angels ne sont pas forcément “riches”. Ils et elles choisissent d’investir et de s’investir en post-investissement et sont conscients du risque pris, mais sont passionnés, notamment par l’innovation et les métiers de demain. Et si la majorité des investisseurs est faite d’hommes, c’est souvent par méconnaissance et sans doute par crainte de ne pas OSER ».

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Réconcilier les femmes et la finance

En cause, un archaïsme qui longtemps a tenu les femmes éloignées de l’argent, de l’entreprise, du monde de la finance. Encore aujourd’hui, elles sont nombreuses à confier les rênes de leur compte en banque ou de leur patrimoine à un conjoint. Un héritage que beaucoup s’efforcent aujourd’hui de déconstruire, à l’image de Vives, un média digital dédié à l’indépendance économique des femmes. « Pour faire venir des femmes, les impliquer, il faut d’abord les éduquer. C’est aussi pour cela que FBA a vu le jour, ce qui constitue son objet social », corrobore Dominique Mucchielli.

De fait, au sein du réseau Femmes Business Angels, la plupart ont fait des études supérieures type grandes écoles ou écoles de commerce. Nombre de ces investisseuses ont une expérience d’entrepreneure, de cadre supérieure dans la finance ou à la tête d’une start-up. Et toutes disposent d’économies personnelles, d’une « poche » dont le montant minimum se monte généralement à 50 000 euros. De quoi acquitter un droit d’entrée (600 euros) et d’une cotisation annuelle de 550 euros pour surtout… investir dans des start-up dûment sélectionnées. « Et appartenant à des secteurs porteurs, comme l’IA, la food ou les tech et notamment les medtech ».

Les adhérentes se voient proposer, lors de leur première année d’adhésion, une formation pour se familiariser avec le fonctionnement, fiscalité et jargon (de la valorisation financière au pacte d’actionnaires en passant par le potentiel de croissance). Elles auront tout au long de leur vie d’adhérente loisir d’assister à des évènements, rencontres qui leur permettront d’affiner et de développer ces compétences.

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Un archaïsme a longtemps tenu les femmes éloignées de l’argent, de l’entreprise, du monde de la finance. Illustration ©Unsplash

Accompagner, mais pas n’importe qui n’importe comment

Si des actions existent au niveau régional, c’est cependant au national que tout se joue. Car c’est à cette porte que viennent frapper les start-up en mal de fonds, même si le projet est introduit via une région. L’avantage est que l’ensemble des investisseuses adhérentes au national sera ainsi sollicité et pourra potentiellement investir dans les projets proposés.

Chaque dossier “sourcé” (environ 600 reçus pour 20 qui iront jusqu’à la plénière) va être disséqué sans concession : des entretiens, questionnaires et analyses pointues de bilan pour commencer. Puis des pitchs et l’instruction du dossier par deux investisseuses. On évite aussi les doublons, les entreprises par trop similaires dans leur activité.

Chaque mois se tient une assemblée plénière, au cours de laquelle au moins deux projets instruits sont présentés (soit une vingtaine par exercice). Les business angels déclarent alors personnellement leurs intentions d’investissement. Dans le portefeuille actuel des FBA, citons par exemple les entreprises Jubiles, Lireka, So many Ways… Mais elles sont nombreuses les petites entreprises devenues grandes, dans lesquelles les FBA ont investi – comme Popee (le papier toilette écoresponsable), Le Rouge Français (lipstick végétal) ou encore Dracula Technologies (des cellules photovoltaïques organiques, qui génèrent de l’énergie avec la lumière ambiante).

Il faut compter ensuite une poignée d’années pour savoir si le placement a été utile et judicieux. Là encore il faut jouer la carte de la patience. « Se planter ne fait pas réellement plaisir, même si l’on a conscience du risque que l’on prend et qu’on l’accepte. On imagine toujours qu’on aurait pu faire mieux, reconnaît Dominique Mucchielli. Personnellement, je préfère ne plus y penser. C’est pour cela qu’il faut garder la tête froide et ne pas s’engager au-delà de ce que l’on estime raisonnable. Ce sont mes économies personnelles et le fruit de mon travail que j’investis là ». « À ce jour je n’ai pas embarqué beaucoup de copines dans mon équipe provençale, sourit-elle. C’est un état d’esprit ! ». ♦

 

Bonus
  • Les business angels. Suivant la définition de la BPI : un ou une business angel est une personne physique qui décide d’investir une partie de son patrimoine financier dans des sociétés innovantes à fort potentiel. Souvent cadre d’entreprise en activité ou ancien entrepreneur, il (ou elle) a donc une réelle expérience de la vie entrepreneuriale qui l’amène à partager son carnet d’adresses et à donner des conseils judicieux pour favoriser le développement de l’entreprise et la conduire à sa réussite. Le principal objectif poursuivi par un business angel est de dégager une plus-value substantielle via son investissement. Le site délivre de plus amples informations pour qui en cherche.
  • FBA en chiffres

-170 femmes membres

– 250 opérations d’investissement de premier tour

– plus de 200 startups accompagnées