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Pair-aidance : mettre son vécu au service des autres
J’ai rencontré Coralie Petit en septembre 2024 à Marseille, invitée en sa qualité de paire-aidante à une table ronde aux journées « Bien dans ma tête », sur la santé mentale des jeunes. J’avais été impressionnée par son incroyable optimisme, son énergie et son sourire. Je l’ai retrouvée pour qu’elle raconte son histoire, celle de la femme épanouie d’aujourd’hui, et celle de la fillette ou de la mère en souffrance qu’elle a aussi été.
Coralie a grandi à La Ciotat, où elle vit toujours. Son enfance n’est pas banale. Petite, elle entend des voix, a des hallucinations, voit des ombres. « J’ai toujours vécu avec, donc pour moi c’était normal. Et puis à la maison c’était à l’ancienne : la santé mentale n’était pas un sujet. On ne parlait pas trop. Ma mère n’était pas choquée car j’avais une grand-tante rebouteuse, une autre qui tirait les cartes… Ma famille était un peu originale. Alors quand j’avais une crise, on m’envoyait dans ma chambre en attendant que ça passe ».

« Je pensais que j’avais des super pouvoirs »
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Coralie met donc très tôt en place des stratégies. Elle fait le clown à l’école où, pour ses copines, elle est celle qui fait rire la galerie. « Même si j’étais mal, même si dedans je n’allais vraiment pas bien. Mais bon, je pensais que j’avais des super pouvoirs, comme celui de parler avec des fantômes ». Néanmoins, confie-t-elle, « je me sentais différente et donc seule. Entourée de plein de monde, mais dans un grand sentiment de solitude. Et puis ces petites voix influençaient mon humeur. Je ne comprenais pas toujours ce qu’elles disaient, elles n’étaient pas toujours gentilles ».
Elle raconte encore, « j’avais le sentiment ne pas vivre dans le bon monde ». Puis me gratifie de son grand sourire : « Aujourd’hui cela peut parfois encore arriver, mais beaucoup moins souvent ».
Le petite fille devient ado, puis jeune femme. Toujours visitée, troublée, mais habituée en somme. Elle est désormais aide à domicile. « J’ai toujours aidé les autres, se remémore-t-elle avec le recul. Je me suis occupée de mon frère et de ma sœur, de mes grands-parents. Comme si ma mission était d’être là pour les autres. Et ce faisant, je me suis très tôt oubliée ». Coralie Petit considère que ça a été une chance. Être axée sur les autres était une stratégie comme une autre, qui sans doute lui évite alors une décompensation (lire bonus) importante.
L’ami imaginaire de sa fille
En 2002, sa fille Kim voit le jour. Dès l’enfance, elle présente des troubles de comportement du même ordre que ceux de sa mère, mais plus importants, avec un sentiment de persécution. La jeune maman s’en rend compte et consulte : « Les psychiatres que nous avons vus ont simplement parlé d’un possible ami imaginaire (bonus). Nous n’avons pas été entendues alors, n’avons pas rencontré de bienveillance, ni d’écoute. Ma fille a souffert, mais je la prenais au sérieux ». Parce qu’elle comprend, et même si elle a peur, Coralie s’efforce de soutenir au mieux sa fille. « Je pense même qu’alors cela m’a empêchée de sombrer », souffle-t-elle.
Adolescente, Kim fera plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, « elle se faisait beaucoup de mal, ne gérait pas bien ses émotions, avait peur de la mort… ». Même si elle va beaucoup mieux aujourd’hui et se consacre avec passion à son futur métier de pâtissière, la jeune femme est toujours suivie par l’Équipe de Liaison et d’Interventions Précoces pour les Adolescents et Jeunes Adultes (ALIPS AJA) de l’hôpital de Valvert à Marseille.
L’effondrement
Entre-temps, Coralie s’effondre. À 39 ans, brutalement. « Du jour au lendemain ne je réussis plus à parler, à gérer mes émotions et mon rôle de maman (Kim a un frère un peu plus jeune -NDLR), raconte-t-elle. Je suis épuisée, submergée. C’était très violent, je ne voulais plus vivre, même l’amour pour mes enfants n’était plus assez fort ».
Heureusement, la « super » généraliste qui la suit réagit efficacement, trouve une organisation pour la fratrie et une clinique dans laquelle Coralie va passer un mois. « J’avais, seule, édifié des stratégies pour gérer mes troubles. Là j’ai appris à les formuler et j’ai compris tout ce qui n’était pas normal ». Le masque tombe. Le rire s’il appartient à la nature de la jeune femme, n’est plus une parade suffisante contre les idées noires qui l’assaillent parfois. Des mots sont posés sur ses maux : syndrome anxiodépressif sévère et troubles de la personnalité. Un traitement est prescrit.
« Cette hospitalisation, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée, considère Coralie. Pour la première fois, j’ai pris soin de moi, j’ai fait des choses pour moi, de la méditation, de la sophrologie. Au début cela m’angoissait d’être seule avec moi-même. Puis j’ai pris le temps de me connaître, de savoir qui j’étais, de mieux découvrir mes bons et mauvais côtés ».
Et puis ce séjour lui permet aussi de faire un tri dans sa vie. « Autour de nous, le mot psychiatrie a fait peur à certaines personnes, a éloigné des proches. J’ai expliqué à ma fille qu’on avait un truc en plus, et que pour les autres, c’était à prendre ou à laisser ».
Patiente experte, la révélation
La renaissance est en marche. Alors que Coralie reprend pied tout en étant suivie en hôpital de jour, une psychiatre remarque qu’elle parle volontiers avec les autres cette patiente souriante et lui propose : « Tu es un vrai moteur, je te verrais bien comme patiente experte ». L’idée lui plaît, la voilà qui démarre à Marseille les modules d’information du CoFor (Centre de formation au rétablissement). Avant de poursuivre son exploration au sein d’Esper Pro, une association de travailleurs pairs professionnels (bonus).

« Au début, j’ai douté de moi, se souvient Coralie. Puis chemin faisant, me confronter à des personnes qui ne vont pas bien, les soutenir, faire en sorte qu’ils aillent mieux, j’ai trop aimé ! » À tel point qu’elle se perfectionne en suivant un DU de pair-aidance et santé mentale (bonus). « Même si la fiche métier n’existe toujours pas », pointe-t-elle avec malice.
Aujourd’hui, assise en face de moi, une Coralie de 44 ans irradie de bonheur, enchaîne ses fameux sourires. Elle est salariée d’Esper Pro détachée dans l’équipe du CLIP (Centre local d’intervention précoce) des hôpitaux de Marseille, qui s’occupe exclusivement du public des jeunes de 16 à 30 ans.
♦ Lire aussi l’article : L’école de journalisme de Lille prend soin de la santé mentale de ses étudiants
« Je leur raconte Coralie, celle d’avant et celle d’aujourd’hui »
« J’accompagne des jeunes qui ont connu un premier épisode psychotique ou en risque de transition, et qui sont d’accord ». La paire-aidante les rencontre au bureau, chez eux ou à l’extérieur, selon l’envie et l’humeur. Pour les comprendre et les aider en se servant souvent de sa propre expérience. « Je suis un espoir pour eux, pour ceux qui se pensent foutus. Ils ne me voient pas comme une personne malade, ne se doutent pas de ce que j’ai traversé. Alors je leur raconte Coralie, celle d’avant et celle d’aujourd’hui. Je leur confie qu’aujourd’hui ça va mais qu’avant ça n’allait pas. Et qu’on peut vivre avec ».
Elle a aussi découvert le travail dans une équipe qui compte deux psychiatres, autant d’infirmiers, trois psychologues, un neuropsychologue, une assistante sociale, un enseignant… – « Je suis bien intégrée, et j’anime aussi un groupe de proches aidants avec un psychologue », apprécie Coralie.
Transmettre l’espoir, c’est quelque chose de précieux, apprécie la quadragénaire. Qui leur explique que c’est une chance d’être pris en charge très tôt et d’avoir un traitement. « J’aime tellement ce que je fais que c’est une addiction, des moments super enrichissants. J’ai même du mal à prendre des vacances ! »
Plus précieuse encore, la fierté de ses enfants, de sa fille notamment. « On grandit ensemble, c’est vraiment chouette. Et elle aussi me rend très fière, elle tient bon. C’est la période la plus heureuse de ma vie ! » ♦
Bonus
# Définition de la pair-aidance. Pour la Haute Autorité de Santé, le terme de « pairs-aidants » est retenu pour désigner des personnes ayant été confrontées à des situations particulières de vie (troubles psychiques, parcours de migration, sans-abrisme) associées à un vécu douloureux et souvent stigmatisées socialement, et qui participent aux interventions sanitaires et sociales (soins, accompagnement, mise en place d’interventions, formation des professionnels…) en se fondant sur ce savoir expérientiel.
Il s’agit d’une intervention bénévole ou d’un poste salarié (par la structure ou par une plateforme qui met à disposition des intervenants). Les champs d’intervention sont très divers : psychiatrie et santé mentale, addictologie, dispositifs d’accueil, hébergement, insertion, parcours d’exil…
Davantage d’informations sur le site de la HAS.
♦ Relire : Une Maison Perchée pour les jeunes avec troubles psychiques
# L’ami imaginaire. Au cours de l’enfance, un à deux individus sur trois décrivent un compagnon invisible avec qui ils peuvent converser et interagir. Cette expérience, décrite sous le terme d’ami imaginaire, est souvent rapportée par les parents. Considérée comme faisant partie du développement normal (forme particulière de jeu symbolique, de jeu de faire-semblant ou de « régulateur » émotionnel), elle est classiquement associée à davantage de créativité et à un bon pronostic cognitif et fonctionnel.
# La décompensation psychotique. Les décompensations des personnalités psychotiques se font sous forme de divers syndromes (bouffées délirantes aiguës, délires persistants, moments de déstructuration subjective, illusions). Le terme décompensation signifie que la structure psychique, jusque-là en équilibre (compensée), se déséquilibre (décompense) et que des syndromes caractéristiques apparaissent alors. Ils peuvent disparaître ou se pérenniser selon la manière dont le nouvel équilibre se forme. Un article de Philosophie, sciences et société.