Société
Rugby fauteuil : Jordan Ducret se donne les moyens de rêver
Tétraplégique depuis l’âge de seize ans mais résolument optimiste, Jordan Ducret a réussi à faire de son handicap une force. Champion d’Europe avec l’équipe de France de rugby fauteuil, il partage son temps entre entraînements – de quinze à vingt heures par semaine – et sensibilisation au handicap. Après des jeux de Paris décevants en termes de résultats, mais « magiques » au niveau de l’ambiance, son ambition est plus forte que jamais : devenir le meilleur joueur du monde.
Il est de ces épreuves qui façonnent une vie. Jordan Ducret en a fait l’expérience. Ce parasportif de haut niveau de 29 ans a vu son existence basculer à l’âge de 16 ans, suite à un accident de voiture sur une route de Vendée. « On était six dans une 205, j’étais l’un des passagers, on était jeunes, raconte-t-il sans hésiter. Un excès de vitesse, des tonneaux… et l’arrivée des pompiers pour me sortir du véhicule. J’ai été opéré pendant huit heures ».

Au sortir de l’opération, le diagnostic est lourd : les cervicales ont été déplacées suite au choc, et ont pincé la moelle épinière. Les terminaisons nerveuses des doigts ont également été coupées. Jordan sera donc tétraplégique (ses membres inférieurs et supérieurs sont paralysés jusqu’aux abdominaux) et ses doigts ne bougent plus. « Les médecins ont dit à mes parents que j’aurais pu être un légume. J’ai tout de même passé vingt-huit jours en réanimation au CHU de Nantes, puis un an et demi en rééducation ». <!–more–>
Coup de cœur pour le rugby fauteuil
Si les premiers mois sont forcément durs, le jeune homme commence à accepter sa situation lorsqu’il arrive à utiliser un fauteuil manuel, puis qu’il découvre le rugby fauteuil. « Il est sûr que je n’ai pas eu le temps de faire de crise d’adolescence, j’ai muri d’un coup ! glisse-t-il avec un sourire. C’est ma sœur qui m’a parlé du rugby fauteuil quand j’étais à l’hôpital. J’avais commencé à faire du rugby juste avant mon accident. Le côté sport de contact, ainsi que les valeurs du rugby me plaisaient. J’ai commencé le rugby fauteuil alors que j’étais encore en rééducation ».

Un sport qui devient vite une passion. Aujourd’hui, à 29 ans, Jordan Ducret est désormais le président du club l’Atlantique rugby fauteuil – « les Mambas » de la ville de Carquefou, située en proche banlieue de Nantes, où il joue depuis ses débuts il y a douze ans. « Un match dure quatre quarts temps de huit minutes de temps effectif chacun. Nos fauteuils sont de véritables auto-tamponneuses ! Nous sommes donc tous très sanglés pour que nous puissions jouer en sécurité. » Un sport mixte, qui se joue jusqu’à l’âge de 50 ans, voire plus (lire bonus), et qui occupe désormais une grande partie de son temps.
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Défenseur au sein de l’équipe de France
Jordan Ducret consacre désormais entre quinze et vingt heures par semaine à l’entraînement sportif. Et pour cause. Repéré par l’entraîneur de l’équipe nationale pendant le Championnat de France, il y occupe le poste de défenseur depuis novembre 2017. « Le coach m’a appelé, et m’a proposé de faire un stage en m’expliquant qu’on me rappellerait si j’étais performant. C’est ce qui s’est passé, alors que je m’étais pourtant cassé un pouce au cours de l’entraînement ! »
Son implication au sein des deux équipes implique une préparation physique complète. « J’alterne entre entraînements en équipe et crossfit. J’ai engagé mon propre préparateur physique depuis sept ans afin d’être toujours plus performant, y compris dans ma vie de tous les jours ».
La magie des Jeux de Paris
Car Jordan Ducret est résolument compétiteur. « J’ai envie de gagner ! Quand je me lance dans un truc, j’ai envie d’être le meilleur. » Son palmarès avec l’équipe de France en atteste : il est en effet deux fois champion d’Europe, et cinquième aux Jeux paralympiques de Paris (lire en bonus). « Ce résultat est pourtant une véritable déception. Car on avait vraiment de quoi obtenir une médaille. Il faut l’accepter. Mais j’espère participer aux jeux jusqu’en 2032 ! »

Quant à cette expérience paralympique, elle reste pour lui résolument magique. « C’était incroyable de jouer devant 8 300 personnes ! Un truc de dingue. D’habitude, on a 40 ou 50 personnes qui assistent à nos matchs. Nous avons joué à l’Arena Champ-de-Mars ; toutes les sessions étaient pleines. La Marseillaise chantée avec le public m’a donné des frissons. » Jordan Ducret raconte qu’il n’a pas ressenti de trac, au contraire. « Ça m’a boosté encore plus ». Puis passée la déception du résultat, il a pu profiter des Jeux paralympiques jusqu’à la cérémonie de clôture. « Pour moi, c’étaient les plus beaux jeux organisés depuis cent ans. On était dans un Paris de rêve, joyeux, sûr, accessible. C’est fantastique d’avoir réussi à intégrer le sport à la culture dans ces lieux historiques. »
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Devenir le meilleur joueur du monde
Quelques mois après cette aventure parisienne, Jordan Ducret n’a pourtant pas l’impression que les Jeux aient changé le regard que les gens portent sur son sport. « Mais on m’a reconnu dans la rue pour la première fois ! », dit-il en riant. S’il n’y a pas eu la répercussion que les joueurs espéraient, Jordan Ducret continue pour autant à sensibiliser autour du handicap, notamment auprès des adolescents. « J’ai souhaité attirer l’attention sur le handicap dès la première année que j’ai passée en fauteuil. Je voulais parler aux jeunes de mon âge. »

Aujourd’hui, il opère par le biais du sport, souvent auprès des écoles, ou par le biais de conférences avec questions/réponses auprès des entreprises. « Je souhaite également avertir les gens sur les risques de la route, à les amener à se poser des questions. Et je veux leur dire qu’un handicap c’est ce qu’on en fait, ce n’est pas une fin en soi. Je n’ai jamais eu honte de mon handicap. Je sors, je vis ma vie, je suis heureux, je ne me pose pas de questions. Le positif attire le positif, je veux avancer. »
Ses objectifs pour le futur sont d’ores et déjà établis : obtenir une médaille aux championnats d’Europe en avril 2025, une lors des championnats du monde à l’été 2026, une autre encore aux Jeux paralympiques de Los Angeles en 2028. Mais aussi obtenir des titres avec son club bien sûr. Mais son ambition ultime, qu’il suit avec opiniâtreté est très claire : devenir le meilleur joueur du monde ! « Je le serai, ce n’est pas une chimère. Il faut se donner les moyens de rêver. » ♦
Bonus
# Le rugby fauteuil se joue avec un ballon rond et non ovale comme au rugby classique, afin d’éviter les trajectoires trop aléatoires. Chaque joueur a une classification en fonction de son handicap (de 0.5 pour le handicap le plus lourd, à 3.5 points handicap pour le plus léger). Chaque équipe ne peut comptabiliser que 8 points de handicap maximum.
Un fauteuil adapté à la pratique du sport coûte environ 10 000 euros.
# Le palmarès de Jordan Ducret
- Double champion d’Europe en 2022 et 2023
- Médaille de bronze au championnat d’Europe de 2019
- 5e aux jeux de Paris
- 6e aux jeux de Tokyo