ÉconomieEnvironnement

Par Nathania Cahen, le 23 octobre 2024

Journaliste

Protectus, alternative durable aux tenues jetables des blocs opératoires

Les tenues Protectus, durables et recyclables © Sébastien Alba / PROVIDZ.

Les établissements hospitaliers produisent chaque année 700 000 tonnes de déchets, dont 50 000 environ constitués des tenues à usage unique jetables. Pour corriger cette aberration environnementale, la jeune société Protectus a développé en économie circulaire des tenues adaptées aux blocs opératoires, conçue dans un textile innovant, technique, recyclé et recyclable. Les équipes de la clinique Bonneveine, à Marseille, ont été les premières à tester cette gamme et à la valider.

2020, le Covid est là. Sur nos écrans de téléviseur défilent en boucle les images de médecins ou soignants hospitaliers dans leurs pyjamas et blouses jetables. Régine Weimar, alors directrice générale de l’entreprise HOM, observe. Et réfléchit. Elle voit là « un vrai sujet textile », auquel elle décide rapidement de consacrer tout son temps. « J’étais en effet convaincue qu’il était possible de développer un matériau avec des fonctionnalités et propriétés requises par l’hôpital. Tout en étant conforme aux normes, confortable et made in France », rembobine-t-elle.

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Recherche, développement et coefficient de sobriété

Deux ans de recherche et développement seront néanmoins nécessaires pour obtenir un produit optimal. Régine Weimar revient sur cette période : « J’ai épluché le web, avalé des pages de normes et de propriétés, multiplié les tests matière… La nécessité d’une protection antivirale était un défi supplémentaire ».

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Régine Weimar, présidente de Protectus ©DR

À l’arrivée, le matériau parfait est là : léger, résistant, déperlant, recyclable. À partir de 2022, les prototypes et tests couture peuvent donc démarrer à Marseille. Ce sera avec Fil Rouge, une entreprise textile d’insertion, qui va dédier une ligne de fabrication à Protectus. Et avec un premier client-test, convaincu par la nécessité de revoir sa copie environnementale : la clinique Bonneveine, un établissement médico-chirurgical privé à but non lucratif.

♦ Relire l’article : Fil Rouge, le made in France inclusif change d’échelle

Tout relève alors du pari : commander la matière, fabriquer les premières tenues. Et déjà un écueil : la clinique de Bonneveine ne dispose pas de sa propre blanchisserie. La petite équipe de Protectus s’occupe alors d’acheminer les tenues utilisées à la blanchisserie Bulle de Linge, avec qui un protocole hygiénique a été mis en place (en vertu de la méthode RABC, une certification pour la blanchisserie hospitalière). Puis de rapporter les lots propres.

Pour les établissements qui ont leur propre blanchisserie, la petite nouvelle ligne présente un argument de poids : sa matière, plus légère que le coton polyester, permet de laver un plus grand nombre d’unités par machine, donc d’user moins d’eau. Et elle sèche trois fois plus vite, en huit minutes. « Un coefficient de sobriété important », souligne Régine Weimar.

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Les tenues sont confectionnées dans les ateliers Fil Rouge, à Marseille ©DR

La clinique Bonneveine, cobaye heureux

« J’ai tout de suite adhéré au produit. Il est vrai que j’ai été infirmière de bloc pendant quinze ans et je sais combien les tenues en non-tissé à usage unique sont inconfortables, témoigne Nathalie Coconi-Duranti, directrice des soins de la clinique Bonneveine. Surtout, quand Protectus nous a été présenté, nous sortions de Covid. Une période particulière durant laquelle les besoins exponentiels s’étaient traduits par une flambée des prix. La tenue à usage unique par exemple était passée de 1,50 euro à quasiment 10 euros ».

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Un soignant de la clinique Bonneveine porte une tenue signée Protectus ©DR

La clinique compte six salles d’opération, où œuvrent au quotidien nombre de médecins et d’infirmières. « Cela représente de 30 à 45 tenues par jour », calcule Nathalie Coconi-Duranti. Partantes pour tester et juger les modèles Protectus, les équipes des blocs opératoires et des plateaux techniques les portent depuis deux ans. De plus, elles ont été invitées à partager leurs réflexions – sur les poches, les encolures, la largeur des pantalons… Le résultat ? Un grand satisfecit. Qui se ressent jusque dans les poubelles puisque les DASRI (déchets d’activité de soins à risques infectieux -NDLR) de cet établissement ont été allégés de 800 kilos/mois.

Une expérience de testeur-expert se traduit aujourd’hui par des servitudes ! Comme expliquer en visio à l’AP-HP (assistance publique des hôpitaux de Paris) comment le non-tissé peut être banni du bloc opératoire…

Persévérance

Ce projet repose sur l’expertise et la persévérance de Régine Weimar. Et sur un accompagnement approprié. Pour son financement, outre des fonds propres, ont été décrochés un prêt participatif de la Région Sud et une bourse Frenchtech de la BPI. Une levée de fonds d’un million d’euros est par ailleurs en cours.

France Active (lire bonus) a également été ressource, pour du conseil, de l’expertise et un prêt garanti. « France Active nous a bien challengés ! Sur les chiffres, l’argumentation, les coûts…, souligne l’entrepreneuse. Ils nous ont notamment aidés à finaliser le modèle économique. Un vrai partenaire ! », souligne Régine Weimar.

« Protectus est un projet qui pour nous cochait toutes les cases de l’engagement, décrypte Jacques Bonnabel, président du directoire de France Active PACA. La case de l’innovation – économique, technologique, sociale et écologique – consistant à penser qu’on doit pouvoir. Et qu’il faut impérativement arrêter le gaspillage éhonté et l’aberration écologique que représentent tous ces vêtements à usage unique, jetables, made in china, qui ont envahi l’espace hospitalier. Ensuite, la volonté d’entreprendre différemment, avec un engagement et des valeurs. Puis la case du courage de se lancer dans la production, un secteur abandonné de longue date dans nos économies occidentales développées. Enfin celle d’une nouvelle dynamique, avec un projet qui ouvre sur des développements vertueux ».

Autre accompagnement apprécié, celui de l’Accélérateur M. « Car pour un tel cursus, il est important de ne pas être seul. Et nous avons ainsi pu avoir accès à des avocats, des commissaires aux comptes ».

♦ Lire aussi : L’hôpital aux petits soins avec la planète

Des pièces textiles pucées

Toutes les voies technologiques à même d’optimiser le produit continuent d’être envisagées. Et souvent adoptées, comme l’intégration de puces RFID permettant de tracer chaque pièce. « Cela permet à chaque établissement médical de récupérer son propre linge et de ne pas propager d’éventuelles infections », approuve Nathalie Coconi-Duranti. Elle poursuit avec humour : « Et de constater que ces tenues doivent vraiment beaucoup plaire car il en disparaît régulièrement ».

Protectus travaille par ailleurs à la conception d’un DAV (lire bonus), un distributeur automatique de vêtements connectés.

Et, dès janvier, dans le cadre d’un LabCom (laboratoire commun) avec un chercheur de Mulhouse, va plancher sur une méthode disruptive de stérilisation des champs opératoires et casaques – « aujourd’hui tous jetables et made in Asia » déplore Régine Weimar.

La capacité de fabriquer 7000 pièces/mois

Vingt-quatre mois plus tard, où en est-on ? La collaboration avec la clinique de Bonneveine se poursuit, à la plus grande satisfaction de tous. « Les tenues sont toujours nickel, elles n’ont pas bougé et attaquent leur troisième année », indique Hélène Marcesse, responsable développement de Protectus.

Plusieurs pièces vestimentaires disponibles en cinq coloris complètent l’offre : la casaque (veste) en fil technique recyclé et le calot. Et bientôt un kimono pensé pour les patients, « plus digne, plus long, avec différentes possibilités pour le nouer ». Désormais, d’autres établissements hospitaliers montrent de l’intérêt pour la gamme Protectus, comme la clinique Malartic à Ollioules (83), l’hôpital Européen à Marseille. Des discussions sont en cours ailleurs, « souvent du privé, les directions y sont décisionnaires », pointe Hélène Marcesse.

Tout est possible car la capacité de production, de 7000 pièces par mois, n’est encore exploitée qu’au tiers. Corroborée par Nathalie Coconi-Duranti : « J’ai même décidé de commander des tenues pour l’ensemble du personnel de la clinique, dans une version moins technique ». Surtout, la collection a été validée par le RESAH, le réseau des acheteurs hospitaliers et a pris place dans les références de cette centrale d’achat incontournable. Une excellente nouvelle pour la jeune équipe. ♦

Bonus

# France Active # GAR # Eurombiomed 

# France Active. De l’émergence au développement, France Active donne aux entrepreneurs les moyens de s’engager sur leur territoire. Elle met à leur disposition les financements les plus adaptés à leurs besoins. Leur permet d’accéder à un réseau unique d’acteurs économiques et sociaux.

Pionnier de la finance solidaire, fondée en 1988 par Claude Alphandéry, France Active propulse chaque année près de 36 000 entrepreneurs. Pour ceux-ci, elle mobilise 485 millions d’euros, favorisant ainsi la création ou la sauvegarde de plus de 67 000 emplois. En complément de son action de financement, France Active conseille 2300 structures de l’Économie sociale et solidaire dans le cadre du Dispositif Local d’Accompagnement (DLA).

Le réseau se compose d’une association nationale, de 35 associations territoriales et de trois sociétés financières.

# Le distributeur automatique de vêtements. Développé en interne par le responsable Innovation, Jean-Robert Agher, le DAV est en cours d’industrialisation. Il a pour vocation de servir uniquement pour les tenues Protectus déployées dans les blocs opératoires d’hôpitaux publics et privés.

# Eurobiomed. Protectus a intégré ce Pôle de compétitivité du Sud de la France, dédié à la Healthtech.
Créé en 2009 par l’ensemble des acteurs de la filière santé des régions Sud Provence Alpes Côte d’Azur et Occitanie, Eurobiomed regroupe un écosystème de plus de 400 acteurs industriels.