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Grenoble : Angela, la copine qui veille
À Grenoble, les nuits deviennent plus sûres grâce à Demandez Angela, un dispositif solidaire qui permet aux personnes en danger de trouver refuge dans les lieux festifs partenaires. Une initiative locale contre les violences sexistes et sexuelles, portée par la Ville et les acteurs de la nuit.
En ce samedi soir d’avril, Solène* vient de passer une belle soirée avec ses amis. Étudiante, elle aime boire des coups et papoter dans les bars du quartier Championnet de Grenoble, en Isère. Vers 23h30, elle décide de rentrer chez elle, à pied. Il lui faut dix minutes pour rejoindre son appartement, mais ce sont dix minutes qui l’angoissent à chaque fois : « C’est toujours pareil : je suis super contente de ma soirée, mais j’appréhende le retour. Je garde mon téléphone à portée de main, j’essaye d’appeler quelqu’un et d’avoir l’air occupée pour ne pas être une proie facile. »
Son amie et voisine n’est pas sortie ce soir, donc elle marche vite, seule, le cœur battant. Solène accélère son pas lorsqu’elle se sent suivie par un inconnu. Puis elle repense à l’affiche aperçue sur la devanture de l’un des bars situés sur son trajet : Demandez Angela. Elle court, pousse la porte et ose demander à un serveur « Où est Angela ? » Aussitôt, ledit serveur comprend et l’accueille. La met en sécurité : « Pose-toi là, attends un peu ici. Tu veux un verre d’eau ? » Un autre employé appelle un taxi et elle repart un peu plus tard, soulagée et reconnaissante.
Un refuge en cas d’insécurité dans l’espace public

Pour les Grenoblois et Grenobloises comme Solène, en situation d’insécurité dans l’espace public la nuit, la Ville a donc décidé d’agir. En avril 2024, elle a lancé le dispositif Demandez Angela pour lutter contre les possibles violences sexistes et sexuelles (VSS) en soirée. Il repose sur un principe simple : permettre à toute personne se sentant en danger ou en difficulté de trouver un lieu sûr où se réfugier et être aidée.
Bars, boîtes de nuit, salles de concert et festivals jouent le jeu de cette initiative modeste et puissante, née au Royaume-Uni en 2016. Une personne qui nous suit dans la rue, un inconnu trop insistant pendant un concert, un rendez-vous qui tourne au vinaigre, un geste déplacé… Les concertations citoyennes de mai 2022 avaient fait ressortir la nécessité d’un tel protocole de prise en charge de victimes dans les établissements nocturnes. C’est donc pour stopper et contrer ces actions que le projet municipal Grenoble la nuit a intégré Demandez Angela.
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« Quasiment tout à faire et à imaginer »
Cette démarche fait écho aux mouvements de société tels que #MeToo ou #BalanceTonBar. Ils ont mis en lumière l’ampleur des violences subies dans l’espace public et les lieux de sociabilité, notamment la nuit. Et c’est l’association Issue de Secours, déjà active dans l’accompagnement des victimes de VSS, qui a mis ce dispositif en place à Grenoble. « C’est de la prévention envers un public pas du tout initié : le grand public. Il y a quasiment tout à faire et à imaginer, présente Céline Bussi, directrice pédagogique de l’association. On essaye donc de faire outil et langage communs. Commencer à discuter avec les 150 commerçants concernés, expliquer nos démarches, faire ce qu’on peut et surtout : aider les citoyens – en particulier les femmes. »

Avec un contenu e-learning sur le sujet du harcèlement, des VSS et du consentement, Céline et ses collègues entendent sensibiliser et rendre plus vigilant le personnel des lieux de fête. « Il faut avoir suivi ce cours et rempli le questionnaire pour que le macaron Demandez Angela soit apposé sur le commerce, précise-t-elle. On sait que ce n’est pas assez, mais ce n’est pas grave. C’est déjà un premier pas qui permet de continuer à les former, leur expliquer comment intervenir quand on est témoin de comportements dérangeants. »
Du personnel formé et des clients rassurés
La quasi-totalité des employés et propriétaires des bars et boîtes de nuit de Grenoble sont donc capables d’isoler une personne en détresse, de la rassurer et de lui porter secours si besoin. « On essaye de rendre l’espace public et les lieux festifs le plus safe possible, commente l’adjointe à l’égalité des droits de la Ville, Laura Pfister. On sait qu’on ne peut pas assurer cela à 100%, mais on fait notre maximum avec le cadre juridique contraint. » L’objectif est de rétablir un pouvoir d’agir là où la peur réduit souvent au silence.
Pour Laura Pfister, accompagner les acteurs de la nuit, créer un lien de confiance avec les habitants et suivre les possibles signalements relève même du dispositif politique. Environ 140 lieux ont déjà obtenu le macaron violet et le travail continue. « On a forcément déjà été témoins de situation de détresse, mais on ne savait pas trop comment réagir, confie Alexis, serveur dans un bar partenaire. Avec la formation, on se sent plus outillé, mieux préparé à affronter cela et apporter notre aide. Plusieurs clients et clientes nous en parlent et on sent que ça les rassure de savoir qu’ils et elles peuvent compter sur nous. »
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Le système des 5D

Demandez Angela transforme ainsi le paysage nocturne des agglomérations engagées, comme Grenoble, Bordeaux, Troyes, Reims et Lyon, notamment. En rendant visibles les lieux de confiance, ce dispositif solidaire apparaît « plus humain, plus vigilant. » Mais Céline Bussi en rappelle aussi les freins : « Les commerçants font du business, il y a de l’alcool et un chiffre d’affaires à atteindre. Le dispositif repose sur le volontariat et on ne leur demande pas de se mettre en danger, de devenir des éducateurs spécialisés ou des chargés de prévention. »
Exit les postures parfois paternalistes sans le savoir, l’accent est mis sur « le système des 5D » : distraire le harceleur, déléguer l’aide si on ne se sent pas capable de gérer la situation seul, documenter en filmant et photographiant la scène comme preuves pour la victime, diriger le harceleur pour le dissuader et dialoguer avec la victime pour la rassurer. « Finalement, on souhaite pouvoir dire qu’on n’a pas les yeux fermés et qu’on ne fera pas silence », conclut Céline Bussi. ♦
*le prénom a été modifié